Nostalgie de quartier [fr]

La Place de la Barre par une après-midi ensoleillée de printemps, et des souvenirs qui reviennent.

Alors que je monte en voiture l’Avenue de l’Université, par cette belle journée ensoleillée qui sent doucement le printemps, voilà  que je me retrouve propulsée huit ans en arrière, à  la même époque de l’année.

Ma dernière année de chimie. Une année de judo intensif, de remise en question, de boulversement émotionnel. Une époque où je me retrouvais souvent au Sherlock’s de la Place de la Barre (c’était avant la faillite) et où j’ai recommencé à  écrire. Ma vieille BMW parcourait souvent les routes du coin, entre le dojo, l’université, et le domicile parental qui m’hébergeait encore.

Je suis sur la placette qui surmonte le tunnel, avec vue sur la place. Il y a l’école derrière et le bruit des enfants dans la cour; la terrace du bistrot déborde de son territoire d’alors.

Sur ce même banc où j’écris ces lignes, un an plus tard (en février pour être précise), je lisais La phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty en cinq jours. Je m’y suis peut-être assise encore l’année suivante, je ne sais plus trop bien, puis est venu mon dernier printemps difficile en Suisse avant de partir pour l’Inde, le retour en Suisse, Orange, et maintenant, la fin d’Orange…

C’est une odeur dans l’air — je ne peux pas vous en dire plus.

Deliverance [en]

You are a writer, I told myself; yet you readily give a wide berth to raw reality when you encounter it…

You are a writer, I told myself; yet you readily give a wide berth to raw reality when you encounter it, as if living was a thing apart from the truth of existence of that truth was a thing apart from writing–as if living and truth and writing bore no relation to one another: as if each hung like a cold corpse from its own separate gallows.

Nirmal Verma, Deliverance

A Coin [en]

A little girl follows the canoe and asks the two tourists inside for a coin.

There is a canoe with tourists again. A white lady with fair hair, and another lady from the city. I stand on the edge of the water, I say “Hello!”, I smile. They wave back.

The white lady has a big camera. These tourists, they always take a lot of photographs. These two are laughing and talking and playing with their cameras.

I run along the shore to follow them — they aren’t going very fast, it is easy. I wave, I smile again. I think they like me. I am wearing my purple dress.

I ask for a coin. The lady from the city makes me repeat. I think she doesn’t understand.

The canoe is going round the corner — I take the shortcut behind my uncle’s house and catch up with them again. Once more I ask for my coin. As they still don’t understand, the boatman tells them what I want. These ones won’t give me anything.

I run after them again, smile and ask for a photo. The lady from the city takes a picture of me. I wave good-bye, the boat goes off. Mother is calling me.

Une matinée en Inde [en]

Une matinée tranquille en Inde, à  la maison, avec un portée de six petits chiots.

J’émerge vaguement de mon sommeil au moment où Sagar rentre à  la maison. Mon passage à  la position verticale me fait douloureusement savoir que le mal de tête qui me tient compagnie depuis plusieurs jours ne s’est pas fait la malle pendant la nuit.

Je dors dans le “salon”, la pièce qui accueille les gens qui entrent dans l’appartement, puisque la chambre à  coucher est occupée par les propriétaires, mes amis Shinde et Nisha, et surtout par une portée de six petits bergers allemands couinants et leur mère.

Etape incontournable au lever, l’opération-pipi prend ici une toute autre dimension. Les WC sont “à  la turque”, comme on dit par chez nous, ce qui ne me dérange nullement. Par contre, je ne peux pas dire que je sois réellement enthousiaste de partager les lieux d’aisance avec les trois chiens adultes qui vivent ici. Première étape, donc, rincer tout d’abord à  grande eau la cuvette et les alentours afin d’en éliminer l’urine de chien…

Je me re-pose sur mon lit et je lis quelques pages de mon fascinant livre sur les mélanges culturels dans la région d’Hyderabad au XVIIIe siècle. Shinde fait sa puja à  la cuisine pendant que Nisha prépare à  manger. Je croise Sagar brièvement en allant prendre quelques photos, puis il va se coucher.

Le long tintement continu de la cloche annonce la fin de la puja. Shinde passe dire bonjour, et quelques minutes après c’est Nisha qui m’appelle pour déjeuner.

Installée sur le seul tabouret de la cuisine, je finis de me réveiller en plongeant ma cuillère dans le délicieux upama épicé préparé par Nisha. Je prends cependant soin de laisser les piments sur le côté. Sagar, réveillé par les appels insistants de Shinde, vient chercher son assiette et disparaît.

Je suis la dernière à  finir. Shinde est parti au travail après une courte prière (ou invocation? — il faudra que je lui demande) devant son autel; Sagar dort déjà  à  poings fermés.

Nisha et moi parlons du programme de la journée: ce matin, je lirai, puis j’irai au café internet cet après-midi avant que nous sortions les trois (avec Sagar) manger chez Pizza Hut. Shinde ne sera pas de la partie, comme c’est le jour où il rend visite à  son guru.

Saisie d’une subite inspiration, je demande à  Nisha son meilleur couteau. Suivant mon conseil, Shinde a ramené hier soir un grand carton pour les chiots – malheureusement un peu petit. J’ai vite fait de le dépiauter un peu pour en faire une sorte d’enclos assez grand pour contenir mère et petits. (Suivant un de ces raisonnemetns dont le secret m’échappe, Shinde avait prévu de n’y mettre que les chiots.)

Justement, une des petites bêtes piaille plaintivement depuis quelques minutes. Nisha a fini vaisselle et nettoyage de cuisine, et est à  présent occupée à  la puja. Sagar, lui, ne s’est pas réveillé malgré le bruit (une faculté toute indienne). Je vais donc m’y coller, même si la mère a une fâcheuse tendance à  me considérer comme une menace pour ses petits et à  la jouer “fais gaffe ou je te mords.”

Je constate qu’une fois encore, un des chiots s’est aventuré hors du tas de couvertures qui leur sert de nid. Il se retrouve maintenant sur le carrelage lisse et froid, incapable de rejoindre sa mère et les autres. Mon enclos sera bien utile. Je réussis à  remettre la petite chose sur le tas grouillant de ses frères et soeurs, malgré les efforts de Silky, la mère un peu surprotectrice et nerveuse, pour me tenir à  distance (elle s’assied sur ses chiots et fait mine de vouloir prendre ma main dans sa gueule.) Le bruit cesse.

Sagar, endormi à  moins d’un mètre de moi, n’a pas bronché.

Nisha vient nettoyer le coin des chiots et nous y installons mon carton. Elle me félicite avec enthousiasme pour mon idée (qui rendra également le nettoyage plus aisé). Silky s’y installe aussitôt avec les chiots, que je n’ai presque pas entendu couiner depuis.

Histoire d’habituer un peu Silky à  ma présence, je m’installe sur un coin du lit avec mon livre, pendant que Nisha passe le balai et la panosse dans tout l’appartement.

"Café, Mesdames et Messieurs?" [en]

C’est la deuxième fois que je le croise dans le train. Au lieu de se contenter de tirer son chariot à  boissons sans un mot comme ses collègues, il interpelle les passagers: “Café, Mesdames et Messieurs? Bonjour, un p’tit café? Madame, vous prenez un café?”

Regards surpris, un peu heurtés par ce rayon de soleil à  la peau noire, si peu helvétique, un poil intrusif à  notre goût parce que l’on n’en a pas l’habitude, mais qui tout compte fait est d’une politesse exquise et ne se montre jamais insistant. Un petit choc des cultures bienvenu dans le train Lausanne-Bienne du matin; un sourire pour commencer la journée.

The Very Thirsty Camel [en]

Once upon a time there was a camel, who lived in the dry, scorching desert. Long ago, he had drunk poisonous water out of an oasis, and it had made him very, very sick. What a bitter experience! He had very nearly died.

So this camel had become a very cautious camel: he avoided water so that he wouldn’t be sick again. He was thirsty, of course, but he preferred that to risking death again. He would wander around and go past the oases without so much as touching their water. He was a very thirsty camel.

Once in a while, however, he would reach an oasis where other camels were drinking. When that happened, he would start drinking there too, as the water was obviously safe. But this camel was so thirsty that once he started, he would drink up the whole oasis, leaving nothing behind him but a dry patch of mud.

But, will you ask, how did we get to know about this camel and his strange behaviour? Actually, the answer is pretty simple (aside from the dried-up oases, of course). You see, as this camel drank only so very rarely, and so much at a time, he had developed no less than twenty-seven humps on his back, attracting the attention of all the camel-watchers in the desert.

Parable told by J.-F. H.

Movie Evening [en]

Back from seeing Elephant with a knot in my stomach and a sick feeling inside.

The cat is asleep in my clean laundry. I pick him up and hold him close. He presses his head against my neck and purrs right through my chest.

Illumination et prise de conscience [en]

Mes études sont bel et bien terminées. Il y a dix jours, je me suis rendue à  l’université une dernière fois en tant qu’étudiante, pour recevoir mes résultats. Sans grande surprise, mais néanmoins avec grand soulagement, je trouve mon nom dans la liste des étudiants ayant réussi leurs examens. Je me rends un étage plus bas pour l’apéro, je reçois l’enveloppe renfermant mes notes, je serre la pince au doyen. Je ne reste pas longtemps, je ne connais plus personne. Je préfère retourner célébrer ça avec mes collègues.

La grande surprise, c’est mon travail de psychologie de la religion: Illumination et prise de conscience: un point de rencontre entre zen et psychothérapie?, qui bien qu’écrit un peu en catastrophe (c’est un euphémisme), m’a valu un 5.5 sur 6. Pour ceux qui viennent de contrées ou de pays où la notation est différente, sachez que c’est une excellente note.

J’ai donc mis ce petit travail en ligne (après avoir laborieusement nettoyé le “HTML” produit par Word), d’une part parce que finalement j’en suis assez satisfaite, et d’autre part parce que plusieurs personnes m’ont demandé à  le lire. Je vous recommande d’ailleurs d’imprimer la version Word et de le lire sur papier, ce sera bien plus agréable qu’à  l’écran.

En passant, je vois que la liste de mes écrits s’allonge. En tâche de fond, je songe à  réorganiser le site, et je garde à  l’esprit cette remarque (de Denis, je crois): il y a tellement de choses sur mon site qu’on ne s’y retrouve plus, et que ça décourage de partir en exploration. Alors pour aujourd’hui, visitez un peu la section écriture, et si vous lisez l’anglais, arrêtez-vous sur un petit texte dont j’avais oublié l’existence, et que j’ai relu tout à  l’heure: Librarian.

Petit conte des transports publics [fr]

Deux ans qu’elle le croise dans le bus. Ils écoutent la même musique. C’est encore un gamin, il doit avoir à  peine deux ans de plus qu’elle. Il lui plaît bien, même s’il est bien sûr un peu trop jeune. Ils ne se sont jamais parlé.

La dernière fois qu’elle est descendue du bus, elle s’est retournée. Il lui a souri. Elle a souri aussi.

La prochaine fois qu’elle le verra, elle le saluera. Il lui répondra, et leurs sourires resteront accrochés quelques instants à  leurs visages. Ils ne seront plus des inconnus. Entre sourires et salutations, ils s’assiéront un jour sur la même banquette et échangeront timidement quelques mots.

De paroles banales en confidences un peu plus personnelles, viendra le jour où il lui proposera de prolonger la conversation à  l’extérieur du bus qui jusque-là  les aura chaperonnés. Ou peut-être sera-ce elle à  nouveau qui fera le pas ? l’histoire ne le dit pas, et cela n’a finalement pas grande importance.

Ce que dit par contre l’histoire, c’est que bien des années plus tard, il regarderont rire leurs enfants en repensant à  ce fameux bus et à  leur timidité d’alors. Ils frémiront en se souvenant qu’ils auraient très bien pu continuer à  faire semblant de ne s’être pas reconnus. Les gens bien n’adressent pas la parole aux inconnus, ici.

A quoi ça tient, des fois.