Le mariage pour tous, les enfants aux manifs, et les gaz lacrymogènes [fr]

[en] Kids in demonstrations. Appropriate or not? Some French people have their panties up in a bunch because tear gas was used to contain an anti-marriage-equality demonstration which included children.

Des fois, ce qui démarre sur Facebook doit sortir de Facebook. Comme ma contribution à une discussion autour du mariage pour tous et des enfants ayant été exposés aux gaz lacrymogènes lors de la manif d’aujourd’hui à Paris. Contexte pour ceux qui veulent, un article parmi d’autres. En somme, on trouve scandaleux que la police ait utilisé du gaz pour maintenir la foule qui tentait de déborder sur les Champs-Elysées, alors qu’il y avait dans cette foule des enfants.

Dans la discussion, une personne que je ne connais pas intervient pour dire que la loi sur le mariage pour tous nie le droit des enfants, accompagnant ça de quelques arguments “complot” un peu trollesques (genre “le pouvoir veut rendre la manif impossible par manque de place) sur lesquels je passerai.

Le mariage pour tous, c’est une cause à laquelle je tiens. S’y opposer ne tient pas la route une seconde selon mes valeurs. J’ai donc sauté un peu dans le tas, et comme j’aime bien mes commentaires, je vous en fais profiter ici.

Au risque de nourrir le troll je vais faire ma naïve et dire que je ne vois pas en quoi le mariage pour tous a quoi que ce soit à voir avec le droit des enfants. On peut élever des enfants seul, à deux, à trois, avec qui on veut, pas besoin de mariage pour ça. Le mariage pour tous, c’est surtout une question du droit des conjoints (ou partenaires dans une relation de couple, si on ne veut pas utiliser les mots qui fâchent certains) l’un envers l’autre, et d’une reconnaissance par l’Etat de leur relation.

Par exemple, pour éviter ce genre d’histoire à fendre le coeur.

Voici direct la vidéo, d’ailleurs:

L’histoire des enfants à la manif, ça m’interpelle. Parce que je ne suis pas du même bord que les manifestants, je trouve qu’ils n’ont rien à faire là. Mais si on manifestait pour le mariage pour tous, est-ce que je ne trouverais pas normal d’associer mes enfants à ça, si j’en avais?

Bon, histoire d’essayer d’élever un peu le débat, je trouve quand même que cette histoire d’enfants aux manifs pose une question éthique intéressante:

  • en tant que parents on essaie d’inculquer des valeurs à ses enfants, c’est donc normal à quelque part qu’on amène avec soi ses enfants pour prendre position par rapport à une cause qui nous tient à coeur
  • en tant que spectateurs d’une manif aux valuers de laquelle on n’adhère pas, on est horrifié de voir d’innocents enfants traînés dans ce qui est pour nous de l’idéalisme mal placé, des valeurs étriquées, voire du fanatisme

Alors, quoi faire? Peut-on raisonnablement demander à des parents de ne pas impliquer leurs enfants dans leurs causes? Je ne pense pas.

C’est pour ça qu’on verra toujours des enfants “manifester” contre l’avortement, contre l’égalité dans le mariage, mais aussi contre le réchauffement climatique, pour le droit de vote des femmes, pour ceci, contre cela. Bref. Les enfants restent en quelque sorte des extensions de leurs parents, sur le plan politique. Ils leur sont d’ailleurs légalement soumis.

Par contre: en tant que parent, on doit savoir qu’une manif n’est pas une activité “sûre”. Il y a des mouvements de foule. Il y a parfois de la violence. Il y a des risques de débordement. Les forces de l’ordre peuvent intervenir. Et on doit se demander si on veut risquer d’exposer son enfant à ça. Si on décide de prendre ce risque, après, il faut assumer, et pas venir pleurer parce qu’on s’est retrouvés pris avec eux dans des gaz lacrymogènes.

Pour la petite histoire, quand j’étais enfant, au Comptoir Suisse (pas une manif, une grosse foire commerciale), du gaz lacrymogène a été utilisé. Je ne sais pas pourquoi, j’étais trop petite pour comprendre. Je me souviens que ça piquait, que ça m’a fait tousser, et qu’avec ma mère (c’est vous dire que j’étais petite) on est vite partis ailleurs. Ben voilà. Là, on pourrait râler. Enfant, j’ai été exposée à des gaz lacrymogènes pour quelque chose qui ne me concernait absolument pas.

Enfants, manifs, vous avez un avis sur la question? (Mariage pour tous: on va éviter, le débat est clos en ce qui me concerne, merci.)

A Book on Teenagers and the Internet [en]

[fr] Malgré l'excellent travail de danah boyd et le livre d'Anastasia Goodstein ("Totally Wired"), je pense que mon projet de livre sur les adolescents et internet tient encore la route. Une petite argumentation à ce sujet.

// After complaining for weeks that I wasn’t making any progress in writing my book proposal in preparation for the Frankfurt Book Fair I’m leaving for tomorrow, I finally started writing on the journey back home from London. Here’s some stuff in English. Your comments and suggestions are welcome, as always.

I know of a couple of people in the English-speaking world who are doing great work on teenagers and the internet. One of them is danah boyd. She has traveled all over the US and interviewed dozens of teens for her PHD. Another is Anastasia Goodstein, who has written the excellent book “Totally Wired“, aimed at parents of today’s connected teenagers.

While reading “Totally Wired”, I have to admit I started rethinking my book project. I took the decision to write “The Book” because I noticed a huge void in the French-speaking world. No danah or Anastasia that I know of. Parents and educators need a sane book in French on teenagers and the internet, written by somebody who actually knows and understand the online world. Why not simply translate Anastasia’s book?

I’ve thought about it. For personal reasons, I do want to write a book, and this seems a good and useful subject for one. But is my personal desire to be a published author getting in the way of doing what makes most sense, and putting my energy where it will really be useful? I see two reasons for which this is not the case:

  1. Anastasia’s book is US-centric. Although I believe that “internet culture” does not change radically from one part of the world to another, there are differences between the US and French-speaking Europe that need to be taken into account. I could provide this “European perspective”.

  2. As a friend of mine told me, “this is important enough that we need more than one good book on the topic”. I can’t, of course, guarantee that my book will be “good”, but I promise that I’ll do my best. 😉

Parents and educators of Francophonia need a guide to their teenagers’ internet. And beyond that, we need to understand the impact all these technological spaces are having on the way we build relationships and relate to each other.

De la "prévention internet" [en]

[fr] Thursday evening, I went to listen to a conference given by a local high-ranking police officer who has specialised in tracking down pedophiles on the internet. His presentation was titled "Dangers of the Internet", and I was expecting to hear warnings about excessive pornography consumption and predators lurking in chatrooms.

That's exactly what I heard.

Before going, I had intended to blog viciously about the conference. I changed my mind. I changed my mind because first of all, I spoke up a few times during the conference to ask for numbers, give information I had gathered from other sources, or simply state my discomfort with some of the "official" messages targeted at kids to "keep them safe".

Then, after the talk, I went to have a chat with the speaker. I realised that we agreed on quite a few things, actually. Our angle is different when presenting, of course, and more importantly, his job is to hunt down pedophiles, not talk about the internet and teenagers to the public (which, in a way, is mine).

To cut a long story short, I had a few interesting conversations during that evening, which left me more motivated than ever to get on with my book project on the subject of teenagers and the internet. Problems are complex, solutions aren't simple. And around here, there is little money available to run awareness operations correctly.

Jeudi soir, je suis allée assister à une conférence sur les dangers d’internet, donnée par Arnold Poot, Inspecteur principal adjoint à la police cantonale vaudoise, spécialisé dans la traque au matériel pédophile sur internet. J’y suis allée prête à me retrouver devant le “discours attendu” au sujet des prédateurs sexuels sur internet. Je n’ai pas été déçue. Pour être brutalement honnête, j’avais aussi la ferme intention de bloguer tout ça, de prendre des notes, et de montrer méchamment du doigt les insuffisances d’une telle approche.

J’ai changé d’avis. Pas sur le fond, non. Je pense toujours qu’on exagère grandement le problème des prédateurs sexuels sur internet, et qu’à force de placer des miroirs déformants entre la réalité et nos discours, on finit par ne plus s’y retrouver. Par contre, je n’ai plus envie de démonter point par point la présentation qui nous a été faite.

Ceci n’est donc pas le billet que j’avais l’intention d’écrire. Attendez-vous donc à quelques ruminations personnelles et questionnements pas toujours faciles dans le long billet que vous avez commencé à lire.

Qu’est-ce qui a amené ce changement d’état d’esprit? C’est simple: une conversation. Au lieu de fulminer dans mon coin et de cracher du venin ensuite sur mon blog (mon projet initial — pas très reluisant, je l’admets), je suis à intervenue à quelques reprises durant la présentation pour apporter des informations qui m’amènent à avoir un autre regard sur certaines choses dites, et même pour exprimer mon désaccord face à une certaine conception de la prévention internet (“ne pas donner son nom ni d’informations personnelles”).

Il y a des semaines que je désire écrire un billet (toujours pas fait, donc) en français qui rend compte de la table ronde sur la victimisation des mineurs à laquelle a participé mon amie danah boyd, chercheuse travaillant sur la façon dont les jeunes construisent leur identité dans les espaces numériques. A cette table ronde, trois autres chercheurs actifs dans le domaine des crimes commis à l’encontre de mineurs. Je rentrerai dans les détails plus tard, mais si vous comprenez un peu d’anglais, je vous encourage vivement à lire ce que dit le Dr. David Finkelhor, directeur du Crimes against Children Research Center, en pages 3 à 6 de la retranscription PDF de cette discussion. (Le reste est fascinant aussi, je n’ai d’ailleurs pas fini de lire les 34 pages de la retranscription, mais l’essentiel pour comprendre ma prise de position ici se trouve dans ces trois-quatre pages.)

Mais ce n’est pas tout. Après la conférence, je suis allée discuter avec l’intervenant. Pour m’excuser de lui être ainsi rentré dans le cadre durant sa présentation, d’une part, mais aussi pour partager mon malaise face à certains messages véhiculés de façon générale autour de la question des pédophiles sur internet. Et j’ai été surprise.

Parce qu’en fin de compte, on était d’accord sur de nombreux points. Parce que son discours, comme il le dit, c’est celui “d’un flic qui arrête des pédophiles” — et pas autre chose. Son métier, c’est d’être policier, j’ai réalisé. Il nous a fait une présentation sur les dangers d’internet tels qu’ils apparaissent dans son quotidien de professionnel — ce qui n’est pas forcément la même chose que “rendre compte de la situation sur internet dans sa globalité” ou même “faire de la prévention”.

J’ai discuté longuement avec lui, puis avec deux enseignantes (dont une avait assisté à ma rapide présentation de l’internet social à la HEP en début d’année scolaire) qui font de la prévention internet dans les classes du primaire. Discussions intéressantes et sympathiques, mais où encore une fois, je n’ai pu que constater à quel point nous manquons de moyens (en fin de compte, cela reviendra toujours à une question d’argent) pour faire de la prévention “correctement”.

Je voudrais pouvoir former des gens à faire le genre d’intervention que je fais dans les écoles — et pas juste en leur donnant un survol de la situation durant 45 minutes. Mais qui, comment, avec quel argent? De plus, je réalise de plus en plus que pour faire de la prévention intelligente, d’une part il faut avoir identifié le problème (les dangers) correctement — ce qui est à mon avis souvent pas le cas lorsqu’il s’agit d’internet — et d’autre part, on retombe inévitablement sur des problèmes éducatifs de base (la relation parents-enfants, le dialogue) qui renvoient à un contexte de société encore plus général.

Que faire? Allez toquer chez Mme Lyon? Peut-être. Mais honnêtement, je n’aime pas “démarcher les gens à froid”, et je n’ai pas l’énergie pour ça. (Peut-être que je devrais le faire plus, mais pour le moment, c’est comme ça que je fonctionne.) Il y a assez de travail à faire avec les gens motivés, à moitié convaincus, ou au moins curieux, qui me contactent d’eux-mêmes. Oui, on critiquera peut-être, mais j’attends qu’on vienne me chercher. Ça changera peut-être un jour, mais je n’en suis honnêtement pas certaine.

Donc, que faire? Du coup, je retrouve un bon coup de pêche (pas que je l’avais perdue) pour mon projet de livre. Je crois que le public le plus important à toucher, c’est les parents, en l’occurrence. Et les gens “en charge de la prévention”. Peut-être qu’un livre serait utile.

J’ai fait plusieurs lectures ces derniers temps qui m’ont marquée. Tout d’abord, “Blink” et “The Tipping Point” de Malcolm Gladwell. Le premier s’intéresse à l’intuition, d’un point de vue scientifique. J’y ai retrouvé, exposées de façon bien plus précises, fouillées et argumentées, de nombreuses idées que j’avais fini par me faire, au cours des années, sur la question. Le deuxième examine ce qui fait “basculer” certains phénomènes: qu’est-ce qui fait qu’une idée ou une tendance à du succès? Il y parle de la propagation des idées, des différents types de personnalité qui y jouent un rôle clé, et donne aussi quelques exemples d’application des ces principes à… des problématiques de prévention.

Ensuite, livre dans lequel je suis plongée en ce moment: “The Culture of Fear” (Barry Glassner) — une critique sans complaisance de la façon dont la peur est promue par les médias et les gouvernements pour, entre autres, encourager à la consommation. C’est américain, oui. manchettes-peur Mais on est en plein dedans ici aussi: les chiens dangereux, le loup, l’ours maintenant, les étrangers bien sûr, les jeunes, la technologie… et les pédophiles tapis dans les chats sur internet, prêts à se jeter sur nos enfants sans défense. Ce n’est pas pour rien que le premier obstacle au bonheur est la télévision, où l’on nous rappelle sans cesse et si bien de quoi avoir peur et à quel point notre monde va mal.

Mes réflexions ces temps ont pour toile de fond ces lectures. Il y a aussi, dans la catégorie “billets jamais écrits”, “The Cluetrain Manifesto”. Achetez ce livre. Lisez-le. Ou si vous ne voulez pas l’acheter, lisez-le gratuitement sur le site. Ne vous arrêtez pas aux 95 thèses traduites en français que vous pouvez trouver sur internet. Le livre est bien moins obscur et va bien plus loin.

Bref, preuve en est ce billet destructuré, écrit petit bout par petit bout dans les transports publics de la région lausannoise, ça bouillonne dans mon cerveau. Et je me dis que la meilleure chose à faire, juste là maintenant, c’est de formaliser tout ça, par écrit. J’en parle, j’en parle, mais je réalise que je blogue très peu à ce sujet, parce qu’il y a trop à dire et que je ne sais pas très bien par où commencer. Quand j’ai décidé de partir cinq semaines aux Etats-Unis, je me suis dit que si rien ne se présentait côté “travail payé” (ce qui est le cas pour le moment, même si ça peut tout à fait changer une fois que je serai là-bas) ce serait une excellente occasion de me plonger sérieusement dans la rédaction de mon livre. Et là, je me sens plus motivée que jamais à le faire — même si au fond, je n’ai aucune idée comment on fait pour écrire un livre.