Quintus, étapes d’un adieu (1) [fr]

4.12.2020 22:38

Un jour de cauchemar recouvert de neige
Mon très vieux chat, si frêle et doux
Le temps des adieux, à moins d’un miracle
Il y en a eu des miracles, mais cette fois je n’y crois plus
Ton vieux corps sur le fil, à l’aube de tes vingt ans
Ton corps qui dit “je ne peux plus”
Et mes larmes qui coulent sur ta fourrure et dans des mouchoirs
Tes vielles pattes qui ne veulent plus te porter
Le ronron que j’ai entendu il y encore quelques jours
Eteint
Impossible à rallumer
J’essaie d’imaginer un lendemain sans toi
Je ne veux pas, mais tu ne peux plus
Il est venu le jour de cauchemar
Faut-il encore se battre?
Il faut bien mourir de quelque chose
Le premier jour de vraie neige
Un hiver que tu ne passeras pas
Un printemps que tu ne verras pas
Mon très vieux chat, compagnon de toutes mes nuits
Ma boîte à ronron, quand elle fonctionnait encore
Mon chasseur de souris, voleurs d’oeufs de pigeon
Tiens, cela fait bien longtemps que tu n’as plus appelé le service d’étage
Tu vois, mine de rien, au fil du temps
Le lent déclin qu’on perçoit à peine
Inéluctable, un mot usé comme ton pauvre corps
Le bout d’une vie longue comme ces lignes
Que j’alimente encore et encore
Pour ne pas en voir la fin
Pour ne pas te dire adieu.

5.12.2020 19:55

Quand est-ce que c’est “le bon moment”?

Jusqu’ici, j’ai eu la “chance” d’endormir mes chats dans des situations où il n’y avait pas photo, pour abréger une agonie claire.

J’ai réalisé il y a très peu de temps – avant toutefois que Quintus ne dégringole – que ma plus grande peur par rapport à sa mort n’était pas tant la mort elle-même (ça toutefois la mort avec toute sa charrette d’enjeux) mais l’idée que je risque de prendre la décision irrémédiable alors qu’il aurait encore eu une chance de s’en tirer.

Je ne compte plus le nombre de fois où on a pensé que c’était cuit pour lui, et où contre toute attente il a remonté la pente. La mort, c’est final. Et toutes ces fois, j’aurais pu décider que c’était “fini”. En janvier, il a fait une insuffisance rénale aiguë. Quasi une semaine sous perf chez le véto. Le “dernier” jour, celui dont on avait dit “si c’est pas mieux là, c’est cuit”, on a vu une lueur d’amélioration. On lui a donné un jour de plus. On est en décembre. Il aura eu presque un an de vie, de petit vieux, certes, mais avec des caresses des ronrons, des siestes et des étirements confortables…
A un jour près il n’aurait pas eu cette presque-année.

J’essaie de me réconcilier avec l’idée que je ne peux pas garantir que ma décision de mettre fin à ses jours sera “le bon moment”. Ce soir, il est plus serein, sa température est stable. Mais il est très faible, ne mange et ne boit pas par lui-même, n’arrive pas à aller à sa caisse, se déplace à peine.

Clairement une vie comme ça, ça ne va pas. Mais pendant qu’il est comme ça, on essaie de lui donner une chance: réhydratation, nourriture à la seringue, le réchauffer, médicament pour aider le transit à repartir. Mais on fait ça combien de temps?

J’ai trouvé une vétérinaire qui pourrait venir faire une euthanasie à domicile demain après-midi. On a dit qu’on faisait le point demain matin.

Si ça empire, la décision est facile. Si rien ne change, je pense aussi que les choses sont claires. J’ai congé dimanche et lundi, mais je reprends le travail mardi, donc à partir de ce moment-là ça me sera impossible de m’occuper de lui d’aussi près, et le mettre encore x jours en box chez le vétérinaire sous perf, pour si peu de chances d’une issue favorable, je ne crois pas que ce soit juste pour lui.

Mais si – et c’est ce que je crains – il y a une légère amélioration? S’il maintient sa température, s’il donne un coup de langue à la seringue quand je lui donne à manger, s’il tient un peu mieux sur ses pattes? Faut-il continuer à lui donner une chance, ou bien se dire que même s’il remonte un peu la pente, les chances qu’il puisse retrouver sa qualité de vie d’avant et être assez autonome sont trop faibles?

Je ne vous demande pas de répondre à ces questions. Mais ce sont celles que je me pose, celles qui m’empêchent de dormir, et qui, disons-le, me torturent un peu.

J’ai peur de prendre la décision “trop tôt”, de le priver d’un bout de vie qu’il serait capable d’avoir et qui en vaudrait la peine.

Et j’ai du mal à me résoudre à accepter de prendre ce risque.

Viennent aussi les considérations “pratiques”. C’est dur de devoir prendre ça en compte. Je suis prise à plein temps (travail et formation) de mardi à dimanche. D’une certaine façon, il “vaut mieux”, pour moi et probablement pour lui, que tout s’arrête demain, ici, dans une relative sérénité, que risquer de partir dans une semaine avec des hospits, ou alors une dernière journée ou deux à la maison dans des conditions encore plus dégradées qu’aujourd’hui, et sans que je sois avec lui.

J’ai du mal, là, vraiment.

6.12.2020 3:38

36.1: la fin des haricots. La température de ton corps après trois heures de mon sommeil. Tu t’es couché au fond du couloir, sur le parquet – boudant ou ne retrouvant pas tes tapis chauffants. Ton corps est au bout, tu es au bout, et moi aussi je suis au bout de ce que je peux faire pour t’aider. Hier après-midi, ta température était stable. Mais il suffit que je ne veille pas pour qu’elle dégringole. Tu dépends des bouillottes et du tapis chauffant, et moi je ne peux pas t’empêcher de le quitter. Alors oui, je peux te remplir de nourriture et d’eau, encore quelques heures, encore quelques jours, mais ton organisme a posé les plaques. 20 ans, presque 20 ans, juste pas 20 ans. Ça reste une vie de chat extrêmement longue. Et depuis plusieurs années, tu es malade, mine de rien. Plutôt trois ou quatre fois qu’une. Alors on peut pardonner – je dois pardonner – à ton corps de ne plus pouvoir. Il a été bien vaillant jusqu’ici, mais tout le monde a ses limites, y compris toi.

Je ne suis pas sûre de croire que “tu sais”, que tu “n’as plus envie”. Je pense plutôt qu’il y a ce que tu peux et ne peux plus, qu’il y a le mal-être et le bien-être. Je ne crois pas que tu essaies de me dire quoi que ce soit; je sais que tu es, tout simplement. Peu importe au final ce qui fait que tu ne reviens pas là où tu te réchaufferais, que ta température dégringole, que ton appétit s’est fait la malle. Ce qui compte, c’est que c’est comme ça, et que même en faisant “ce qu’il faut” pour te réchauffer, pour te soutenir, pour te nourrir, rien n’y fait. C’est important pour moi, ça, de savoir que j’ai fait “ce qu’il faut”, que je n’ai pas baissé les bras trop tôt. Si j’étais du genre à baisser les bras trop tôt je t’aurais perdu il y a des années. On aurait raté encore un joli bout de chemin ensemble – et quoi qu’en pensent certains, il l’était aussi pour toi.

On n’a qu’une vie, et quand elle s’arrête, c’est terminé. Pour toujours. C’est ça que je crois. Alors il m’importe d’être là jusqu’au bout, de ne pas rendre les armes alors qu’il en reste, de la vie à être vécue, de la vie qui ait un sens. Ne pas souffrir est important, mais à ne regarder que la souffrance (physique généralement), qui peut être temporaire, et à ériger l’absence de celle-ci en valeur suprême, je crois que l’on se fourvoie. A l’extrême, la vie étant inextricable d’une certaine dose de souffrance (ou même “étant souffrance”, quand on traduit maladroitement le bouddhisme dans nos langues d’Occident), on en viendrait à une posture un peu simpliste de négation pure et simple de la vie. Pas de vie, pas de souffrance. On voit bien que ce n’est pas satisfaisant.

A la question de la souffrance, je préfère celle du sens, à laquelle on peut subordonner la première. Ainsi, la souffrance et la tolérance de celle-ci est à évaluer à l’aune du sens dans laquelle elle s’insert. On peut souffrir de façon transitoire, car cette souffrance “a un sens” dans une vision plus globale. On peut accepter une certaine dose de souffrance même chronique dans une vie, parce que cette vie a un sens au-delà de cette souffrance. Le problème n’est pas la souffrance en tant que tel, mais son intensité, sa durabilité, et son contexte.

La question du sens n’est pas sans ses propres écueils nihilistes, bien entendu. Mais à l’échelle d’une vie, face à la mort, je trouve qu’elle tient encore la route.

Et là, mon très vieux chat, le sens est en train de nous échapper, avec sa copine l’espoir. Ton état n’évolue pas. Le maintenir stable demande un travail impossible à fournir sur le long terme, pour une qualité de vie qui n’est pas acceptable.

Je pense que demain sera le jour. “Demain”… je veux dire aujourd’hui, plus tard, après la nuit.

6.12.2020 15:29

J’attends demain. Après une nuit où tout semblait clair, le matin a apporté un faible ronron, une tête qui réagit aux caresses, des coups de langue dans le bol de patée offerte, une longue séance de boisson à la fontaine, et même un pipi dans la caisse cet après-midi. Globalement, il est aussi plus confortable dans sa position.

C’est extrêmement difficile: les chances qu’il soit suffisamment bien demain restent faibles. Aussi, je suis épuisée, éreintée des ascenseurs émotionnels, fatiguée du souci constant et de la mort à l’horizon depuis des années.

Contrairement à d’autres personnes qui ont la hantise d’attendre un jour trop tard, la mienne est d’agir trop tôt. On aurait pu faire ça cet après-midi. Mais j’aurais trop douté: aurait-il fallu lui laisser encore un jour pour montrer de quoi il était capable?

Au fond, je pense que ça ne changera pas grand-chose. Demain sera comme aujourd’hui. Mais il y a une petite chance que ce soit plus clair, soit dans un sens, soit dans l’autre. Une petite chance que je puisse être plus sereine. 24h aussi encore pour se dire au revoir, dans des conditions pas trop mauvaises. Pour passer 5 minutes au soleil sur le balcon, enveloppé avec une bouillotte dans un plaid.

Ce dont j’ai le plus peur, paradoxalement, c’est que demain il aille “trop bien”. Car autant je ne veux pas couper court à sa vie si elle a encore du temps en elle, autant je serai soulagée que tout ceci soit derrière, malgré tout mon amour pour ce chat qui m’accompagne depuis bientôt 9 ans.
Je me permets ce sursis parce qu’il est relativement serein. Parce qu’aujourd’hui est mieux qu’hier, cet après-midi mieux que ce matin. Je sais que je ne fais que repousser l’inévitable. Egoistement, j’en viens presque à espérer que son état se dégrade nettement. Mais il y a tout à parier que demain ne clarifie rien, que je me retrouve avec un chat affaibli, mais qui mange, boit, va à sa caisse, ronronne et apprécie mes caresses. C’est une situation qui n’a pas de bonne solution.

Alors aujourd’hui je nous offre le luxe de juste vivre ensemble la fin de cette journée, sans trop penser à demain.

Et demain… on verra demain.

Quintus, étapes d’un adieu (2)

Pandemic Snippets 4 [en]

Crisp autumn morning
India is in the air
It’s not the smell
It’s the light
The chill of early cold season sun

The streets are waking up
I’m off somewhere
And so are they
It’s almost a smell
I miss India every now and then

I wonder when I will go back
It’s not easy
Between a pandemic
And limited leave
I try not to think too hard

Tears are already in my eyes.

La fatigue et moi [fr]

Ces jours, je suis fatiguée. La fatigue et moi, on se connaît depuis longtemps. Je n’ai jamais aimé aller me coucher, ni vraiment dormir (mais je me soigne). Voilà comment je pense les choses: la vie est trop courte, elle peut se terminer à tout instant (je vous laisse relier les points si vous connaissez mon histoire personnelle), il y a tant de choses que j’aimerais faire et je n’ai pas le temps, donc dormir c’est un peu une perte de temps.

Aussi, accessoirement, peut-être pas tant que ça en fait (je vous balade un peu), petite, j’avais peur de mourir pendant mon sommeil. (Il y a aussi des points à relier touchant à l’histoire personnelle, mais ce ne sont pas eux qui nous intéressent aujourd’hui.)

J’ai toujours aimé lire. A 9-10 ans, je me souviens d’avoir veillé jusqu’à passé minuit (!) pour finir mon livre (c’était L’affaire Caïus si ma mémoire est bonne). Ça a continué comme ça le reste de mon enfance, mon adolescence, et même jeune adulte. Je n’aimais pas aller me coucher et il y avait tant d’autres choses intéressantes à faire le soir (aussi: regarder la télé; puis: causer avec des gens à l’autre bout de la planète sur internet).

Me lever le matin… ouille ouille. Parce que mine de rien, j’ai besoin de mon sommeil, moi.

Quand j’étais étudiante en chimie, j’étais carrément en état de fatigue chronique. Je devais lutter pour ne pas m’endormir pendant les cours. A un moment donné, j’ai repris les choses en main: heure de coucher, journal des heures de sommeil, etc.

J’ai découvert ce qu’était la vie quand on est assez reposé. J’ai dit: “plus jamais ça”.

Indépendante, mon luxe était de ne pas avoir à mettre le réveil le matin. Puis, j’ai découvert qu’un certain rythme à mes nuits (après avoir fait vraiment n’importe quoi) avait aussi pour avantage que je me sentais mieux.

Avec les années, j’ai donc dompté ma tendance à brûler mes journées par les deux bouts, et je suis devenue une dormeuse relativement sage. Qu’on s’entende: mes exagérations, c’est que je dormais autour de 6h-6h30 par nuit. Alors qu’il me faut plutôt 7-8h. Les nuits blanches ça n’a jamais été mon truc. Les nuits de 2-3-4h non plus, même si j’en ai faites.

Donc il y a la fatigue parce qu’on ne dort pas assez. Ça je connais bien, et de façon générale, je gère bien.

Ces dernières années je me suis retrouvée confrontée à une autre forme de fatigue. Une fatigue en toile de fond, un manque d’énergie, alors même que je dormais assez. L’âge, me suis-je d’abord dit? Un manque de fer, vu que j’ai pu avoir tendance à l’anémie? Je soulève la question avec mon médecin, on explore certaines pistes, on n’arrive pas très loin. Je me résigne plus ou moins… j’ai peut-être simplement des attentes “à côté de la plaque” concernant ce que je devrais être capable de faire dans une journée et comment je devrais me sentir.

Puis, fin 2017, coup de théâtre: j’ai une giardiose, que je traine probablement depuis deux ans. L’hiver est rude, mais je finis par venir à bout de la bestiole. Et là… je recommence à avoir nettement plus d’énergie. Ça me semble logique, en fait: ça me coûtait probablement de lutter contre mon hôte indésirable. Dans la foulée, je m’achète des lunettes de luminothérapie, après un test (on peut les louer pour essayer) assez rapidement concluant. Je tente d’arrêter la luminothérapie en été, mais il me semble assez vite que mes matins redeviennent léthargiques. J’ai clairement la chance que ça fasse son petit effet sur ma personne, donc je continue.

Je passe sur la période 2018-2019 qui n’a pas été pas un grand succès côté santé.

Début 2020, nouveau coup de théâtre: j’ai la vitamine D dans les chaussettes. Qu’à cela ne tienne, une petite cure! Trois semaines plus tard (ou quelque chose comme ça) ma vie était transformée. J’avais perdu 15 ans côté fatigue physique, mon moral était remonté en flèche, ma vie était transformée.

En fait, mes réserves de vitamine D étaient déjà basses en 2016. J’avais vaguement tenté une supplémentation, mais c’était deux fois par semaine, et à ce rythme, c’est dur d’être rigoureux. Et je n’avais pas conscience d’à quel point ça pouvait changer la donne.

Ça fait peur. Une petite vitamine vous manque et votre vie s’enlise dans un marécage.

Cet été, j’ai pu interrompre la luminothérapie. J’ai aussi pris soin de me mettre au soleil. Et j’ai pris rendez-vous avec mon médecin pour faire un bilan dans quelques semaines, parce que là aussi, je me suis dit: “plus jamais ça”.

Depuis une semaine ou deux, mon retour de vacances plus précisément, je me traine. Non, ce n’est pas l’effet “retour de vacances”. C’est physique. Dans mon état “normal”, je monte les escaliers en courant, deux par deux. Là, je les monte comme une mamie, un à un, et mes jambes pèsent lourd.

Je pense déjà qu’il est temps de reprendre la luminothérapie. Il fait encore beau, très beau, et chaud (parfois même très chaud), mais les jours raccourcissent. On en à 12h entre le lever et le coucher du soleil.

Et je me réjouis d’aller faire ma prise de sang dans quelques semaines. Je suis curieuse de savoir ce qu’elle révèlera.

Retour au judo [fr]

Un entraînement de judo. Une petite oasis de normalité dans ma vie parfois un peu en perte de repères. Il y a 18 mois, j’avais réussi à reprendre “correctement”, après plusieurs années de quasi pause. Un dos sérieusement malheureux après une mauvaise chute. Des dizaines de séances de physio. Un job prenant dans un autre canton. Une vitamine un peu trop timide (la D).

Bref, il y a 18 mois, entorse à l’épaule suivie d’accident de voiture. Vous connaissez la suite.

Je ne sais pas encore ce que mon nouveau poignet est capable de faire. Quelles sont ses limites. Mais comme pour le roller hier, ça revient. Sauf que j’ai fait beaucoup plus de judo que de roller dans ma vie. Mes balayages ne pardonnent pas quand on fait des fautes de pas. Le premier est d’ailleurs parti tout seul, à ma grande surprise.

Le confort de ma normalité. Et aussi, le confort d’une (presque) normalité du rapport à autrui en ce temps de pandémie. On ne peut pas faire du judo en restant à 1m50 de distance. On ne peut pas s’entrainer avec un masque. Alors on tient religieusement une liste de présence.

On me dira que c’est une activité à risque. Et c’est vrai. Mais même sans COVID, le judo est une activité à risque. Même en pratiquant gentiment, le risque de blessure est toujours là. Je connais plusieurs personnes qui ont arrêté de pratiquer le judo à cause de ça – parce que le risque de blessure était inacceptable pour eux, mettant en péril d’autres activités encore plus centrales dans leur vie.

Pour la petite histoire, je me suis déjà retrouvée à devoir prendre un traitement préventif pour une maladie qui avait tragiquement emporté un de nos judokas. Moi, et tous les autres qui avaient pratiqué avec lui “juste avant”. Même le risque de contagion, il est toujours là.

On me dira que le judo est un loisir, donc sacrifiable. Une des activités sur lesquelles on devrait faire une croix, comme aussi chanter dans un choeur, tant que notre vilain coronavirus circule. Mais ce sont, en tous cas pour moi, des activités qui font aimer la vie, qui participent de façon cruciale à mon équilibre.

Je m’en rends d’autant plus compte qu’elles ont été bien trop absentes de ma vie ces dernières années. Parfois le sens “d’être là” se trouve dans le “faire” d’une activité qui n’a pas d’autre but qu’elle-même. Elle est sa propre fin.

Alors ce soir, j’ai retrouvé la normalité de pratiquer avec autrui une activité physique, en proximité, qui est une part importante de ma vie depuis 25 ans. Toute ma vie d’adulte. J’ai vu que je “savais encore”, que je “pouvais encore”. Qu’on soit clair, je n’en doutais pas vraiment.

J’ai fini l’entrainement avec un immense sourire. Dans la vie, il faut faire des choses qui nous font rire et sourire.

Et puis quand tout s’est terminé, avant le salut de clôture du cours, j’ai senti monter des larmes. Les larmes qui viennent quand on sent enfin combien quelqu’un ou quelque chose nous a manqué.

Bribes de pandémie 2 [fr]

Au bord du lac, rollers aux pieds. Je ne sais plus depuis combien de temps je ne les ai pas portés. Peut-être bien quinze ans. J’avance, doucement, les jambes un peu vacillantes, la peur de tomber, mais gentiment, ça commence à revenir.

Il y a des gens. Il fait doux. Le soleil du soir devient rasant. Des souvenirs d’un autre temps, fait de longues soirées au bord du lac, de groupes d’amis qui jouaient et parlaient jusqu’à bien trop tard, chatouillent ma mémoire. J’aurais presque envie, tiens…

L’odeur du lac. Elle m’a manqué, elle me rend heureuse. Je glisse presque gracieusement sur le bitume, entre les promeneurs, les trotinetteurs, les poussettes et les vélos. Parfois, je prends un peu de vitesse. Les gestes reviennent, le corps se souvient.

Je n’ai jamais été très douée en roller. Je reste sur le plat. Mais je faisais régulièrement du patin à glace quand j’étais petite.

Mettre un pied en avant quand le sol est irrégulier. Aller ni trop vite, ni trop lentement. Sur mes huit roues alignées, un rebord de trottoir est un obstacle conséquent. Le bitume décomposé. Un câble qui traverse la route.

Le long du quai de Belgique, je remarque qu’il n’y a pas de voitures. La route est vide. Les places de parc aussi. Je découvre que les quais sont fermés aux voitures les week-ends.

Quand j’étais en Inde, ce qui m’a le plus manqué, c’est le lac. Et là, après avoir manqué deux saisons de voile, j’ai besoin de revoir mon lac de près.
Je reviendrai.

Pandemic Snippets 3 [en]

In a flash, everything changes colour. Changes taste, and smell, and even sound. Moments of elation come crashing down to the ground and lie there miserably, wriggling helplessly in the dust of shattered hope. The past is rewritten, back to the crossroad where perception and reality took different turns.

Words and events play back, interpretations are reprioritised, hypotheses crumble while others crawl out of dark corners where they had been cowering in shame, blinking in the light and trying shyly to unfold their wings.

Something rips inside, leaving deep chasm between two unshared experiences.

Pandemic Snippets 2 [en]

Just sit
And feel
Is it nothing?
It feels like nothing
But isn’t nothing.
It’s a tightness in the chest
A sinking of the heart
Tears that gather in the throat
Eyes that stare straight ahead

Just sit
And feel
Close those eyes
Breathe inside
Is there anything there?
All is silent
And still
Nobody else
Just me.

Bribes de pandémie 1 [fr]

Il fait gris sur le balcon ce matin. Les pétunias essaient de sortir du désert où ils avaient été abandonnés, fleurs roses mais feuilles brunes. Les cloches de l’église au loin sonnent une porte ouverte entre deux mondes. Une chanson flotte dans l’air, ou dans ma tête, elle tourne en boucle et elle est belle. Ma voix se mêle au reste du choeur, et j’attends le jour où à nouveau, pour de vrai, je serai une petite goutte de son perdue au milieu de l’harmonie.

Dehors, aucun autre bruit à part les cloches. Pas ce que les gens imaginent quand ils pensent à la ville. C’est un dimanche matin en Suisse, rien ne bouge, sauf les feuilles du cerisier et les branches du sureau, saisis par le courant d’air qui traverse le jardin. Un oiseau appelle, un autre répond, les chats ne bronchent pas, enlisés dans leur sieste confortable de matous choyés.

Les cloches se sont tues. Il ne reste que le bourdonnement intérieur de mes oreilles, fréquences non identifiées qui tentent de remplir le silence. Avez-vous déjà remarqué comme le silence extérieur fait ressortir le bruit intérieur? Des fois ça s’agite avec fracas, ça prend ses aises dans l’immense espace à disposition, on voudrait quelque chose pour l’arrêter… Et des fois, tout ce silence permet d’entendre un chuchotement timide, d’habitude noyé, quelques mots qui changent une vie ou une journée.

Pandemic Snippets 1 [en]

I am a stone. At the bottom of the ocean. I do not breathe, I do not move. I just lie there and wait. Wait for nothing to happen. I feel nothing, I think nothing, I am nothing. Just a dead weight, a could-have-been mountain. 

Sometimes a strong current comes and rolls me along. And there I remain again, still and silent at the bottom of the ocean. A nest in the sand bears my weight through the years. I am there. I am, but that is all I am. 

Heavy with my own weight, I have sunk as low as I could. Never changing, never wanting. Seasons pass me by in the silence of nothingness.

Around me life thrives and dies. I do not even have eyes to watch it fly by. There, but not there. An insignificant outsider to all that lives. 

I am a stone, dead weight on the ocean floor, a sinking heart fallen off a drifting ship.

Petite Luna: ça fait un an [fr]

Aujourd’hui, ça va faire un an. Un an que quelques minutes de mon inattention t’ont coûté la vie.

Alors je sais, on me l’a répété maintes fois: les accidents arrivent, je ne dois pas culpabiliser, si je ne t’avais pas prise en charge deux mois auparavant tu n’aurais probablement pas été encore en vie à ce moment fatidique. Reste que je me sens responsable, terriblement responsable, et que je me demande régulièrement à quoi ressembleraient nos vies si j’avais fermé cette fichue fenêtre.

Tu étais arrivée dans ma vie le 9 juin, deux mois jour pour jour avant de la quitter.

Une petite crevette d’à peine 2kg, la peau sur les os, les yeux enfoncés dans leurs orbites… craintive, jolie malgré ton état, douce et intelligente.

Je n’avais jamais eu de chat craintif. Ça a été tout un apprentissage. Pas simple de t’approcher, pas simple au début de te faire les injections d’insuline dont tu avais impérativement besoin pour survivre. Quasi impossible de faire des contrôles de glycémie. Mais malgré tout, toi et moi, on y est arrivés. Semaine après semaine, tu as repris du poids, ton poil est devenu moins moche, et tu as pris confiance.

Tu adorais la pâtée a/d – et rapidement, tu t’es mise à adorer l’anti-glouton rose sur lequel je te la servais. Tu aimais jouer avec la canne à pêche “proie de sol”, et tu étais redoutablement efficace. Tu aimais les caresses et roulais ta tête dans la main que je te tendais. Tu comprenais vite ce que je voulais de toi, et tu en profitais pour te défiler ?

Tu n’aimais pas trop aller en hauteur. Grâce à la caméra de surveillance que j’avais installée, j’ai découvert à mon étonnement que la nuit, tu étais montée sur la table pour explorer. Tu miaulais aussi parfois, probablement d’ennui, puisque que t’étais au final bien accoutumée à ton nouveau “chez toi” à l’eclau. Une des raisons, entre autres, qui m’ont décidée à tenter ton déménagement vers mon appartement.

Je t’entends encore roucouler en venant à ma rencontre un matin, récompense des longues et longues heures passées à t’amadouer. Je sens ta petite langue douce qui léchait la pâtée tant convoitée sur mon doigt. Mon pantalon jaune a encore des fils tirés par tes griffes parfois maladroites.

Grâce à toi, j’ai dû sortir de ma zone de confort en matière d’apprivoisement et de medical training. J’ai eu l’immense chance de bénéficier de l’expertise et du coaching de Céline en la matière, et j’en ai appris plus que j’aurais jamais imaginé (il me reste encore bien des choses à apprendre, d’ailleurs… j’ai pu mesurer l’étendue de mon peu de compétence!)

Grâce à toi aussi, j’ai découvert le FreeStyle Libre, et durant cette année plein de chats du groupe DF et leurs maîtres ont pu en bénéficier. C’est devenu tellement courant maintenant, c’est difficile d’imaginer à quel point c’était “expérimental” il y a un peu plus d’un an, quand on s’est lancés.

Ça, c’est des cadeaux très concrets que tu m’as laissés. Mais ce que je retiens surtout de toi, c’est ta douceur, ton joli visage et ton regard intense, ta crainte mais aussi ta détermination à la surmonter quand la motivation était suffisante, ton petit corps osseux qui petit à petit se remplumait sous mes caresses. Ton intelligence, ton plaisir à jouer, ton petit ronron. Le lien qu’on avait créé toi et moi, d’heures en jours et en semaines.

J’imaginais plein d’avenirs pour toi. Tu retournais dans ta famille, peut-être en rémission, peut-être pas. Ou alors, ta famille n’était pas en mesure de te reprendre, et on te trouvait un nouveau foyer où tu serais choyée et heureuse. Et quelques fois, même si c’était loin d’être mon projet initial, je me disais que ce foyer serait peut-être le mien, si tu arrivais à amadouer le vieux Quintus.

On ne saura jamais quelle aurait été ta vie. Coupée court par un bête accident, ces quelques minutes où une vie bascule, alors que tout allait dans la bonne direction pour toi.

Merci d’avoir passé dans ma vie, petite Luna ❤️.

L’album de Luna, photos et vidéos.