Jusqu’à maintenant, je n’ai pas eu à me plaindre de mes contacts avec les journalistes. J’ai eu affaire à des professionnels respectueux et soucieux de faire au mieux leur travail d’information.
L’article au sujet des weblogs de Saint-Prex paru ce matin dans La Côte et signé Luc-Olivier Erard semble en revanche tomber quelque peu dans le piège du sensationnalisme. Sans vouloir accorder une importance démesurée à cet article, je tiens à clarifier certains points, face à ce qui m’apparaît friser la désinformation.
Je ne réponds pas ici en tant que porte-parole de mon établissement ou du département, mais à titre personnel; d’une part parce que je suis mise en cause (j’ai particulièrement apprécié le montage qui illustre l’article, pour lequel on a soigneusement inséré un morceau de saisie d’écran en bas à droite qui ne joue clairement aucun rôle à part rendre mon nom visible), et d’autre part parce qu’il est question d’un sujet (et d’un projet) que je connais bien, et que je ne peux pas laisser passer un article pareil sans faire entendre un autre son de cloche.
Pas interviewée
Précisons tout d’abord que je n’ai pas eu le plaisir de parler avec Luc-Olivier Erard. Celui-ci, comme nombre d’autres personnes, m’a envoyé un e-mail dès la fin de l’émission Mise au Point. J’ai tardé à lui répondre (comme à tous ceux d’entre vous qui m’avez écrit) car il se trouve que j’ai une vie en-dehors d’Internet, qui consiste entre autres à donner des cours aux élèves de St.-Prex (la rentrée scolaire était lundi).
M. Erard, si vous me lisez, veuillez donc accepter mes excuses de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Je l’ai fait mardi soir (mon directeur m’ayant informé dans la journée que vous sembliez très anxieux de me parler) — mais j’ignorais à ce moment que votre article était déjà sous presse. Je déplore cependant qu’il ait paru plus important de publier rapidement cet article que d’attendre de pouvoir me parler directement.
Les weblogs des élèves suscitent l’inquiétude!
Ce thème est repris au fil de l’article (surtout dans les titres et les légendes de photos). En ce qui me concerne, j’attends encore de savoir qui est inquiet. Le journaliste, très certainement. Je ne vais pas démonter mot par mot cette rhétorique alarmiste, mais je relèverai tout de même une phrase: Si son utilité n’est pas clairement justifiée, l’activité proposée à Saint-Prex, une parmi d’autres, devra s’arrêter.
C’est une affirmation un peu gratuite. Qui a dit ça? Quand? Dans quel contexte? D’après ce que m’a dit mon directeur ce matin, cela n’a rien de vrai. A notre connaissance, le projet weblogs ne semble pas menacé par une quelconque censure — hormis celle que nous imposons au spam de commentaires.
Le spam de commentaires
Parlons-en, justement, du spam de commentaires — car c’est bien de ça qu’il s’agit ici.
Chacun sait que lorsqu’on possède une adresse e-mail, on reçoit des messages publicitaires non sollicités. Du spam: pornographique, pharmaceutique, financier… tout y passe. Dit-on pour autant que l’e-mail est un outil dangereux dont on doit protéger nos enfants?
Les weblogs, comme les adresses e-mail, sont les cibles des spammeurs. Ceux-ci écrivent des programmes qui vont automatiquement soumettre des commentaires abusifs à tous les weblogs qui se trouvent sur leur chemin. Ces commentaires ne passent même pas par le formulaire qu’utilisent les êtres humains qui désirent laisser un message sur un blog — ils s’attaquent directement à la partie de l’outil de weblogging qui insère les commentaires dans la base de données.
Le spam de commentaires est donc un fléau au même titre que le spam d’e-mails. En l’occurence, les weblogs de Saint-Prex ne sont nullement visés en tant que tels. Ils sont, comme la grande majorité des weblogs que l’on peut trouver sur internet, les victimes d’une énorme opération de marketing. La cible principale de cette opération de marketing, c’est le moteur de recherche Google, et non pas les personnes qui tomberaient en passant sur ces commentaires parfois peu ragoûtants: en indexant les weblogs spammés, Google indexe également les liens vers les sites des spammeurs, et fait grimper ceux-ci en tête des résultats pour les recherches en rapport.
Lutte contre le spam
Sommes-nous impuissants? Non. Il existe des outils qui filtrent les commentaires, tout comme il existe maintenant des filtres à spam pour les adresses e-mail. Les outils ne sont bien entendu jamais parfaits, et doivent sans cesse être mis à jour. Certains spams passent entre les gouttes.
Qu’avons-nous fait pour les weblogs des élèves? Tout d’abord, précisons que durant la période “active” du projet (la première période), nous n’avons pas été confrontés au spam de commentaires.
M. Erard s’émeut donc dans son article du fait que nos élèves soient confrontés au spam de commentaires, mais il omet de préciser que les élèves ne se retrouvent plus à travailler sur ces weblogs chaque semaine. De plus, ces weblogs sont très peu visités. Un bref coup d’oeil sur les statistiques de visite pour le mois de janvier montre entre 50 et 70 visites par jour pour l’ensemble des weblogs (une bonne trentaine). En regardant de plus près, les weblogs d’élèves les plus visités comptent deux ou trois visiteurs par jour, y compris les moteurs de recherche. Pas de quoi en faire un fromage.
Lorsqu’on a attiré mon attention sur le fait que nous étions victimes de spam, j’ai pris un certain nombre de mesures pour minimiser l’impact de ces attaques. L’article de M. Erard laisse entendre que les weblogs de Saint-Prex sont de véritables nids à spam — la réalité est bien moins dramatique.
Les blogs de Saint-Prex tournant avec une installation modifiée de WordPress, je ne peux malheureusement pas utiliser les meilleurs outils anti-spam disponibles aujourd’hui. Je peux par contre lancer à la main une opération automatique de “nettoyage” de commentaires (un filtre basé sur des mots-clés), ce que je fais régulièrement. Certains passent entre les gouttes. Je n’imaginais honnêtement pas que l’on puisse faire un foin pareil pour quelques spams de commentaires sur des blogs inactifs et presque pas visités (sinon, j’aurais passé quelques nuits à modifier l’installation pour pouvoir utiliser des solutions anti-spam plus musclées).
Le volet “scolaire” de mon activité sur le web.
Stéphanie Booth, spécialiste des «blogues» romands, n’a pas souhaité aborder le volet «scolaire» de son activité sur le web. Il existe pourtant.
Quel effet ça fait, une entrée en matière pareille? Comme je l’ai expliqué aux journalistes concernés (qui l’ont d’ailleurs très bien compris), j’ai en effet demandé que l’on laisse de côté mon activité professionnelle lors des interviews.
La presse s’est intéressée à mon activité de blogueuse et à mes compétences en la matière. C’est une activité que j’effectue à titre personnel. Ma vie professionnelle est une autre histoire. Pour commencer, j’ai un devoir de réserve vis-à -vis de mon travail. Je ne suis porte-parole officiel de rien du tout, et je n’ai pas l’intention de donner dans la presse des détails sur le travail que je fais avec mes élèves — que ce soit sur internet ou durant mes cours de maths.
Cela n’a rien à voir avec la nature des activités, leur succès, ou la présence de spams de commentaires dans les weblogs de mes élèves. C’est une question de principe. De même que je ne raconte pas dans mon blog mes expériences en classe avec mes élèves, ou les opinions que je puis avoir sur l’enseignement vaudois ou le collège dans lequel je travaille, de même, je ne le ferai pas dans la presse. J’espère que cela clarifie la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité aborder le volet ‘scolaire’ de [mon] activité sur le web
lors de mon interview pour Mise au Point, ni pour aucune autre interview.
Et les parents…?
Luc-Olivier Erard termine son premier paragraphe ainsi:
[L’activité] organisée depuis le début de l’année scolaire, qui consiste à fournir à chaque élève de deux classes de huitième son weblog (ou blogue) risque de ne pas plaire aux parents vaudois.
Précisons d’entrée que les parents sont parfaitement au courant de ce projet. Avant de donner aux élèves les “clés” de leur weblog, nous avons passé plusieurs périodes à réfléchir avec les élèves sur l’implication d’une publication sur internet. Les parents ont co-signé la charte de publication avec leurs enfants. Nous n’avons à ce jour reçu aucun écho négatif au sujet de ce projet.
Il y a eu quelques infractions à la charte en début de projet, et nous avons réagi en conséquence.
Un grand nombre d’élèves ont également des Skyblogs, et des adresses e-mail. Il est certes malheureux qu’ils aient pu être confrontés au “côté sombre” d’internet dans le cadre d’une activité scolaire, mais faut-il (comme le laisserait presque entendre l’article) réglementer de façon encore plus draconnienne les activités scolaires sur internet? Le rôle de l’école n’est-il pas justement d’outiller les élèves pour qu’ils puissent affronter le monde?
En guise de conclusion…
…et pour ceux qui n’auraient pas la patience de tout lire.
L’article de M. Luc-Olivier Erard peint une image déformée et très alarmiste de la situation. Je n’ai pas pris la peine de relever toutes les inexactitudes de cet article, ni les raccourcis et sous-entendus un peu douteux que l’on retrouve au fil des lignes.
Le projet de weblogs de Saint-Prex n’a rien de bien extraordinaire, et les quelques spams de commentaires qu’a pu rencontrer M. Erard, non plus (bien que ce soit regrettable que les spammeurs de commentaires n’épargnent pas les projets pédagogiques). Ce projet a été mené avec l’accord de la direction, et en ayant informé les parents. Ce n’est de loin pas la première fois que des élèves publient des choses sur internet dans le Canton de Vaud, et ce n’est certainement pas la dernière.
Si on désirait être constructifs plutôt que sensationnels, je pense qu’il y a deux problématiques en rapport avec le contenu de cet article qui mériteraient un traitement plus en profondeur:
- le spam de commentaires en général, et les mesures que l’on peut prendre pour minimiser leur impact sur les projets pédagogiques qui s’y exposent;
- la prévention faite dans les écoles au sujet d’internet aborde-t-elle assez les activités privées des élèves sur internet? Je sens souvent un grand décalage entre ce que les enfants font sur internet à la maison, et ce qu’ils font à l’école. En particulier, internet est de plus en plus un lieu d’expression et de relations humaines, et non pas une simple encyclopédie.
Concernant ce dernier point, nous sommes à Saint-Prex en réflexion constante au sujet de nos activités “internautiques” avec les élèves, et (je crois être en mesure de le dire) assez en avance dans ce domaine. Par exemple, nous avons en ce début d’année modifié la charte internet générale de l’école pour inclure les activités de publication.
Je suis un peu désolée de voir encore une fois la presse peindre une image sinistre et dangereuse d’internet. Je crois que le grand public est déjà assez méfiant concernant ce média, et que l’on a plutôt besoin de mettre en avant tout ce qu’il a de positif et de constructif. Les ados l’utilisent, que ce soit avec ou sans nous. Peut-être pouvons nous leur montrer qu’il y a sur internet autre chose que Skyblog et MSN?
D’autres ont réagi à l’article dans La Côte.