Fenêtre de tolérance émotionnelle: comment me ressourcer? [en]

Mon retour d’Inde a été (est?) difficile. Aujourd’hui ça va – en fait, depuis une petite semaine, “ça va”. La semaine dernière j’ai galéré, par contre. Et depuis, je réfléchis pas mal, non pas à ce qui fait ou a fait que ça va pas, mais à ce que j’ai fait, ou comment ça se fait, que j’ai réussi à me sortir du fossé où j’étais embourbée.

En fait, à un moment donné, je me suis souvenue que j’avais une boîte à outils (cognitive) pour faire face au type de situation où j’étais coincée. Je l’ai mise en action, et ça a tout de suite été mieux – même si évidemment, globalement, ceci reste une période difficile. C’est un schéma que je connais, à part ça: aller mal et n’avoir plus aucune conscience qu’on sait faire des choses pour aller mieux. La boîte à outil n’existe plus, comme les légumes au fond du bac en bas du frigo. Si je le vois pas, c’est pas là.

J’ai eu une discussion fort enrichissante lors de ma séance en début de semaine à As’trame. Petite parenthèse, cette fondation ne s’adresse pas qu’aux enfants, et en ce qui me concerne je suis enchantée par leur accompagnement. Si je devais résumer cette discussion, pour ce qui nous intéresse ici, elle portait sur l’idée de la fenêtre de tolérance émotionnelle, et sur identifier les choses qui me ressourçaient.

La métaphore de la fenêtre de tolérance émotionnelle (window of tolerance) est intéressante et me permet de mettre des mots sur quelque chose que j’avais de la difficulté à exprimer jusque-là. Ce sentiment de ne pas avoir “d’amortisseurs”, ou de rouler sur les jantes, les pneus usés jusqu’à ne plus être là, et donc de ne pas avoir la capacité à faire faire ou “gérer” les événements un peu contrariants de la vie.

L’idée est la suivante (si vous googlez vous allez trouver ce concept proposé en 2019 à un peu toutes les sauces, y compris pseudoscientifiques; j’ai mis deux liens plus haut qui me semblent pas trop mal): il y a une zone dans laquelle on arrive à réguler correctement ses émotions. C’est la fameuse “fenêtre”. Hors de cette zone, on n’arrive plus, ou pas assez bien, on peut avoir le sentiment que l’émotion prend le dessus et on tombe soit d’un côté “hyperactivation” (crise de colère ou de panique par exemple, “ON”), soit “hypoactivation” (dépression, engluement… “OFF”). La largeur de cette fenêtre peut être variable selon les individus (merci la loterie et les aléas de la vie) et aussi selon les périodes, suivant ce qui nous arrive. J’ai trouvé un article avec des illustrations/schémas un peu parlants.

Donc là, clairement, je suis dans une période où ma fenêtre de tolérance émotionnelle n’est pas très large. Ma tolérance au stress ou aux contrariétés est très limitée. Il suffit de pas grand chose pour que je “dégringole”. Clairement, un deuil, ou la réactivation de celui-ci, ça fait rétrécir la fenêtre. Avec le temps, mais aussi avec certaines activités, elle va tranquillement s’élargir. Mais ce n’est pas un processus linéaire.

La question suivante c’est donc: quelles sont les choses qui, pour moi, permettent d’élargir cette fenêtre? En somme, les choses qui me ressourcent? J’avais toujours eu du mal avec cette question, “qu’est-ce que tu fais pour te ressourcer”, parce que je ne comprenais pas bien ce qu’on entendait concrètement par “se ressourcer”. Maintenant, si on dit “se ressourcer = élargir la fenêtre de tolérance”, ça me parle beaucoup plus. (On pourrait discuter: est-ce élargir la fenêtre, ou revenir dedans quand on en est sorti? et est-ce qu’on y revient de la même façon si on a filé du côté “hypo” ou “hyper”? Laissons ça de côté pour le moment.)

J’ai donc commencé à faire un inventaire de ces activités. L’une d’entre elles, un peu surprenante, c’est de faire un puzzle, par exemple. La semaine passée j’ai eu une impulsion soudaine de démarrer un puzzle, et quelques heures après je me sentais déjà bien mieux. Pourquoi? Que s’est-il passé? Comme je le comprends, j’étais dans un état émotionnel qui n’était pas gérable pour moi. Je ne voulais plus sentir ce que je sentais parce que c’était “trop”, et je n’arrivais pas à en faire quoi que ce soit si ce n’est rester bloquée dans une spirale descendante. En faisant un puzzle, je sors de cet état “figé”, parce que c’est une activité facile pour mon cerveau, qui demande de la concentration mais qui est très rentable niveau gratification: les couleurs, le toucher, et surtout, trouver deux pièces qui vont ensemble! C’est donc une activité qui me demande très peu d’effort à initier, qui est active, gratifiante, et m’aide à prendre de la distance avec mes émotions.

Sinon, clairement, les activités sportives “intenses” comme le judo, le ski, la voile dans certains contextes, ça permet d’une part de me dépenser physiquement (et les émotions… c’est physiologique!) et en faisant une activité qui m’oblige à y consacrer mon attention. Quand je suis en train de combattre au judo, je laisse toutes mes préoccupations du moment au vestiaire. Je n’y pense pas une seconde. En combat, on ne peut pas être distrait: on se fait tourner. Et avec les années (30 ans bientôt) il y a un ancrage qui se fait: personnellement, dès le moment où je me change et où je suis sur les tapis, je suis, par habitude, en “mode judo”. Le ski, comme j’aime skier, vite, c’est similaire. Si je ne suis pas ultra concentrée, je risque la chute. Je suis donc 100% concentrée sur ce que je fais, ma trajectoire, les sensations corporelles, etc.

Marcher en montagne ça le fait aussi, être dehors, dans la nature, avec de grands espaces autour de moi. Un bain chaud, un massage, un hammam, les bains thermaux – plus directement corporel, mais ça le fait. Ecrire, évidemment, et aussi les moments de lien et de partage véritable, où je peux être entendue. Un peu de méditation, une turbo sieste, de la relaxation. Il y en a peut-être d’autres mais maintenant que j’ai compris de quoi on parle, je vais enrichir mon inventaire.

Il y a des activités que j’aime mais qui ne me ressourcent pas, ou pas toujours. Le chant par exemple, ou voir du monde. Les jeux de société, j’adore, mais après je suis épuisée dans la tête. Faire à manger, j’aime mais ça ne me ressource pas. Ça fait quelques années que j’ai mis ensemble que le fait d’aimer quelque chose ne signifie pas qu’on se “ressource” ou qu’on en sort en étant “mieux” après. Avant, je n’avais pas fait ce lien. C’est important.

Aujourd’hui j’ai une journée assez libre devant moi, et je réalise, en contraste avec mes journées tranquilles au Rajasthan, que j’ai du mal à vraiment ralentir, me poser et “débrancher” (mon cerveau des soucis de la vie). Et je me demande pourquoi. Et j’ai une piste. Ici, je n’arrive pas à ne pas avoir en tête la liste interminable des choses que je devrais ou pourrais faire. Il y a la poubelle à vider, un peu de vaisselle à faire, la lessive, le coin du couloir à ranger, la valise à finir de ranger, l’autre coin ici à ranger (en gros tout l’appart est à ranger), faire des choses pour décorer mon lieu de vie et le rendre plus accueillant, chaleureux et agréable, du courrier à ouvrir, des photos à regarder et avec lesquelles jouer (je n’aime plus dire traiter ou trier), quelques soucis sur mon site web à gérer, des vidéos à faire pour Diabète Félin, une pile de documents à compléter, je pourrais sortir faire une promenade, ah oui descendre au bord du lac voir le bateau après tout ce gros temps, faire les courses, planifier les prochaines vacances, regarder ma série, aller au cinema, pourquoi pas, enfin commander les cartes de crédit avec cashback dont m’a parlé mon père, organiser une après-midi jeux de société, réorganiser les armoires de la cuisine, les habits pour la saison froide, acheter ou louer des skis… Ça vous fatigue, tout ça? Eh bien moi aussi.

Donc, même quand j’ai décidé de prendre une journée tranquille pour me relaxer, je n’arrive pas à ne pas “voir” tout ça. Je lutte contre une paralysie du choix, soit je fais des trucs utiles et je me suis pas ressourcée, soit j’essaie de me ressourcer mais je culpabilise de ne pas avoir avancé sur toutes ces choses que j’ai à faire.

Au Rajasthan c’était simple. J’étais en vacances, physiquement loin. Sur le menu, je pouvais: prendre des photos, sortir me balader, m’étendre sur mon lit en écoutant un podcast si j’étais pas trop en forme, regarder mes photos, écrire, attendre le repas suivant…

Je pense qu’il me manque des outils, par là, ou que je n’ai pas encore bien trouvé comment adapteur ceux que j’ai à cette situation. Je sens que c’est à chercher en direction de la restriction – je fais ça quand j’ai une “obligation de productivité” et que je n’arrive pas à démarrer sur quoi que ce soit: au lieu d’essayer encore et encore, je me donne 15 minutes avec timer pour essayer, et si ça ne marche pas, je laisse tomber jusqu’à l’heure suivante (ou la journée suivante, la semaine suivante). Donc là, pour créer un contexte où je me sens plus libre de faire des activités ressourçantes, inventorier/limiter les activités productives que j’ai le droit de faire dans la journée? Je réfléchis à haute voix en écrivant, c’est gentil de me tenir compagnie.

Aujourd’hui par exemple: la lessive et les courses, c’est assez obligatoire que je les fasse. Et les poubelles. Ce week-end il faut que j’ouvre mon courier et probablement que je fasse un peu d’administratif. Les autres choses, même la valise éventrée dans ma chambre à coucher, ça peut attendre. Le bateau, ce serait quand même bien que j’y passe. Samedi je suis au chalet toute la journée pour m’occuper du jardin avec mon frère. Donc je pourrais dire, aujourd’hui je fais la lessive, les courses, les poubelles et je fais un crochet au bateau en allant aux courses. Dimanche, je fais 1 à 2h d’admin et c’est tout. Et le reste du temps, je n’ai pas le droit de faire des choses “productives”. Ça me stresse, l’idée de procéder comme ça, je vous dis pas! C’est pas évident de trouver l’équilibre entre “j’ai besoin de faire des activités qui me ressourcent” et “j’ai besoin de diminuer ma pile de “je devrais” pour me sentir moins stressée et sous pression.

Sur ce, je vais chercher une photo sympa et sans rapport pour illustrer cet article, et aller mettre ma lessive. Puis je vais démarrer un nouveau puzzle. Ah ben voilà: je vais vous mettre en photo le puzzle que j’ai terminé hier, celui qui m’a aidée à sortir de mon trou. Je sais, il manque deux pièces. C’est triste mais ça ne me sort pas de ma fenêtre de tolérance émotionnelle!

6 thoughts on “Fenêtre de tolérance émotionnelle: comment me ressourcer? [en]

  1. Il a fallu que tu mentionnes les deux pièces manquantes pour que je les remarque… Merci pour ce partage, ça m’a beaucoup intéressée.

    Perso, quand je sors de ma fenêtre de tolérance, je passe en mode “huître” comme disent mes amis – qui ont appris à tolérer. Je m’isole et j’arrive aussi à m’isoler / refuser de voir ce que j’ai à faire. Pas super efficace comme façon de fonctionner.

  2. Donc ça ça voudrait dire que tu en es sortie côté « hypoactivation », probablement?

    Pour moi la distinction entre « qu’est-ce qui permet de ramener l’intensité émotionnelle dans la fenêtre » et « qu’est-ce qui permet d’élargir la fenêtre » n’est pas encore très claire.

  3. Oui, hypoactivation, et me focaliser sur des intérêts spécifiques qui n’ont strictement rien à voir mais me permettent de me focaliser sur autre chose.

    D’après ce que j’ai compris de tes liens, ce qui permet de ramener l’intensité émotionnelle dans la fenêtre est un processus immédiat, de régulation, tu changes la température en gros, comme tu le fais en faisant ton puzzle.

    Au contraire, ce qui permet d’élargir la fenêtre, c’est un travail sur soi pour apprendre à mieux gérer ses émotions “sur le fond”, “isoler la maison” pour filer ma métaphore.

    J’ai pu le faire avec l’analyse transactionnelle et la pnl (à qui appartient le problème, en quoi cela me concerne, pourquoi est ce que je réagis de cette façon), qui dépend de chaque individu. Dans les exemples donnés dans l’article (yoga par exemple, ou humour qui permet de prendre de la distance), j’ai l’impression que ces technique participent aux deux. Une séance de yoga de permettra de revenir dans la fenêtre, mais uniquement si on a une pratique régulière – je crois.

    Sinon j’ai pensé à toi hier soir, il y avait un doc sur Arte sur le téléscope James Webb et les images de galaxies lointaines, et je me suis dit que ça ferait un puzzle infernal ! En plus ce sont des images en CC0 …

  4. Intéressant! Je pense que la question de l’élargissement de la fenêtre peut se poser de deux façons:

    1. comment “gagner” sur notre ouverture de fenêtre de base
    2. quand un traumatisme (au sens large) rétrécit brutalement notre fenêtre, comment récupérer notre ouverture de base…

    A méditer encore!

  5. Merci pour ce post, ainsi que pour les autres de la série. Ils alimentent mes réflexions sur des sujets similaires à ceux que tu évoques (l’organisation de ma vie, la gestion du temps, de mon énergie, de ma motivation, de mes émotions, etc.).

    J’avais prévu de faire une réponse “sérieuse”, complète et structurée à ton post. Je me suis donc ajouté une tâche pour cela dans mon système GTD (Omnifocus). Puis le temps a passé, comme souvent, et je n’ai rien fait. Donc je te réponds, un peu plus spontanément. 🙂

    Il me semblait que lorsque je t’avais lue, il y a quelques semaines, il y avait plein de points qui “résonnaient” en moi. Je ne sais pas si je vais tous pouvoir les ressortir.

    La première chose est cet éternel combat avec les “choses que j’ai envie de faire” et les “choses que je dois faire”. J’ai retrouvé des carnets que j’avais dû écrire lorsque j’avais 12-13 ans avec des listes d’idées pour des projets. Je faisais déjà des to-do lists sans vraiment le savoir avant d’être adolescent ! J’avais ce besoin de mettre les choses par écrit pour vaguement gérer la foule d’idées que j’avais en tête.

    Des foules d’idées qui m’ont accompagné durant toute ma vie, y compris adulte, et qui sont souvent accompagnées d’inaction. L’inaction, la procrastination et le sentiment de culpabilité face à la montagne de choses à faire.

    Je n’ai jamais consulté pour savoir si je souffrais de TDAH. Pour l’anxiété, oui, avant l’arrivée de mon fils il y a 5 ans, mais jamais pour autre chose. Quelques auto-tests sur internet (YouTube ou autre) semblent me montrer que je suis “limite”. Toujours en dessous du seuil. Mes auto-expérimentations (stimulants, etc.) ces dernières années semblent indiquer que j’ai un problème à réguler et/ou produire de la dopamine, mais ça n’est qu’une hypothèse. Il faudrait peut-être que je me décide à consulter un médecin pour cela. Comme d’habitude : la procrastination…

    Pour ce qui est des activités qui me font du bien, la recherche de mon côté est aussi en cours, mais je n’ai pour l’instant pas une très grande liste. C’est une évidence : chaque fois que je fais de la randonnée en montagne, seul ou accompagné, cela me fait énormément de bien (effort physique, contact avec la nature, etc.). Les bains thermaux, clairement aussi. Surtout lorsqu’il n’y a pas trop de monde. Le sauna et l’eau froide, aussi.

    Ma femme et mon fils partent parfois en voyage sans moi et il m’arrive alors de travailler depuis le chalet de mes parents, à la montagne. Je m’aperçois que dans ce contexte, je me sens mieux. Mon interprétation : le chalet, c’est rustique, c’est petit, ça ne nécessite pas beaucoup de ménage. Il n’y a pas beaucoup d’obligations liées à cet endroit. Lorsque je suis au chalet, ma to-do list est automatiquement amputée de tout ce que je ne peux pas faire parce que je ne suis pas à la maison (faire le ménage à fond, réparer quelque chose de cassé, acheter des nouveaux meubles, etc.).

    Je ne sais pas si tu connais Oliver Burkeman et son livre “Four Thousand Weeks: Time Management for Mortals”, mais ça a été une sorte de révélation, pour moi. Quelque chose d’évident, mais que je ne m’étais jamais avoué : je ne pourrai jamais (mais vraiment : jamais) faire tout ce que j’ai dans mon système GTD (to-do lists, projets, etc.). Il n’y a pas assez de temps dans la vie pour cela. Du coup, cet impératif permanent de productivité, même lorsqu’on devrait se ressourcer, est complètement irrationnel. Il “suffit” juste de s’en convaincre.

    Désolé pour le pavé.

  6. Merci beaucoup pour ce partage, Olivier! Sais-tu que le TDAH est une histoire de régulation de dopamine…? Je ne connais pas le livre dont tu parles mais s’il peut m’aider à faire un peu le ménage dans mon terrible stress existentiel de “il n’y a pas assez de temps, humainement, pour faire tout ce que j’ai envie de faire”, alors je vais le regarder (reste à voir combien je vais procrastiner). Ne t’excuse pas pour le pavé, ça me fait hyper, hyper plaisir d’avoir des personnes qui prennent le temps de commenter mes articles. Ça m’encourage à écrire encore 🙂

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