Conte d’une vie [en]

Il était une fois dans un pays très, très lointain, il y a très, très longtemps, une jeune fille qui partit à l’aventure à travers le monde, car elle voulait comprendre ce qui était important dans la vie, ce qui faisait que la vie était la vie. 

Elle traversa d’abord la ville, les rues animées durant la journée, et la nuit avec les lumières. Elle demandait aux gens qu’elle croisait: “dis-moi, qu’est-ce qui est important dans la vie? qu’est-ce qui fait que la vie est la vie?” 

Certains lui disaient, “c’est l’amour qui est important, qui fait que la vie est la vie.” D’autres lui disaient, “il faut gagner beaucoup d’argent, voilà ce qui est important dans la vie”. 

Les gens lui donnaient tous des réponses différentes, et elle, elle continuait son chemin, à travers les rues et les parcs. 

Un forgeron par exemple lui dit, “tu vois, moi je fais des outils en métal, et mes outils permettent aux hommes de faire leur travail, et c’est ça qui compte vraiment.” 

Après la ville elle traversa la campagne, là encore, parlant aux gens, parfois s’arrêtant quelques temps dans un endroit, et parfois quelqu’un faisait un bout de chemin avec elle. Mais jamais elle n’était vraiment convaincue ou satisfaite par ce qu’elle entendait. 

Elle voyagea ainsi durant de longues années. Après la campagne, elle traversa la forêt, avec ses arbres immenses.

Ensuite vint la montagne, parfois sur des petits sentiers au milieu de la végétation, puis elle traversa les rivières et les déserts, et escalada les pics escarpés. Elle revit d’autres villes et d’autres campagnes, d’autres montagnes et d’autres forêts.

Finalement, son long voyage la mena au bord de la mer, sur une plage. Une plage de sable où crissaient ses pas, et dans le sable il y avait des galets et des coquillages. Au bord de cette plage, bercé par les vagues, il y avait un bateau, dans lequel elle monta, pour traverser la mer et l’océan, toujours plus loin dans sa quête interminable. 

Et dans ce bateau, à la barre, il y avait un vieux sage. 

Alors elle lui demanda, comme elle demandait à tous ceux qu’elle croisait: “Dis-moi, qu’est-ce qui est important dans la vie? Qu’est-ce qui fait que la vie est la vie?” 

Et le vieux sage lui répondit: “Je crois que j’ai peut-être une réponse pour toi. Mais avant que te réponde: tu as fait un très long voyage, et j’aimerais que tu me racontes d’abord ce que tu as vu, ce que tu as entendu, ce que tu as senti, perçu, et touché, les odeurs que tu as senties et les goûts que tu as goûtés.” 

Alors la jeune fille devenue femme lui raconta. Elle lui raconta les sons de la ville, l’odeur des échoppes qui préparaient de la nourriture. Elle ferma les yeux et lui raconta les couleurs des lumières la nuit, l’odeur des blés en été, le poids de son bagage sur ses épaules. Il y avait aussi les paysages magnifiques et les couchers de soleil, le son des chants le soir autour du feu, la chaleur des flammes sur son visage alors que l’air de la nuit fraîchissait. Elle raconta le son de ses pas sur ce petit sentier de montagne, la voix d’une vieille femme, l’odeur de la terre humide dans la forêt, la fatigue dans ses jambes après une longue journée de marche. 

Elle lui raconta tout. Et pendant tout son récit, le vieux sage la regardait avec douceur, en souriant avec bienveillance. 

Enfin, elle lui raconta la sensation du sable sous ses pieds nus sur la plage, les formes des coquillages, le son des vagues qui clapotaient sur la coque du bateau, l’odeur du sel dans l’air de la mer. 

Et là, elle comprit qu’elle avait trouvé sa réponse.

Parfois, j’écris des mots [fr]

Il y a des gens qui racontent des histoires. Ils inventent des mondes et des vies qu’on suit au fil des pages, hors d’haleine.

Moi, je raconte la vie, les idées, les émotions, et parfois des lubies passagères.

On a tous nos zones d’ombre ou de douleur, nos émotions difficiles. Certains s’asseyent dessus, tentent de les noyer, ou en font de la musique. Moi, j’en tire des mots qui parfois font pleurer les gens qui lisent, ou leur serrent le bide, ou leur font quelque chose qu’ils n’arrivent pas à mettre en mots, et moi non plus. Parfois ça ne leur fait rien, et c’est bien comme ça aussi.

Souvent, je trouve au fond de moi un petit éclat de braise, je souffle dessus avec mes doigts, et les flammes de sens qui s’agitent sur l’écran me surprennent moi-même. Je ne suis pas pour autant en feu, au risque de finir dans les service des grand brûlés. J’ai juste joué avec une flamme dans mon laboratoire, sous une chapelle bien ventilée, avec mes lunettes de protection et mes gants. Vous, vous avez vu la flamme, en gros plan, sans contexte.

Ne t’alarme donc pas, ami lecteur. Si l’inspiration poétique est morose, ce n’est pas pour autant que la poétesse broie du noir.

Untitled [en]

Everywhere I turn
Is something shining in the sun
Like a diamond
Like a pearl
A speck of life or love or fire
Catches my eye
Catches my breath
My heart runs off and takes me with it
I try to follow and keep the pace
I go left
I go right
A merry-go-round lost in the stars
Lights keep flashing in my brain
I singe my wings
The flame tastes sweet
Another one
Oh, look! Another!
I shatter in a million pieces
Sent across the universe
For if I were to remain whole
Those shiny things would steal my soul.

Broken World (Song) [en]

Can I write away the pain
The deaths, this broken world
Can I write sunshine into your life
And make it right

Can I write away the tears
The deaths, the broken dreams
Can I write hope into this world
And make it yours

If I could write it all away
And change these fearsome times
I would write until my fingers bled
And make it right.

– March 2022

Ce que je peux [fr]

Devant tant de douleur et de souffrance je ne peux que fuir. Le gouffre m’attire à lui et menace de m’aspirer tout entière, de me digérer dans les sucs de l’horreur dont est faite le monde. Comme un néant sur lequel on ne peut porter le regard au risque de court-circuiter son esprit, ou le soleil qui nous brûle les yeux, le gouffre de la souffrance du monde n’est pas quelque chose que l’on peut regarder trop longtemps sans se retrouver déchiqueté à l’intérieur.

Alors je jette un rapide coup d’oeil puis je pars en courant, pendant que je suis encore à peu près entière, à peu près moi, que je suis encore capable de faire, de fonctionner, et de sentir aussi. La culpabilité me pèse, évidemment. Celle du survivant, de l’épargné, du privilégié qui peut s’accorder le luxe de ne pas se brûler les yeux, ou l’âme, ou le corps.

Mais je lui réponds, le regard droit: qu’apportera ma douleur? Ma vie aura-t-elle plus de valeur, plus de sens, si je la tourmente volontairement par solidarité avec ceux qui n’ont pas ce choix? Ne me crois-tu pas capable d’empathie, de compassion, et même d’action, sans devoir pour cela me plonger encore et encore dans l’insupportable? Rentre à la maison! Moi, je retourne faire ce que je peux pour le monde.

– 31 mars 2022

Bribes de pandémie 6 [fr]

Nous sommes là entre ces quatre murs, qui sont parfois huit, ou douze, ou seize. Peu importe leur nombre ils restent des murs. Entre dehors et nous, un pas à ne pas franchir. L’air m’appelle, je lui dis “bientôt”, et je reste dans mon cadre, sans dépasser des lignes. Ah, laisser courir l’aquarelle et mélanger les couleurs! Je plante une saxifrage et tourne le sablier. Nous regardons couler le temps, ensemble, dans un même regard usé, tandis que dehors la vie bat son plein et avance sans nous. Nous retenons notre souffle dans l’air immobile alors que souffle le vent dans les brindilles et bourgeons.

De nos murs intérieurs il n’est jamais question. Les yeux dans les yeux, je pénètre ton âme écornée par l’attente. Le jardin est fané, semis négligés. Pourtant l’an dernier nous l’avions tant aimé! Ma saxifrage est morte, et mon temps envolé.

***

Je sors en cachette, la nuit tombée. C’est très convenu mais c’est ça que je fais. Je ne croise personne et me roule dans les prés. Les étoiles veillent sur moi et mon rire alimente le ruisseau. La terre sent fort et j’aime ça.

De retour à pas de chat, je pose mes cheveux-graminées sur l’oreiller et ferme les yeux. Une étoile m’a suivie et scintille dans mon ciel.

Les pirates de Bellerive [fr]

Les pirates de Bellerive
Ont percé l’horizon
Chevauchant les nuages
De leur lagon turquoise

La tempête les fouette
Leur pavillon tient droit
Plus rien ne les arrête
Poursuivant la lumière

C’est un rêve d’enfant
Les montagnes et le vent
Un bleu tellement profond
La lueur des ténèbres

Image, emporte-moi
Crève ton cadre et jaillis
Mille éclats de soleil
Pour un instant de vie

Bribes de pandémie 5 [fr]

Dans la torpeur sèche du soleil de février
J’écoute le chant perdu de ce merle esseulé
Des insectes paresseux chatouillent le vieux matou
L’air pur de la pandémie vient bercer ma rose

Dans cet éclair qui nous dure, nos vies suspendues
Et nos liens distendus, fracas sourd en nos coeurs
Le vol de la coccinelle dans un rêve d’espace
Ouvre l’horizon d’un avenir plus serein

Bribes de pandémie 4 [fr]

Parfois il faut écrire pour voir ce qui vient. Il vient du vent, de la tempête ou de la pluie, parfois du soleil et les oiseaux qui chantent. La nature à travers mon être, l’odeur de la terre et la chaleur de l’herbe au milieu de l’été.

Parfois il faut écrire pour voir ce qui vient. Ça vient d’ailleurs, ou bien de moi, ce n’est pas toujours clair. Les mots s’alignent et le sens surgit, s’envole comme un oiseau qui n’est pas une hirondelle, ou parfois s’étale sur le sol comme un pot de peinture renversé.

Parfois il faut écrire pour voir ce qui vient. Avec douleur, avec tristesse, rarement avec joie. La mélancolie domine et me tire en arrière alors que mes doigts ne font qu’avancer. Tant d’années sur un clavier. De quoi est faite une vie? Qu’en reste-t-il quand elle expire?

Parfois il faut écrire pour voir ce qui vient. Pour voir ce qui va, aussi, et ce qui ne va pas. Pour tenter de mettre le doigt, désespérément, sur la clé, la source, l’origine, la solution. Démêler l’écheveau de l’être, insuffler de la vie dans le temps qui passe. La course effrénée au sens, encore, toujours, plus encore, il faut du sens si l’on ne veut pas mourir.

Parfois il faut écrire.

Bribes de pandémie 3 [fr]

Des mots perdus sur un clavier
Les miens
Ils cherchent un chemin
Pour dire le monde
Le fond du monde
Comme l’amour de René Char
Ils ne sont déjà plus les miens
Dans la ville numérique
Chacun peut leur parler
Je crains qu’ils ne sachent quoi répondre
Livrés à eux-mêmes
Le poids de la vie sur leurs lettres
Ma vie dans leurs espaces
Pour dire quelque chose
Quelqu’un
Quelque part
Qui sent
Autre chose
Que ce que je sens.