De la "prévention internet" [en]

[fr] Thursday evening, I went to listen to a conference given by a local high-ranking police officer who has specialised in tracking down pedophiles on the internet. His presentation was titled "Dangers of the Internet", and I was expecting to hear warnings about excessive pornography consumption and predators lurking in chatrooms.

That's exactly what I heard.

Before going, I had intended to blog viciously about the conference. I changed my mind. I changed my mind because first of all, I spoke up a few times during the conference to ask for numbers, give information I had gathered from other sources, or simply state my discomfort with some of the "official" messages targeted at kids to "keep them safe".

Then, after the talk, I went to have a chat with the speaker. I realised that we agreed on quite a few things, actually. Our angle is different when presenting, of course, and more importantly, his job is to hunt down pedophiles, not talk about the internet and teenagers to the public (which, in a way, is mine).

To cut a long story short, I had a few interesting conversations during that evening, which left me more motivated than ever to get on with my book project on the subject of teenagers and the internet. Problems are complex, solutions aren't simple. And around here, there is little money available to run awareness operations correctly.

Jeudi soir, je suis allée assister à une conférence sur les dangers d’internet, donnée par Arnold Poot, Inspecteur principal adjoint à la police cantonale vaudoise, spécialisé dans la traque au matériel pédophile sur internet. J’y suis allée prête à me retrouver devant le “discours attendu” au sujet des prédateurs sexuels sur internet. Je n’ai pas été déçue. Pour être brutalement honnête, j’avais aussi la ferme intention de bloguer tout ça, de prendre des notes, et de montrer méchamment du doigt les insuffisances d’une telle approche.

J’ai changé d’avis. Pas sur le fond, non. Je pense toujours qu’on exagère grandement le problème des prédateurs sexuels sur internet, et qu’à force de placer des miroirs déformants entre la réalité et nos discours, on finit par ne plus s’y retrouver. Par contre, je n’ai plus envie de démonter point par point la présentation qui nous a été faite.

Ceci n’est donc pas le billet que j’avais l’intention d’écrire. Attendez-vous donc à quelques ruminations personnelles et questionnements pas toujours faciles dans le long billet que vous avez commencé à lire.

Qu’est-ce qui a amené ce changement d’état d’esprit? C’est simple: une conversation. Au lieu de fulminer dans mon coin et de cracher du venin ensuite sur mon blog (mon projet initial — pas très reluisant, je l’admets), je suis à intervenue à quelques reprises durant la présentation pour apporter des informations qui m’amènent à avoir un autre regard sur certaines choses dites, et même pour exprimer mon désaccord face à une certaine conception de la prévention internet (“ne pas donner son nom ni d’informations personnelles”).

Il y a des semaines que je désire écrire un billet (toujours pas fait, donc) en français qui rend compte de la table ronde sur la victimisation des mineurs à laquelle a participé mon amie danah boyd, chercheuse travaillant sur la façon dont les jeunes construisent leur identité dans les espaces numériques. A cette table ronde, trois autres chercheurs actifs dans le domaine des crimes commis à l’encontre de mineurs. Je rentrerai dans les détails plus tard, mais si vous comprenez un peu d’anglais, je vous encourage vivement à lire ce que dit le Dr. David Finkelhor, directeur du Crimes against Children Research Center, en pages 3 à 6 de la retranscription PDF de cette discussion. (Le reste est fascinant aussi, je n’ai d’ailleurs pas fini de lire les 34 pages de la retranscription, mais l’essentiel pour comprendre ma prise de position ici se trouve dans ces trois-quatre pages.)

Mais ce n’est pas tout. Après la conférence, je suis allée discuter avec l’intervenant. Pour m’excuser de lui être ainsi rentré dans le cadre durant sa présentation, d’une part, mais aussi pour partager mon malaise face à certains messages véhiculés de façon générale autour de la question des pédophiles sur internet. Et j’ai été surprise.

Parce qu’en fin de compte, on était d’accord sur de nombreux points. Parce que son discours, comme il le dit, c’est celui “d’un flic qui arrête des pédophiles” — et pas autre chose. Son métier, c’est d’être policier, j’ai réalisé. Il nous a fait une présentation sur les dangers d’internet tels qu’ils apparaissent dans son quotidien de professionnel — ce qui n’est pas forcément la même chose que “rendre compte de la situation sur internet dans sa globalité” ou même “faire de la prévention”.

J’ai discuté longuement avec lui, puis avec deux enseignantes (dont une avait assisté à ma rapide présentation de l’internet social à la HEP en début d’année scolaire) qui font de la prévention internet dans les classes du primaire. Discussions intéressantes et sympathiques, mais où encore une fois, je n’ai pu que constater à quel point nous manquons de moyens (en fin de compte, cela reviendra toujours à une question d’argent) pour faire de la prévention “correctement”.

Je voudrais pouvoir former des gens à faire le genre d’intervention que je fais dans les écoles — et pas juste en leur donnant un survol de la situation durant 45 minutes. Mais qui, comment, avec quel argent? De plus, je réalise de plus en plus que pour faire de la prévention intelligente, d’une part il faut avoir identifié le problème (les dangers) correctement — ce qui est à mon avis souvent pas le cas lorsqu’il s’agit d’internet — et d’autre part, on retombe inévitablement sur des problèmes éducatifs de base (la relation parents-enfants, le dialogue) qui renvoient à un contexte de société encore plus général.

Que faire? Allez toquer chez Mme Lyon? Peut-être. Mais honnêtement, je n’aime pas “démarcher les gens à froid”, et je n’ai pas l’énergie pour ça. (Peut-être que je devrais le faire plus, mais pour le moment, c’est comme ça que je fonctionne.) Il y a assez de travail à faire avec les gens motivés, à moitié convaincus, ou au moins curieux, qui me contactent d’eux-mêmes. Oui, on critiquera peut-être, mais j’attends qu’on vienne me chercher. Ça changera peut-être un jour, mais je n’en suis honnêtement pas certaine.

Donc, que faire? Du coup, je retrouve un bon coup de pêche (pas que je l’avais perdue) pour mon projet de livre. Je crois que le public le plus important à toucher, c’est les parents, en l’occurrence. Et les gens “en charge de la prévention”. Peut-être qu’un livre serait utile.

J’ai fait plusieurs lectures ces derniers temps qui m’ont marquée. Tout d’abord, “Blink” et “The Tipping Point” de Malcolm Gladwell. Le premier s’intéresse à l’intuition, d’un point de vue scientifique. J’y ai retrouvé, exposées de façon bien plus précises, fouillées et argumentées, de nombreuses idées que j’avais fini par me faire, au cours des années, sur la question. Le deuxième examine ce qui fait “basculer” certains phénomènes: qu’est-ce qui fait qu’une idée ou une tendance à du succès? Il y parle de la propagation des idées, des différents types de personnalité qui y jouent un rôle clé, et donne aussi quelques exemples d’application des ces principes à… des problématiques de prévention.

Ensuite, livre dans lequel je suis plongée en ce moment: “The Culture of Fear” (Barry Glassner) — une critique sans complaisance de la façon dont la peur est promue par les médias et les gouvernements pour, entre autres, encourager à la consommation. C’est américain, oui. manchettes-peur Mais on est en plein dedans ici aussi: les chiens dangereux, le loup, l’ours maintenant, les étrangers bien sûr, les jeunes, la technologie… et les pédophiles tapis dans les chats sur internet, prêts à se jeter sur nos enfants sans défense. Ce n’est pas pour rien que le premier obstacle au bonheur est la télévision, où l’on nous rappelle sans cesse et si bien de quoi avoir peur et à quel point notre monde va mal.

Mes réflexions ces temps ont pour toile de fond ces lectures. Il y a aussi, dans la catégorie “billets jamais écrits”, “The Cluetrain Manifesto”. Achetez ce livre. Lisez-le. Ou si vous ne voulez pas l’acheter, lisez-le gratuitement sur le site. Ne vous arrêtez pas aux 95 thèses traduites en français que vous pouvez trouver sur internet. Le livre est bien moins obscur et va bien plus loin.

Bref, preuve en est ce billet destructuré, écrit petit bout par petit bout dans les transports publics de la région lausannoise, ça bouillonne dans mon cerveau. Et je me dis que la meilleure chose à faire, juste là maintenant, c’est de formaliser tout ça, par écrit. J’en parle, j’en parle, mais je réalise que je blogue très peu à ce sujet, parce qu’il y a trop à dire et que je ne sais pas très bien par où commencer. Quand j’ai décidé de partir cinq semaines aux Etats-Unis, je me suis dit que si rien ne se présentait côté “travail payé” (ce qui est le cas pour le moment, même si ça peut tout à fait changer une fois que je serai là-bas) ce serait une excellente occasion de me plonger sérieusement dans la rédaction de mon livre. Et là, je me sens plus motivée que jamais à le faire — même si au fond, je n’ai aucune idée comment on fait pour écrire un livre.

Affaire Erard: épilogue [fr]

Le fin mot de mon aventure avec le Quotidien La Côte, suite à l’article de Luc-Olivier Erard sur le spam pornographique trouvé sur mes blogs d’élèves.

[en] My reaction to the article about comment spam in my school blogs was published, and I'm happy about that. However, there is still no link (and there probably will never be) to my explanations on the online version of Luc-Olivier Erard's article.

Vous êtes bien nombreux à m’avoir demandé comment s’était finie l’affaire Luc-Olivier Erard. En exclusivité sur votre écran, voici la suite (et la fin) de cette aventure médiatique.

Le lendemain de ma réaction à son article, soit jeudi, M. Erard répondait au mail que je lui avais envoyé mardi soir pour m’informer qu’un droit de réponse m’était ouvert. Il se mettait à disposition pour une interview (avec moi, ou un(e) collègue si je préférais) dont nous définirions ensemble les modalités.

Le temps de finir la semaine et de discuter brièvement avec mon directeur et le responsable informatique, j’ai envoyé le mail suivant à M. Erard et à son rédacteur en chef:

M. Erard, M. Vallat,

je vous écris suite à la parution dans l’édition de mercredi de La Côte de l’article intitulé “Les élèves du bourg risquent le pire d’internet”.

Cet article mettant en cause aussi bien ma personne que le projet que j’ai mené avec mes élèves, je désire faire valoir mon droit de réponse, à titre personnel. En revanche (vu la tournure des événements) je ne souhaite pas accorder d’interview à M. Erard, comme il me l’a proposé.

La réaction relativement exhaustive que j’ai publiée sur mon site internet (et que vous avez sans doute lue — https://climbtothestars.org/la-cote-2005-02-23 ) est certainement trop longue pour un droit de réponse, comme me l’a fait remarquer M. Erard. Je propose donc la chose suivante:

1.- ajout sur la page http://www.lacote.ch/art.asp?ID=17220 d’un lien bien visible et cliquable vers ma réaction https://climbtothestars.org/la-cote-2005-02-23 , le texte du lien étant “Réaction de Stephanie Booth à cet article, et clarifications”.

2.- publication dans la prochaine édition à paraître (lundi?) de l’encadré suivant, sur la même page que l’article initial:

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Droit de réponse: article inutilement alarmiste (Saint-Prex)
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*Réaction de Stephanie Booth à l’article intitulé “Saint-Prex: Les élèves du bourg risquent le pire d’internet (un site pour élèves suscite l’inquiétude), signé Luc-Olivier Erard (Mercredi 23.02.05)*

L’article de M. Erard est alarmiste et véhicule une image inexacte des faits dont il est question. En un mot, on peut même parler de désinformation. J’ai réagi à titre personnel sur mon weblog afin d’apporter un certain nombre de clarifications. J’invite donc les lecteurs de /La Côte/ à prendre connaissance de cette réaction à l’adresse internet suivante (vos commentaires y seront les bienvenus): https://climbtothestars.org/la-cote-2005-02-23

Stephanie Booth
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Je ne me fais aucune illusion quant au fait qu’un droit de réponse n’est jamais aussi visible et frappant que l’article qui l’a suscité. Je compte néanmoins sur vous pour faire faire en sorte qu’il soit assez mis en évidence pour attirer l’attention des lecteurs qui se seraient intéressés à l’article de M. Erard.

Si vous devez apporter des modifications à ma proposition, je vous prie de m’en informer au plus vite, de façon à ce que je puisse vous confirmer qu’elles me conviennent avant la publication.

Avec mes salutations distinguées,

Stephanie Booth

J’ai voulu mettre en copie le rédacteur en chef du Quotidien La Côte, M. Vallat, mais je n’ai malheureusement pas deviné correctement son adresse e-mail.

Le lundi, je recevais un accusé de lecture automatique de la part de M. Erard. Comme je n’avais toujours pas reçu de réaction de sa part à mon courrier, j’ai appelé directement le rédacteur en chef M. Vallat. Celui-ci s’est montré tout à fait aimable, et m’a dit que M. Erard ne lui avait pas transmis mon e-mail. Je lui en ai donc envoyé une copie, et il m’a rappelé aussitôt pour me proposer de développer quelque peu ma réponse (1000 signes environ), afin que mon droit de réponse paraisse dans le courrier des lecteurs (page 2 de l’édition de vendredi, “page la plus lue selon les sondages”).

Une bonne heure plus tard, grâce au soutien via ICQ de Flippy et Frédoche (mille mercis), d’une petite rallonge de 300 caractères de la part de M. Vallat, et d’un délai de bouclage relativement souple, j’avais pondu la petite chose suivante:

De la pornographie dans une école! Voilà une occasion à ne pas manquer si l’on désire “susciter l’inquiétude”. D’autant plus si l’enseignante responsable semble avoir soigneusement caché, lors de son passage à la TV, qu’elle exposait ses élèves chaque semaine depuis le début de l’année scolaire à de la pornographie zoophile sur internet.

La réalité, bien moins scandaleuse, n’aurait mérité qu’un entrefilet déplorant l’âpreté de la lutte contre les pollueurs de commentaires. Adieu, article juteux et grands titres accrocheurs en première page!

Les commentaires qui ont choqué M. Erard se trouvent sur des sites que les élèves n’alimentent plus, très rarement visités. Ces “spams de commentaires” (cousins germains des spams d’e-mail) frappent tous les blogs. Un petit nombre d’entre eux échappent au filtre.

Devant l’impossibilité d’offrir aux élèves un internet 100% stérilisé, faut-il interdire les weblogs? L’e-mail? Internet tout court? Ou bien faut-il outiller nos élèves pour affronter le monde réel?

Internet fait peur, mais c’est un outil précieux, qui permet par exemple de réagir face à la désinformation. J’invite donc les lecteurs de ‘La Côte’ à lire en ligne l’entier de ma réaction à l’article de M. Erard: https://climbtothestars.org/la-cote-2005-02-23

Mon texte a paru comme prévu (à quelques virgules près) dans le courrier des lecteurs de vendredi. J’apprécie d’ailleurs que La Côte ait reproduit dans mon droit de réponse la saisie d’écran qui illustrait le fameux article — un rappel visuel pour les lecteurs de l’article original.

Ce mercredi, par contre, j’étais toujours sans nouvelles (malgré un rappel à ce sujet envoyé à M. Vallat le jour de la parution de mon droit de réponse) concernant ma demande qu’un lien vers ma réaction plus complète en ligne soit ajouté à la version en ligne de l’article de M. Erard.

J’ai donc appelé une nouvelle fois M. Vallat, qui m’a donné le sentiment que l’édition en ligne de son journal n’était pas une chose très présente à son esprit. Là , franchement, il m’a paru un peu moins coopératif. Certes, un rédacteur en chef a beaucoup de responsabilités, mais quand on publie du contenu en ligne, il faut assumer! D’après ce qu’il m’a expliqué, la version en ligne de La Côte est gérée entièrement par une entreprise externe, et ils n’ont aucune prise directe sur le contenu. Les articles sont ajoutés au site de façon automatisée, et changer quoi que ce soit au contenu de l’un d’eux une fois qu’il est mis en ligne relève de la mission impossible.

Face à mon insistance, il a dit qu’il regarderait avec eux “ce qu’on pouvait faire”. Comme on peut le constater, rien n’a bougé, et puisqu’il a refusé net de me tenir au courant du résultat de ses démarches (me faisant comprendre par là même que l’affaire était classée et qu’il serait plutôt malvenu que je revienne à la charge), je ne sais pas si quoi que ce soit a été entrepris ou non. Techniquement, il s’agit très certainement d’apporter une légère modification au contenu d’un champ texte dans une base de données — loin d’être la mer à boire, si vous voulez mon avis.

Bref, voilà , une fin un peu en queue de poisson. Je tiens à remercier toutes les personnes qui se sont exprimées sur cette histoire (même si parfois c’est allé franchement trop loin), en particulier Mario et les élèves de l’Institut St-Joseph au Québec. Mes collègues et moi avons été époustouflés par les qualités d’écriture de ces enfants, bien supérieures à celles de la plupart des élèves vaudois ayant quelques années de plus!

Le mot de la fin, pour ceux qui se seraient inquiétés à mon sujet: sachez que mon entourage professionnel n’a nullement mordu à l’hameçon du scandale tendu par M. Erard, et donc que je n’ai eu à souffrir aucune répercussion négative suite à cette histoire. Je remercie d’ailleurs les personnes concernées de savoir faire preuve d’un peu plus de maturité que certains journalistes!