MySpace supprime les profils de 29'000 "délinquants sexuels" [en]

Il y a quelques jours, on a attiré mon attention sur cet article de la BBC, qui rapporte que le site MySpace (une sorte de super-Skyblog d’origine américaine) a supprimé de son site les profils de 29’000 “délinquants sexuels” (“sex offenders”).

J’ai écrit deux billets à ce sujet en anglais, qui ont reçu pas mal de couverture dans la blogosphère anglophone. J’ai aussi été interviewée par la radio BBC World suite à mon message leur signalant ma réaction.

Ces deux billets comportent un résumé bref en français que je reproduis ici pour plus de commodité.

MySpace exclut de son site 29’000 “sex offenders” (des gens qui ont été accusés de crimes sexuels) enregistrés. C’est problématique d’une part car suivant l’Etat dans lequel elles ont été condamnées, ces personnes enregistrées peuvent être coupables de choses aussi anodines que: relations homosexuelles, nudisme, uriner dans un lieu public, faire l’amour dans un lieu public, etc. D’autre part, je rappelle les chiffres provenant d’une récente étude sur les crimes sexuels impliquant des minteurs, qui vont à l’encontre de l’idée qu’on se fait habituellement de ce genre de cas. En agissant ainsi, possiblement poussés par la paranoïa ambiante, MySpace contribue à cette paranoïa. Je regrette que la presse joue systématiquement le jeu de la peur et ne se fasse pas l’avocate d’une attitude moins paniquée face à la question des prédateurs sexuels en ligne. (En résumé: les enfants courent plus de risques hors ligne qu’en ligne, et probablement bien plus à chaque fois qu’ils montent dans une voiture ou traversent la route…)

Stephanie Booth, MySpace Banning Sex Offenders: Online Predator Paranoia

Conseils aux parents (après mon interview à la BBC ce soir au sujet des “sex offenders” bannis de MySpace):

  • pas de panique, les prédateurs sexuels tels que nous les présentent les médias ne sont pas légion, votre enfant ne court pas des risques immodérés en étant sur internet;
  • dialoguez avec votre enfant; intéressez-vous à ce qu’il fait en ligne;
  • souvenez-vous que fournir des informations personnelles n’est pas un très grand risque; par contre, s’engager dans des relations de séduction avec des inconnus ou des amis adultes en ligne l’est.

J’ai écrit relativement peu en anglais à ce sujet jusqu’à maintenant. En français, lisez Adolescents, MySpace, internet: citations de danah boyd et Henry Jenkins, De la “prévention internet”, les billets en rapport avec mon projet de livre sur les adolescents et internet, et la documentation à l’attention des ados que j’ai rédigée pour ciao.ch.

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p class=”sig”>Stephanie Booth, Parents, Teenagers, Internet, Predators, Fear…

Donc, en faisant ma tournée sur technorati, pour voir qui a mentionné dans son blog l’article de la BBC, je suis tombée sur un billet en français qui se réjouissait de la nouvelle. Mon long commentaire à ce billet devenant trop long, j’ai décidé de le faire ici, sur mon blog, et du coup, de parler un peu de cette histoire pour mes lecteurs francophones:

Bonne nouvelle signée MySpace qui vient de supprimer 29.000 profils de délinquants sexuels américains errants sur son espace qui compte 80 millions internautes. La suppression a été effectuée grâce à son partenariat avec le bureau de vérification Sentinel Tech Holding Crop qui développe une base de données nationale de délinquants sexuels. La législation américaine facilite cette tâche car elle permet de consulter librement les fiches de ces déliquants sur le site du ministère de la justice…

M/S, MySpace a les yeux sur les délinquants sexuels

Comme je l’explique donc dans ma réaction à l’article de la BBC ce n’est pas une si bonne nouvelle que ça. Ce sont les états qui définissent ce qu’est un “délinquant sexuel”, et suivant où, on peut être sur une de ces listes pour avoir montré ses fesses en public. De plus, les profils supprimés seraient ceux où l’adresse e-mail fournie correspond à celle qui se trouve dans le dossier des délinquants sexuels. Vous pensez vraiment qu’un “pervers à la recherche de victimes” (et encore, voir plus bas pour ma réfutation de la forme qu’on donne au problème) serait aussi bête?

Aussi, la problématique des prédateurs sexuels sur internet est dramatisée et déformée par les médias. Tout d’abord, on perd de vue que la grande majorité des crimes sexuels sur mineurs impliquent la famille ou des amis proches de la famille (et non des inconnus ou “connaissances” provenant d’internet). Les cas faisant intervenir internet sont une minorité, et sont plus de l’ordre “relation de séduction d’ados” que “duperie et enlèvement d’enfants”. On peut légitimement se demander si une telle action de la part de MySpace est vraiment utile (il s’agit en fait plus de sauvegarder leur image), et si on n’est pas en train de se donner bonne conscience tout en évitant de faire de la prévention utile, mais quelque peu plus complexe (puisqu’il s’agit d’aller plonger dans la façon dont les adolescents vivent l’éveil de leur sexualité et de leurs premières relations amoureuses). Voir à ce sujet De la “prévention internet”, billet qui, au milieu de mes grands questionnements, aborde cette question.

Mon ami Kevin Anderson, journaliste américain vivant à Londres, a écrit un excellent billet au sujet de toute cette histoire suite à un interview assez frustrant qu’il a donné à la BBC: ‘Think of the children’. Yes, but also think about the journalism. Entre autres, il en appelle à la presse, qui couvre systématiquement ce genre d’événement selon l’angle “mon Dieu, ça grouille de pédophiles sur internet, enfin on fait quelque chose, mais est-ce suffisant?”

I am taking an issue with the format and the journalistic assumptions made. Yes, there is a problem here, but it’s not the one that is being shouted in the headlines. The facts don’t support the sensationalist story of a predator lurking behind every MySpace profile or blog post. As Steph points out in her posts, the threat to youth isn’t in them having blogs or being on social networks. The problem is one of emotionally vulnerable teens being preyed upon by opportunistic adults. It’s more complicated and less emotive than saying: Keep the paedos off of MySpace.

Kevin Anderson, ‘Think of the children’. Yes, but also think about the journalism

Après mon interview à la BBC il y a deux jours, j’ai envoyé à quelques (3-4) journalistes romands de ma connaissance un e-mail contenant un appel à une couverture plus “réaliste” que “sensationnelle” de cette histoire. Voici à quelques variations près le message que j’ai envoyé:

Vous avez peut-être entendu parler du fait que MySpace a “viré” de son
site 29’000 personnes se trouvant sur les listes de délinquants
sexuels tenues par les Etats aux USA. J’ai écrit une assez longue
réaction à ce sujet (en anglais) et me suis également faite
interviewer par la BBC.

En deux mots:

  • la définition de “sex offender” est problématique (dans certains
    états, on peut finir sur ces listes pour avoir montré ses fesses ou eu
    des relations homosexuelles)
  • une telle action de la part de MySpace (pour sauver leur image,
    principalement) est problématique d’une part car elle renforce la peur
    (peu justifiée) ambiante autour des prédateurs sexuels en ligne, et
    d’autre part car c’est une mesure peu utile car elle est déconnectée
    de la réalité des “problèmes/agressions à caractère sexuel” que
    rencontrent les ados en ligne.

[liens vers mes deux articles]

Je ne sais pas si c’est votre rayon ou non et si ça vous intéresse,
mais si vous connaissez quelqu’un qui serait susceptible de couvrir
cette histoire sous cet angle (un angle qui manque cruellement dans
les médias “traditionnels”) n’hésitez pas à leur dire de prendre
contact avec moi (+41 78 625 44 74).

Deux réponses intéressées à ce jour (une personne en vacances qui a retransmis le mail, et un quotidien local pour qui ce n’est peut-être pas évident de couvrir un tel sujet international). Je réitère donc ici mon appel: y’a-t-il une publication romande qui veuille relever le défi?

De la "prévention internet" [en]

[fr] Thursday evening, I went to listen to a conference given by a local high-ranking police officer who has specialised in tracking down pedophiles on the internet. His presentation was titled "Dangers of the Internet", and I was expecting to hear warnings about excessive pornography consumption and predators lurking in chatrooms.

That's exactly what I heard.

Before going, I had intended to blog viciously about the conference. I changed my mind. I changed my mind because first of all, I spoke up a few times during the conference to ask for numbers, give information I had gathered from other sources, or simply state my discomfort with some of the "official" messages targeted at kids to "keep them safe".

Then, after the talk, I went to have a chat with the speaker. I realised that we agreed on quite a few things, actually. Our angle is different when presenting, of course, and more importantly, his job is to hunt down pedophiles, not talk about the internet and teenagers to the public (which, in a way, is mine).

To cut a long story short, I had a few interesting conversations during that evening, which left me more motivated than ever to get on with my book project on the subject of teenagers and the internet. Problems are complex, solutions aren't simple. And around here, there is little money available to run awareness operations correctly.

Jeudi soir, je suis allée assister à une conférence sur les dangers d’internet, donnée par Arnold Poot, Inspecteur principal adjoint à la police cantonale vaudoise, spécialisé dans la traque au matériel pédophile sur internet. J’y suis allée prête à me retrouver devant le “discours attendu” au sujet des prédateurs sexuels sur internet. Je n’ai pas été déçue. Pour être brutalement honnête, j’avais aussi la ferme intention de bloguer tout ça, de prendre des notes, et de montrer méchamment du doigt les insuffisances d’une telle approche.

J’ai changé d’avis. Pas sur le fond, non. Je pense toujours qu’on exagère grandement le problème des prédateurs sexuels sur internet, et qu’à force de placer des miroirs déformants entre la réalité et nos discours, on finit par ne plus s’y retrouver. Par contre, je n’ai plus envie de démonter point par point la présentation qui nous a été faite.

Ceci n’est donc pas le billet que j’avais l’intention d’écrire. Attendez-vous donc à quelques ruminations personnelles et questionnements pas toujours faciles dans le long billet que vous avez commencé à lire.

Qu’est-ce qui a amené ce changement d’état d’esprit? C’est simple: une conversation. Au lieu de fulminer dans mon coin et de cracher du venin ensuite sur mon blog (mon projet initial — pas très reluisant, je l’admets), je suis à intervenue à quelques reprises durant la présentation pour apporter des informations qui m’amènent à avoir un autre regard sur certaines choses dites, et même pour exprimer mon désaccord face à une certaine conception de la prévention internet (“ne pas donner son nom ni d’informations personnelles”).

Il y a des semaines que je désire écrire un billet (toujours pas fait, donc) en français qui rend compte de la table ronde sur la victimisation des mineurs à laquelle a participé mon amie danah boyd, chercheuse travaillant sur la façon dont les jeunes construisent leur identité dans les espaces numériques. A cette table ronde, trois autres chercheurs actifs dans le domaine des crimes commis à l’encontre de mineurs. Je rentrerai dans les détails plus tard, mais si vous comprenez un peu d’anglais, je vous encourage vivement à lire ce que dit le Dr. David Finkelhor, directeur du Crimes against Children Research Center, en pages 3 à 6 de la retranscription PDF de cette discussion. (Le reste est fascinant aussi, je n’ai d’ailleurs pas fini de lire les 34 pages de la retranscription, mais l’essentiel pour comprendre ma prise de position ici se trouve dans ces trois-quatre pages.)

Mais ce n’est pas tout. Après la conférence, je suis allée discuter avec l’intervenant. Pour m’excuser de lui être ainsi rentré dans le cadre durant sa présentation, d’une part, mais aussi pour partager mon malaise face à certains messages véhiculés de façon générale autour de la question des pédophiles sur internet. Et j’ai été surprise.

Parce qu’en fin de compte, on était d’accord sur de nombreux points. Parce que son discours, comme il le dit, c’est celui “d’un flic qui arrête des pédophiles” — et pas autre chose. Son métier, c’est d’être policier, j’ai réalisé. Il nous a fait une présentation sur les dangers d’internet tels qu’ils apparaissent dans son quotidien de professionnel — ce qui n’est pas forcément la même chose que “rendre compte de la situation sur internet dans sa globalité” ou même “faire de la prévention”.

J’ai discuté longuement avec lui, puis avec deux enseignantes (dont une avait assisté à ma rapide présentation de l’internet social à la HEP en début d’année scolaire) qui font de la prévention internet dans les classes du primaire. Discussions intéressantes et sympathiques, mais où encore une fois, je n’ai pu que constater à quel point nous manquons de moyens (en fin de compte, cela reviendra toujours à une question d’argent) pour faire de la prévention “correctement”.

Je voudrais pouvoir former des gens à faire le genre d’intervention que je fais dans les écoles — et pas juste en leur donnant un survol de la situation durant 45 minutes. Mais qui, comment, avec quel argent? De plus, je réalise de plus en plus que pour faire de la prévention intelligente, d’une part il faut avoir identifié le problème (les dangers) correctement — ce qui est à mon avis souvent pas le cas lorsqu’il s’agit d’internet — et d’autre part, on retombe inévitablement sur des problèmes éducatifs de base (la relation parents-enfants, le dialogue) qui renvoient à un contexte de société encore plus général.

Que faire? Allez toquer chez Mme Lyon? Peut-être. Mais honnêtement, je n’aime pas “démarcher les gens à froid”, et je n’ai pas l’énergie pour ça. (Peut-être que je devrais le faire plus, mais pour le moment, c’est comme ça que je fonctionne.) Il y a assez de travail à faire avec les gens motivés, à moitié convaincus, ou au moins curieux, qui me contactent d’eux-mêmes. Oui, on critiquera peut-être, mais j’attends qu’on vienne me chercher. Ça changera peut-être un jour, mais je n’en suis honnêtement pas certaine.

Donc, que faire? Du coup, je retrouve un bon coup de pêche (pas que je l’avais perdue) pour mon projet de livre. Je crois que le public le plus important à toucher, c’est les parents, en l’occurrence. Et les gens “en charge de la prévention”. Peut-être qu’un livre serait utile.

J’ai fait plusieurs lectures ces derniers temps qui m’ont marquée. Tout d’abord, “Blink” et “The Tipping Point” de Malcolm Gladwell. Le premier s’intéresse à l’intuition, d’un point de vue scientifique. J’y ai retrouvé, exposées de façon bien plus précises, fouillées et argumentées, de nombreuses idées que j’avais fini par me faire, au cours des années, sur la question. Le deuxième examine ce qui fait “basculer” certains phénomènes: qu’est-ce qui fait qu’une idée ou une tendance à du succès? Il y parle de la propagation des idées, des différents types de personnalité qui y jouent un rôle clé, et donne aussi quelques exemples d’application des ces principes à… des problématiques de prévention.

Ensuite, livre dans lequel je suis plongée en ce moment: “The Culture of Fear” (Barry Glassner) — une critique sans complaisance de la façon dont la peur est promue par les médias et les gouvernements pour, entre autres, encourager à la consommation. C’est américain, oui. manchettes-peur Mais on est en plein dedans ici aussi: les chiens dangereux, le loup, l’ours maintenant, les étrangers bien sûr, les jeunes, la technologie… et les pédophiles tapis dans les chats sur internet, prêts à se jeter sur nos enfants sans défense. Ce n’est pas pour rien que le premier obstacle au bonheur est la télévision, où l’on nous rappelle sans cesse et si bien de quoi avoir peur et à quel point notre monde va mal.

Mes réflexions ces temps ont pour toile de fond ces lectures. Il y a aussi, dans la catégorie “billets jamais écrits”, “The Cluetrain Manifesto”. Achetez ce livre. Lisez-le. Ou si vous ne voulez pas l’acheter, lisez-le gratuitement sur le site. Ne vous arrêtez pas aux 95 thèses traduites en français que vous pouvez trouver sur internet. Le livre est bien moins obscur et va bien plus loin.

Bref, preuve en est ce billet destructuré, écrit petit bout par petit bout dans les transports publics de la région lausannoise, ça bouillonne dans mon cerveau. Et je me dis que la meilleure chose à faire, juste là maintenant, c’est de formaliser tout ça, par écrit. J’en parle, j’en parle, mais je réalise que je blogue très peu à ce sujet, parce qu’il y a trop à dire et que je ne sais pas très bien par où commencer. Quand j’ai décidé de partir cinq semaines aux Etats-Unis, je me suis dit que si rien ne se présentait côté “travail payé” (ce qui est le cas pour le moment, même si ça peut tout à fait changer une fois que je serai là-bas) ce serait une excellente occasion de me plonger sérieusement dans la rédaction de mon livre. Et là, je me sens plus motivée que jamais à le faire — même si au fond, je n’ai aucune idée comment on fait pour écrire un livre.