4.12.2020 22:38
Un jour de cauchemar recouvert de neige
Mon trĂšs vieux chat, si frĂȘle et doux
Le temps des adieux, Ă moins d’un miracle
Il y en a eu des miracles, mais cette fois je n’y crois plus
Ton vieux corps sur le fil, Ă l’aube de tes vingt ans
Ton corps qui dit “je ne peux plus”
Et mes larmes qui coulent sur ta fourrure et dans des mouchoirs
Tes vielles pattes qui ne veulent plus te porter
Le ronron que j’ai entendu il y encore quelques jours
Eteint
Impossible Ă rallumer
J’essaie d’imaginer un lendemain sans toi
Je ne veux pas, mais tu ne peux plus
Il est venu le jour de cauchemar
Faut-il encore se battre?
Il faut bien mourir de quelque chose
Le premier jour de vraie neige
Un hiver que tu ne passeras pas
Un printemps que tu ne verras pas
Mon trĂšs vieux chat, compagnon de toutes mes nuits
Ma boĂźte Ă ronron, quand elle fonctionnait encore
Mon chasseur de souris, voleurs d’oeufs de pigeon
Tiens, cela fait bien longtemps que tu n’as plus appelĂ© le service d’Ă©tage
Tu vois, mine de rien, au fil du temps
Le lent dĂ©clin qu’on perçoit Ă peine
Inéluctable, un mot usé comme ton pauvre corps
Le bout d’une vie longue comme ces lignes
Que j’alimente encore et encore
Pour ne pas en voir la fin
Pour ne pas te dire adieu.

5.12.2020 19:55
Quand est-ce que c’est “le bon moment”?
Jusqu’ici, j’ai eu la “chance” d’endormir mes chats dans des situations oĂč il n’y avait pas photo, pour abrĂ©ger une agonie claire.
J’ai rĂ©alisĂ© il y a trĂšs peu de temps â avant toutefois que Quintus ne dĂ©gringole â que ma plus grande peur par rapport Ă sa mort n’Ă©tait pas tant la mort elle-mĂȘme (ça toutefois la mort avec toute sa charrette d’enjeux) mais l’idĂ©e que je risque de prendre la dĂ©cision irrĂ©mĂ©diable alors qu’il aurait encore eu une chance de s’en tirer.
Je ne compte plus le nombre de fois oĂč on a pensĂ© que c’Ă©tait cuit pour lui, et oĂč contre toute attente il a remontĂ© la pente. La mort, c’est final. Et toutes ces fois, j’aurais pu dĂ©cider que c’Ă©tait “fini”. En janvier, il a fait une insuffisance rĂ©nale aiguĂ«. Quasi une semaine sous perf chez le vĂ©to. Le “dernier” jour, celui dont on avait dit “si c’est pas mieux lĂ , c’est cuit”, on a vu une lueur d’amĂ©lioration. On lui a donnĂ© un jour de plus. On est en dĂ©cembre. Il aura eu presque un an de vie, de petit vieux, certes, mais avec des caresses des ronrons, des siestes et des Ă©tirements confortables…
A un jour prĂšs il n’aurait pas eu cette presque-annĂ©e.
J’essaie de me rĂ©concilier avec l’idĂ©e que je ne peux pas garantir que ma dĂ©cision de mettre fin Ă ses jours sera “le bon moment”. Ce soir, il est plus serein, sa tempĂ©rature est stable. Mais il est trĂšs faible, ne mange et ne boit pas par lui-mĂȘme, n’arrive pas Ă aller Ă sa caisse, se dĂ©place Ă peine.
Clairement une vie comme ça, ça ne va pas. Mais pendant qu’il est comme ça, on essaie de lui donner une chance: rĂ©hydratation, nourriture Ă la seringue, le rĂ©chauffer, mĂ©dicament pour aider le transit Ă repartir. Mais on fait ça combien de temps?
J’ai trouvĂ© une vĂ©tĂ©rinaire qui pourrait venir faire une euthanasie Ă domicile demain aprĂšs-midi. On a dit qu’on faisait le point demain matin.
Si ça empire, la dĂ©cision est facile. Si rien ne change, je pense aussi que les choses sont claires. J’ai congĂ© dimanche et lundi, mais je reprends le travail mardi, donc Ă partir de ce moment-là ça me sera impossible de m’occuper de lui d’aussi prĂšs, et le mettre encore x jours en box chez le vĂ©tĂ©rinaire sous perf, pour si peu de chances d’une issue favorable, je ne crois pas que ce soit juste pour lui.
Mais si â et c’est ce que je crains â il y a une lĂ©gĂšre amĂ©lioration? S’il maintient sa tempĂ©rature, s’il donne un coup de langue Ă la seringue quand je lui donne Ă manger, s’il tient un peu mieux sur ses pattes? Faut-il continuer Ă lui donner une chance, ou bien se dire que mĂȘme s’il remonte un peu la pente, les chances qu’il puisse retrouver sa qualitĂ© de vie d’avant et ĂȘtre assez autonome sont trop faibles?
Je ne vous demande pas de rĂ©pondre Ă ces questions. Mais ce sont celles que je me pose, celles qui m’empĂȘchent de dormir, et qui, disons-le, me torturent un peu.
J’ai peur de prendre la dĂ©cision “trop tĂŽt”, de le priver d’un bout de vie qu’il serait capable d’avoir et qui en vaudrait la peine.
Et j’ai du mal Ă me rĂ©soudre Ă accepter de prendre ce risque.
Viennent aussi les considĂ©rations “pratiques”. C’est dur de devoir prendre ça en compte. Je suis prise Ă plein temps (travail et formation) de mardi Ă dimanche. D’une certaine façon, il “vaut mieux”, pour moi et probablement pour lui, que tout s’arrĂȘte demain, ici, dans une relative sĂ©rĂ©nitĂ©, que risquer de partir dans une semaine avec des hospits, ou alors une derniĂšre journĂ©e ou deux Ă la maison dans des conditions encore plus dĂ©gradĂ©es qu’aujourd’hui, et sans que je sois avec lui.
J’ai du mal, lĂ , vraiment.

6.12.2020 3:38
36.1: la fin des haricots. La tempĂ©rature de ton corps aprĂšs trois heures de mon sommeil. Tu t’es couchĂ© au fond du couloir, sur le parquet â boudant ou ne retrouvant pas tes tapis chauffants. Ton corps est au bout, tu es au bout, et moi aussi je suis au bout de ce que je peux faire pour t’aider. Hier aprĂšs-midi, ta tempĂ©rature Ă©tait stable. Mais il suffit que je ne veille pas pour qu’elle dĂ©gringole. Tu dĂ©pends des bouillottes et du tapis chauffant, et moi je ne peux pas t’empĂȘcher de le quitter. Alors oui, je peux te remplir de nourriture et d’eau, encore quelques heures, encore quelques jours, mais ton organisme a posĂ© les plaques. 20 ans, presque 20 ans, juste pas 20 ans. Ăa reste une vie de chat extrĂȘmement longue. Et depuis plusieurs annĂ©es, tu es malade, mine de rien. PlutĂŽt trois ou quatre fois qu’une. Alors on peut pardonner â je dois pardonner â Ă ton corps de ne plus pouvoir. Il a Ă©tĂ© bien vaillant jusqu’ici, mais tout le monde a ses limites, y compris toi.
Je ne suis pas sĂ»re de croire que “tu sais”, que tu “n’as plus envie”. Je pense plutĂŽt qu’il y a ce que tu peux et ne peux plus, qu’il y a le mal-ĂȘtre et le bien-ĂȘtre. Je ne crois pas que tu essaies de me dire quoi que ce soit; je sais que tu es, tout simplement. Peu importe au final ce qui fait que tu ne reviens pas lĂ oĂč tu te rĂ©chaufferais, que ta tempĂ©rature dĂ©gringole, que ton appĂ©tit s’est fait la malle. Ce qui compte, c’est que c’est comme ça, et que mĂȘme en faisant “ce qu’il faut” pour te rĂ©chauffer, pour te soutenir, pour te nourrir, rien n’y fait. C’est important pour moi, ça, de savoir que j’ai fait “ce qu’il faut”, que je n’ai pas baissĂ© les bras trop tĂŽt. Si j’Ă©tais du genre Ă baisser les bras trop tĂŽt je t’aurais perdu il y a des annĂ©es. On aurait ratĂ© encore un joli bout de chemin ensemble â et quoi qu’en pensent certains, il l’Ă©tait aussi pour toi.
On n’a qu’une vie, et quand elle s’arrĂȘte, c’est terminĂ©. Pour toujours. C’est ça que je crois. Alors il m’importe d’ĂȘtre lĂ jusqu’au bout, de ne pas rendre les armes alors qu’il en reste, de la vie Ă ĂȘtre vĂ©cue, de la vie qui ait un sens. Ne pas souffrir est important, mais Ă ne regarder que la souffrance (physique gĂ©nĂ©ralement), qui peut ĂȘtre temporaire, et Ă Ă©riger l’absence de celle-ci en valeur suprĂȘme, je crois que l’on se fourvoie. A l’extrĂȘme, la vie Ă©tant inextricable d’une certaine dose de souffrance (ou mĂȘme “Ă©tant souffrance”, quand on traduit maladroitement le bouddhisme dans nos langues d’Occident), on en viendrait Ă une posture un peu simpliste de nĂ©gation pure et simple de la vie. Pas de vie, pas de souffrance. On voit bien que ce n’est pas satisfaisant.
A la question de la souffrance, je prĂ©fĂšre celle du sens, Ă laquelle on peut subordonner la premiĂšre. Ainsi, la souffrance et la tolĂ©rance de celle-ci est Ă Ă©valuer Ă l’aune du sens dans laquelle elle s’insert. On peut souffrir de façon transitoire, car cette souffrance “a un sens” dans une vision plus globale. On peut accepter une certaine dose de souffrance mĂȘme chronique dans une vie, parce que cette vie a un sens au-delĂ de cette souffrance. Le problĂšme n’est pas la souffrance en tant que tel, mais son intensitĂ©, sa durabilitĂ©, et son contexte.
La question du sens n’est pas sans ses propres Ă©cueils nihilistes, bien entendu. Mais Ă l’Ă©chelle d’une vie, face Ă la mort, je trouve qu’elle tient encore la route.
Et lĂ , mon trĂšs vieux chat, le sens est en train de nous Ă©chapper, avec sa copine l’espoir. Ton Ă©tat n’Ă©volue pas. Le maintenir stable demande un travail impossible Ă fournir sur le long terme, pour une qualitĂ© de vie qui n’est pas acceptable.
Je pense que demain sera le jour. “Demain”… je veux dire aujourd’hui, plus tard, aprĂšs la nuit.

6.12.2020 15:29
J’attends demain. AprĂšs une nuit oĂč tout semblait clair, le matin a apportĂ© un faible ronron, une tĂȘte qui rĂ©agit aux caresses, des coups de langue dans le bol de patĂ©e offerte, une longue sĂ©ance de boisson Ă la fontaine, et mĂȘme un pipi dans la caisse cet aprĂšs-midi. Globalement, il est aussi plus confortable dans sa position.
C’est extrĂȘmement difficile: les chances qu’il soit suffisamment bien demain restent faibles. Aussi, je suis Ă©puisĂ©e, Ă©reintĂ©e des ascenseurs Ă©motionnels, fatiguĂ©e du souci constant et de la mort Ă l’horizon depuis des annĂ©es.
Contrairement Ă d’autres personnes qui ont la hantise d’attendre un jour trop tard, la mienne est d’agir trop tĂŽt. On aurait pu faire ça cet aprĂšs-midi. Mais j’aurais trop doutĂ©: aurait-il fallu lui laisser encore un jour pour montrer de quoi il Ă©tait capable?
Au fond, je pense que ça ne changera pas grand-chose. Demain sera comme aujourd’hui. Mais il y a une petite chance que ce soit plus clair, soit dans un sens, soit dans l’autre. Une petite chance que je puisse ĂȘtre plus sereine. 24h aussi encore pour se dire au revoir, dans des conditions pas trop mauvaises. Pour passer 5 minutes au soleil sur le balcon, enveloppĂ© avec une bouillotte dans un plaid.
Ce dont j’ai le plus peur, paradoxalement, c’est que demain il aille “trop bien”. Car autant je ne veux pas couper court Ă sa vie si elle a encore du temps en elle, autant je serai soulagĂ©e que tout ceci soit derriĂšre, malgrĂ© tout mon amour pour ce chat qui m’accompagne depuis bientĂŽt 9 ans.
Je me permets ce sursis parce qu’il est relativement serein. Parce qu’aujourd’hui est mieux qu’hier, cet aprĂšs-midi mieux que ce matin. Je sais que je ne fais que repousser l’inĂ©vitable. Egoistement, j’en viens presque Ă espĂ©rer que son Ă©tat se dĂ©grade nettement. Mais il y a tout Ă parier que demain ne clarifie rien, que je me retrouve avec un chat affaibli, mais qui mange, boit, va Ă sa caisse, ronronne et apprĂ©cie mes caresses. C’est une situation qui n’a pas de bonne solution.
Alors aujourd’hui je nous offre le luxe de juste vivre ensemble la fin de cette journĂ©e, sans trop penser Ă demain.
Et demain… on verra demain.

Quintus, Ă©tapes d’un adieu (2)