Du judo à la vie [fr]

[en] Understanding how 20 years on the judo mats wondering how I can make somebody want to put their foot here instead of there, and why I I put my foot there instead of here, might have something to do with my interest in UX, and more importantly, the subtext of a lot of my professional activities: always asking why somebody would do what we expect or want them to do (e.g. sign up for a blogger outreach activity), making sure they have a real interest in doing so, and also, putting myself in the shoes of users or readers.

Je suis en train de reprendre l’entrainement après de longs mois d’interruption pour cause de divers bobos. C’est marrant, car durant mon “arrêt” je n’ai pas eu le sentiment que le judo m’avait manqué des masses, mais en reprenant, qu’est-ce que j’ai eu du plaisir à pratiquer à nouveau!

Et peut-être grâce à ces mois de recul ou de distanciation, j’ai mis le doigt sur un lien judo-vie qui m’avait complètement échappé jusqu’ici. Parce qu’il y a toujours cette réflexion, au fond: mis à part me “défouler” et me faire transpirer, qu’est-ce que j’apprends ou intègre sur les tapis que je mets ensuite en pratique à l’extérieur du dojo?

Portes ouvertes au Reighikan Dojo

On entraînait des entrées. Le timing. Etre réceptif à l’autre. Et là, d’un coup, j’ai fait un lien tellement évident que je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai jamais vu avant. Enfin si, je comprends pourquoi. Mais ça fait plaisir de mettre le doigt dessus.

Dans mon activité professionnelle, une compétence que j’exerce beaucoup c’est de me mettre à la place de l’autre. On aurait tendance à appeler ça de l’empathie, mais c’est un peu différent. C’est plus: pourquoi l’autre ferait-il ce qu’on attend de lui? Quelle est sa motivation? Vu les circonstances, comment va-t-il agir? J’ai aussi un intérêt marqué pour l’UX (l’expérience utilisateur), sans en être une spécialiste.

Mais quand je travaille avec des clients pour réfléchir à comment ils pourraient utiliser les médias sociaux, avec qui ils cherchent à entrer en relation, je ne perds jamais cette question de vue: qu’est-ce que notre “setup” va encourager l’autre à faire? Que pouvons-nous changer pour l’inviter à agir autrement?

C’est du judo.

Quand on fait du judo, on passe notre temps à essayer de faire en sorte que l’autre avance le pied ici, recule le pied là, se place ainsi ou au contraire comme ça, nous donne un bras plutôt que l’autre, afin de pouvoir entrer les techniques qui nous réussissent le mieux. On n’a cesse de “tendre des pièges”, en quelque sorte, pour contrôler sans en avoir l’air le comportement de l’autre. Je n’aime pas les mots que je viens d’utiliser, je précise, parce que si on sort ça du contexte du judo, ça a des relents de sinistre manipulation.

Mais ça va plus loin: si mon partenaire/adversaire “sent” que je veux lui faire avancer le pied, il ne le fera pas. Je dois être subtile. Inviter plutôt que contraindre. En fait, créer une situation telle qu’il ait envie d’avancer le pied.

Dans le contexte du combat, on fait tout ça pour pouvoir faire tomber l’autre, “gagner”. Dans la vie et dans mon travail, je ne vois pas les choses comme ça. Il s’agit plutôt d’être sensible à leurs intérêts. Il y a un jeu d’équilibrisme, là. Pourquoi est-ce que quelqu’un s’abonnerait à ma newsletter? Quel intérêt aurait-il à participer à ce que je mets en place? Pourquoi aurait-il envie de s’inscrire?

Ces questions me paraissent triviales, elles me viennent naturellement. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas le cas pour tout le monde. Et là, réalisant que ça fait 20 ans que j’applique ça sur les tapis, je me dis que ce n’est peut-être pas pour rien.

J’ai fait un deuxième constat hier soir. C’était le premier, en fait. C’est le corollaire de ce que je viens d’expliquer.

Quand on apprend le judo, et qu’on pratique contre plus “fort” que soi, on tombe. On tombe beaucoup. Au début on ne comprend pas ce qui nous arrive. On ne voit rien. Puis, avec le temps, on commence à se voir tomber. On ne peut pas plus éviter la chute, mais au moins on sait sur quelle technique on est tombé. Puis on prend conscience de “l’erreur” qu’on a faite qui a permis l’entrée de l’autre, sans pour autant pouvoir l’éviter. Mais bon sang, pourquoi j’ai avancé encore ce fichu pied?

On passe beaucoup de temps à analyser ses actions, à se demander pourquoi on a fait ceci plutôt que cela. Ce qui nous a incité à le faire. En somme, on applique à nous-mêmes ce que je décris plus haut.

Dans ma vie professionnelle, je crois que c’est la même compétence que celle qui me permet de donner du feedback “éclairé” sur les services que j’utilise. Je sais à la fois m’observer “agir naturellement” et analyser pourquoi je le fais. Hier ou avant-hier, je testais un nouveau service développé par une connaissance. A un moment donné, je me suis retrouvée gênée par le comportement de l’application. J’ai eu un sentiment interne de rejet, et je me suis demandé pourquoi. Et j’ai trouvé: un pop-up qui ne disparaissait pas comme “je m’y attendais”, et qui de plus recouvrait l’endroit où je désirais ensuite cliquer. Je ne rentre pas plus dans les détails, mais c’est le même état d’esprit que “m’enfin, pourquoi j’ai avancé le pied?” C’est aussi le même état d’esprit que l’analyse de texte, que j’ai aussi énormément pratiquée durant mes études (au point que je dis aux gens que j’ai le module “analyse de texte” activé en permanence): pourquoi ce texte suscite-t-il en moi telle émotion, telle réaction? Comment cela s’explique-t-il au niveau mécanique, narration, linguistique?

Je pense que nos compétences sont un mélange de prédisposition (inné) et de répétition (acquis). J’ai déjà fait souvent des liens entre mes études (histoire et sciences des religions, philo, français) et mes compétences professionnelles, mais je ne l’avais jusqu’ici pas vraiment fait pour le judo. Mais c’est clair qu’il doit y en avoir. On ne passe pas 20 ans sur des tatamis, plusieurs heures par semaine, sans que ça contribue à nous faire qui nous sommes.

MySpace supprime les profils de 29'000 "délinquants sexuels" [en]

Il y a quelques jours, on a attiré mon attention sur cet article de la BBC, qui rapporte que le site MySpace (une sorte de super-Skyblog d’origine américaine) a supprimé de son site les profils de 29’000 “délinquants sexuels” (“sex offenders”).

J’ai écrit deux billets à ce sujet en anglais, qui ont reçu pas mal de couverture dans la blogosphère anglophone. J’ai aussi été interviewée par la radio BBC World suite à mon message leur signalant ma réaction.

Ces deux billets comportent un résumé bref en français que je reproduis ici pour plus de commodité.

MySpace exclut de son site 29’000 “sex offenders” (des gens qui ont été accusés de crimes sexuels) enregistrés. C’est problématique d’une part car suivant l’Etat dans lequel elles ont été condamnées, ces personnes enregistrées peuvent être coupables de choses aussi anodines que: relations homosexuelles, nudisme, uriner dans un lieu public, faire l’amour dans un lieu public, etc. D’autre part, je rappelle les chiffres provenant d’une récente étude sur les crimes sexuels impliquant des minteurs, qui vont à l’encontre de l’idée qu’on se fait habituellement de ce genre de cas. En agissant ainsi, possiblement poussés par la paranoïa ambiante, MySpace contribue à cette paranoïa. Je regrette que la presse joue systématiquement le jeu de la peur et ne se fasse pas l’avocate d’une attitude moins paniquée face à la question des prédateurs sexuels en ligne. (En résumé: les enfants courent plus de risques hors ligne qu’en ligne, et probablement bien plus à chaque fois qu’ils montent dans une voiture ou traversent la route…)

Stephanie Booth, MySpace Banning Sex Offenders: Online Predator Paranoia

Conseils aux parents (après mon interview à la BBC ce soir au sujet des “sex offenders” bannis de MySpace):

  • pas de panique, les prédateurs sexuels tels que nous les présentent les médias ne sont pas légion, votre enfant ne court pas des risques immodérés en étant sur internet;
  • dialoguez avec votre enfant; intéressez-vous à ce qu’il fait en ligne;
  • souvenez-vous que fournir des informations personnelles n’est pas un très grand risque; par contre, s’engager dans des relations de séduction avec des inconnus ou des amis adultes en ligne l’est.

J’ai écrit relativement peu en anglais à ce sujet jusqu’à maintenant. En français, lisez Adolescents, MySpace, internet: citations de danah boyd et Henry Jenkins, De la “prévention internet”, les billets en rapport avec mon projet de livre sur les adolescents et internet, et la documentation à l’attention des ados que j’ai rédigée pour ciao.ch.

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p class=”sig”>Stephanie Booth, Parents, Teenagers, Internet, Predators, Fear…

Donc, en faisant ma tournée sur technorati, pour voir qui a mentionné dans son blog l’article de la BBC, je suis tombée sur un billet en français qui se réjouissait de la nouvelle. Mon long commentaire à ce billet devenant trop long, j’ai décidé de le faire ici, sur mon blog, et du coup, de parler un peu de cette histoire pour mes lecteurs francophones:

Bonne nouvelle signée MySpace qui vient de supprimer 29.000 profils de délinquants sexuels américains errants sur son espace qui compte 80 millions internautes. La suppression a été effectuée grâce à son partenariat avec le bureau de vérification Sentinel Tech Holding Crop qui développe une base de données nationale de délinquants sexuels. La législation américaine facilite cette tâche car elle permet de consulter librement les fiches de ces déliquants sur le site du ministère de la justice…

M/S, MySpace a les yeux sur les délinquants sexuels

Comme je l’explique donc dans ma réaction à l’article de la BBC ce n’est pas une si bonne nouvelle que ça. Ce sont les états qui définissent ce qu’est un “délinquant sexuel”, et suivant où, on peut être sur une de ces listes pour avoir montré ses fesses en public. De plus, les profils supprimés seraient ceux où l’adresse e-mail fournie correspond à celle qui se trouve dans le dossier des délinquants sexuels. Vous pensez vraiment qu’un “pervers à la recherche de victimes” (et encore, voir plus bas pour ma réfutation de la forme qu’on donne au problème) serait aussi bête?

Aussi, la problématique des prédateurs sexuels sur internet est dramatisée et déformée par les médias. Tout d’abord, on perd de vue que la grande majorité des crimes sexuels sur mineurs impliquent la famille ou des amis proches de la famille (et non des inconnus ou “connaissances” provenant d’internet). Les cas faisant intervenir internet sont une minorité, et sont plus de l’ordre “relation de séduction d’ados” que “duperie et enlèvement d’enfants”. On peut légitimement se demander si une telle action de la part de MySpace est vraiment utile (il s’agit en fait plus de sauvegarder leur image), et si on n’est pas en train de se donner bonne conscience tout en évitant de faire de la prévention utile, mais quelque peu plus complexe (puisqu’il s’agit d’aller plonger dans la façon dont les adolescents vivent l’éveil de leur sexualité et de leurs premières relations amoureuses). Voir à ce sujet De la “prévention internet”, billet qui, au milieu de mes grands questionnements, aborde cette question.

Mon ami Kevin Anderson, journaliste américain vivant à Londres, a écrit un excellent billet au sujet de toute cette histoire suite à un interview assez frustrant qu’il a donné à la BBC: ‘Think of the children’. Yes, but also think about the journalism. Entre autres, il en appelle à la presse, qui couvre systématiquement ce genre d’événement selon l’angle “mon Dieu, ça grouille de pédophiles sur internet, enfin on fait quelque chose, mais est-ce suffisant?”

I am taking an issue with the format and the journalistic assumptions made. Yes, there is a problem here, but it’s not the one that is being shouted in the headlines. The facts don’t support the sensationalist story of a predator lurking behind every MySpace profile or blog post. As Steph points out in her posts, the threat to youth isn’t in them having blogs or being on social networks. The problem is one of emotionally vulnerable teens being preyed upon by opportunistic adults. It’s more complicated and less emotive than saying: Keep the paedos off of MySpace.

Kevin Anderson, ‘Think of the children’. Yes, but also think about the journalism

Après mon interview à la BBC il y a deux jours, j’ai envoyé à quelques (3-4) journalistes romands de ma connaissance un e-mail contenant un appel à une couverture plus “réaliste” que “sensationnelle” de cette histoire. Voici à quelques variations près le message que j’ai envoyé:

Vous avez peut-être entendu parler du fait que MySpace a “viré” de son
site 29’000 personnes se trouvant sur les listes de délinquants
sexuels tenues par les Etats aux USA. J’ai écrit une assez longue
réaction à ce sujet (en anglais) et me suis également faite
interviewer par la BBC.

En deux mots:

  • la définition de “sex offender” est problématique (dans certains
    états, on peut finir sur ces listes pour avoir montré ses fesses ou eu
    des relations homosexuelles)
  • une telle action de la part de MySpace (pour sauver leur image,
    principalement) est problématique d’une part car elle renforce la peur
    (peu justifiée) ambiante autour des prédateurs sexuels en ligne, et
    d’autre part car c’est une mesure peu utile car elle est déconnectée
    de la réalité des “problèmes/agressions à caractère sexuel” que
    rencontrent les ados en ligne.

[liens vers mes deux articles]

Je ne sais pas si c’est votre rayon ou non et si ça vous intéresse,
mais si vous connaissez quelqu’un qui serait susceptible de couvrir
cette histoire sous cet angle (un angle qui manque cruellement dans
les médias “traditionnels”) n’hésitez pas à leur dire de prendre
contact avec moi (+41 78 625 44 74).

Deux réponses intéressées à ce jour (une personne en vacances qui a retransmis le mail, et un quotidien local pour qui ce n’est peut-être pas évident de couvrir un tel sujet international). Je réitère donc ici mon appel: y’a-t-il une publication romande qui veuille relever le défi?