Quintus, étapes d’un adieu (2) [fr]

Quintus, étapes d’un adieu (1)

06.12.2020 19:41

Quintus est allé manger dans sa gamelle trois fois cette dernière heure. Son sachet de nourriture habituelle. Il descend du lit par l’escalier, même s’il est faible sur ses pattes, et remonte se mettre sur son dodo avec le coussin chauffant.

Quand j’envisageais les scénarios pour la suite, aux moments les plus sombres, je me disais que la seule situation où je pouvais envisager de “continuer” mardi et au-delà c’était s’il était autonome pour manger, boire, aller à la caisse et maintenir sa température. Car même si je rentre à midi, s’il ne gère pas ça, c’est juste pas possible.

A croire qu’il m’a entendu. Je suis très désarçonnée et déboussolée. Cette nuit je croyais honnêtement qu’on l’endormirait cet après-midi. Durant la journée le doute a grandi, mais je n’imaginais pas du tout qu’il mangerait aussi bien.

Je me retrouve comme devant un gouffre. Cela fait deux jours que je me projette dans une euthanasie. Pas tant “si” que “quand”. Un peu de “si”, mais surtout du “quand”. Le bon moment pour lui et pour moi. J’ai pleuré, pleuré, essayé d’imaginer mardi sans lui, un autre équilibre pour ma vie, senti aussi la part de soulagement qu’il y aurait pour moi à être libérée de ma peur constante de le perdre, de la charge que représentent les soins – même si je le fais évidemment de bon coeur.

Et là… peut-être qu’on repart “comme avant”. Ce n’est pas la première fois qu’il nous aura fait le coup, de revenir des portes de la mort. Je pensais qu’il avait épuisé ses 9 vies, mais visiblement non. Evidemment tout peut encore dégringoler cette nuit… mais vu la tournure que prend ce soir, j’en doute. Son poil est joli. Il n’a même pas vraiment perdu de poids, même si c’est artificiel, car il a eu des perfs. Il lève bien la tête et me regarde quand je l’appelle.

C’est vraiment dur, ces désespoirs et espoirs. De plonger dans la tristesse du deuil et finalement “ah ben non, ce sera pour la prochaine fois”. Non que j’aurais préféré que ce soit “cette fois”, j’aime ce chat de tout mon coeur et je chéris chaque jour de plus que j’ai avec lui. Mais c’est dur, bon sang. J’ai l’impression d’être dans une lessiveuse émotionnelle: à fond dans un sens, puis à fond dans l’autre.

Je me souhaite une nuit paisible. Quant à lui, soit il gère sa nuit, soit il ne la gère pas: il y a là une croisée de chemins qui n’est pas entre mes mains.

07.12.2020 6:52

Cette nuit j’ai dormi. Toi, tu n’as pas mangé autant que j’aurais espéré. Je ne suis pas sûre que tu aies mangé, après hier soir. Mais tu as utilisé ta caisse, tu as maintenu ta température, tu n’es pas resté au froid sur le parquet.

A un moment donné, tu t’es agité – peut-être as-tu simplement raté la marche en voulant descendre du lit ou te retourner. Je t’ai pris sur moi, tu es resté longtemps, immobile, chaud.

Je t’ai dit que c’était OK, que tu pouvais arrêter de te battre si tu en avais assez, que j’étais prête à te laisser partir. Je t’ai dit ça pour moi plus que pour toi. Je ne crois pas que tu comprends mes paroles, mais je sais que les dire change mon état intérieur, et qu’à travers notre lien, mon état intérieur a un impact sur toi.

J’ai pensé que ça pourrait être la fin. Tu respirais peut-être un peu vite, mais surtout, tu restais sur moi sans t’en aller, tout mou sous mes mains.

Enfin, tu as bougé. Tu t’es posé sur le lit à côté de ton tapis chauffant. J’ai mis ma tête contre la tienne, je t’ai dit encore des paroles que tu ne comprends pas mais qui m’ont fait du bien. Tu as frotté ta tête contre la mienne, puis contre mes doigts, tu as léché mon nez “comme d’habitude”, et ronronné un peu.

On me dira que c’est un message, que tu veux me dire quelque chose. Je n’y crois pas, dans ce sens. Je pense que tu exprimes ton état, pas que tu communiques avec intention. Et certes, l’état que tu exprimes, c’est un message pour moi: tu es encore là, il te reste un peu de goût à la vie, même si c’est surtout celui de mon nez.

Alors on verra ce que ce jour amène. Si on repart pour un tour, ou si ces dernières 24 heures n’étaient qu’un petit “mieux mais pas assez” avant de se dire adieu pour de bon.

07.12.2020 21:10

Une journée un poil plus sereine aujourd’hui. Je suis épuisée émotionnellement. A un certain niveau, je n’en peux plus et j’aimerais que ça s’arrête. Les petits progrès de hier sont encore là, dans l’ensemble. On a une certaine stabilité. Mais elle n’est pas suffisante. Elle ne permet pas une vie durable.

J’ai fait le point ce matin avec mes vétérinaires. Il y a un mieux, alors on continue encore quelques jours ce qu’on a fait jusqu’ici, pour lui donner une chance.

Mais le problème de fond ne s’en ira pas: Quintus est vieux, très vieux, trop vieux même. Son corps est usé. Si on surmonte cette crise, il y aura la prochaine. Et la suivante. Et la suivante. Et il ne faut pas se leurrer, à cet âge-là se retrouver aux portes de la mort ne rend pas plus fort.

Il était déjà tellement frêle.

Je regarde ses pauvres vieilles pattes qui ont encore fondu. Son poil reste joli (il a un pedigree mine de rien, il faut assurer!) et il reste quand même un peu de chat sous la main quand on le caresse, mais à quoi bon si ses pattes ne le portent plus? Et juste là, mis à part l’appétit peu présent (il remange, mais ça ne veut pas dire qu’il mange assez pour se maintenir), le gros souci c’est sa faiblesse. Difficile de se nourrir correctement quand c’est trop fatiguant de se tenir devant le bol pour manger.

Alors on se donne quelques jours. Un peu pour lui, surtout pour moi, j’en ai conscience. Quelques jours pour voir si on revient en arrière, si on stagne, ou si on progresse. Dans les deux premiers cas la réponse sera claire: on va s’arrêter. Dans le dernier… il faudra voir jusqu’où: pourra-t-il récupérer une qualité de vie acceptable? J’en ai des gros doutes.

Les chances sont minces, vous voyez, même s’il y a un peu de répit.

J’ai tant de mal à accepter la mort. Déjà ça, c’est dur. Mais ce que je n’avais pas vu venir, c’est à quel point elle peut tourner autour du pot. Alors que j’écris ces lignes, tentant de me projeter dans les jours qui viennent où je vais certainement me retrouver sans lui, après avoir dû décider “c’est maintenant”, le voilà qui s’étire confortablement comme il en avait l’habitude, dans son demi-sommeil, serrant ses pattes avant contre lui autour de son museau, tendant les pattes arrière. Quelque chose qu’il n’a pas fait depuis des jours. Ces petites choses qui me font penser qu’il est de retour, qu’on va pouvoir continuer notre petite vie comme avant, après tout, cette grande frayeur passée comme les précédentes. Un déni confortable qui me permet de souffler un peu, mais dont je dégringole rapidement.

Après vous avoir emportés avec moi tout ce week-end, je voudrais vous épargner un peu les ascenseurs émotionnels. C’est déjà assez dur à vivre comme ça, sans encore le poids de les infliger à tant de belles personnes qui m’entourent. Cela ne veut pas dire que je vais cesser d’écrire ou de vous dire comment vont les choses. Mais peut-être pas quatre fois par jour. On verra.

En ce moment Quintus dort confortablement sur son coussin chauffant, moins comateux et plus endormi. Il a mangé un peu par lui-même, je l’ai aidé pour le reste, il a eu sa perf et ses médics indispensables. Il a passé du temps entre mes jambes tout à l’heure, a donné quelques coups de langue à une patte avant. Sa température semble s’être stabilisée, sa glycémie aussi. Ce matin, par contre, il a refait pipi sur le linge qu’il occupait. Il ne mange pas assez bien par lui-même. Il est très faible et se déplace avec peine.

J’ai la chance demain qu’une adorable personne vienne veiller un peu sur lui pendant que je travaille. J’aimerais être libre de rester avec lui ces quelques jours, mais la vie a ses contraintes. Il faut faire avec, ça je l’accepte.

C’est juste la mort qui m’emmerde vraiment.

08.12.2020 20:39

Aujourd’hui je peux presque faire semblant que ma vie est normale. Presque.

Quintus ne dégringole pas. Il progresse même un peu. C’est le scénario le plus compliqué. Jusqu’où garder de l’espoir? Combien de temps donner avant de conclure qu’il ne retrouvera pas une qualité de vie suffisante, quel que soit le temps supplémentaire qu’on pourrait lui donner?

Je retrouve un peu mon vieux chat. Il est plus alerte. Ses positions couché sont plus normales. Mais la mobilité… Il est encore trop faible.

Aujourd’hui je prends un peu congé et je me dis que voilà, je n’ai pas besoin de trouver de solutions aujourd’hui. J’essaie juste de profiter du temps avec lui, sans trop penser.

10.12.2020 18:04

Je ne veux pas te laisser partir. Pas du tout. Je refuse d’accepter la mort. Quelque part, au fond, je pense que si je refuse assez fort, je gagnerai.

Mais la mort gagne toujours. Elle est là, au bout du chemin, quoi qu’on fasse.

Et elle est là au bout de ton chemin, pas très loin d’aujourd’hui.

Le problème c’est que je ne veux pas. Et encore moins alors que tu as un peu remonté la pente. Je m’accroche à l’espoir, comme si remonter cette pente pouvait te rendre immortel. Je m’accroche très fort, parce que si je ne lâche rien, je n’ai pas besoin de regarder la mort. Ce qu’on ne voit pas n’existe pas!

Mais elle est là, tout près, incontournable. Elle t’attend, et moi je ne suis pas prête. J’étais prête, pourtant, à un moment donné. Puis non. Puis oui de nouveau. Puis non. C’est compliqué, l’acceptation.

Je te regarde là couché près de moi, ton poil joli mais tes jambes creuses, ta si belle tête même si tes moustaches pendent un peu dorénavant.

C’est d’autant plus dur que tu es bien vivant. Mais quelle vie? Que reste-t-il de ta vie de chat, qui courais dans le jardin, grimpais aux arbres, montait d’autorité sur mes genoux, faisais tes griffes sur l’arbre à chat, houspillais la jeunesse féline qui te manquait de respect, nounoutais les chatons orphelins?

Certes, tu manges, tu n’as peut-être pas perdu toute envie de vivre, mais ce n’est plus juste que tu boites en montant et descendant les escaliers du lit: c’est tout un effort, toute une galère, c’est vraiment devenu dur pour toi.

Et je ne veux pas te faire subir ça… Donc la solution est de faire en sorte qu’il n’y ait plus de toi. Je comprends tellement pourquoi on tient à notre croyance en une vie d’après. Ça rend tellement plus simple l’idée de la mort. Ce n’est pas le passage de l’existence à la non-existence, c’est juste un passage entre un état où l’on souffre et un autre état où tout va bien.

J’ai toujours dit que l’euthanasie était le dernier acte d’amour pour nos compagnons à poils (ou à plumes… écailles…). Le problème c’est que c’est un acte par lequel on prive cet amour de sa destination. Le deuil, c’est de l’amour qui n’a nulle part où aller. Et donc cet amour, qui nous fait dire “c’est fini, ta vie doit s’arrêter, car la faire continuer est pire que de l’arrêter”, cet amour est lui-même la source de son propre désancrage.

Ce serait plus facile de faire ça pour toi si je croyais que d’une façon ou d’une autre, tu serais encore là pour bénéficier de ce geste qui me coûte tant. Je le fais pour toi, pour qu’il n’y ait plus de toi. Et ça, ça a quelque chose de paradoxal que je n’arrive juste pas à concevoir. Pourtant, c’est ce qui va se passer. Lundi, ou mardi. J’ai commencé les démarches. Et juste là, je suis inconsolable.

Quintus, étapes d’un adieu (3)

Quintus, étapes d’un adieu (1) [fr]

4.12.2020 22:38

Un jour de cauchemar recouvert de neige
Mon très vieux chat, si frêle et doux
Le temps des adieux, à moins d’un miracle
Il y en a eu des miracles, mais cette fois je n’y crois plus
Ton vieux corps sur le fil, à l’aube de tes vingt ans
Ton corps qui dit “je ne peux plus”
Et mes larmes qui coulent sur ta fourrure et dans des mouchoirs
Tes vielles pattes qui ne veulent plus te porter
Le ronron que j’ai entendu il y encore quelques jours
Eteint
Impossible à rallumer
J’essaie d’imaginer un lendemain sans toi
Je ne veux pas, mais tu ne peux plus
Il est venu le jour de cauchemar
Faut-il encore se battre?
Il faut bien mourir de quelque chose
Le premier jour de vraie neige
Un hiver que tu ne passeras pas
Un printemps que tu ne verras pas
Mon très vieux chat, compagnon de toutes mes nuits
Ma boîte à ronron, quand elle fonctionnait encore
Mon chasseur de souris, voleurs d’oeufs de pigeon
Tiens, cela fait bien longtemps que tu n’as plus appelé le service d’étage
Tu vois, mine de rien, au fil du temps
Le lent déclin qu’on perçoit à peine
Inéluctable, un mot usé comme ton pauvre corps
Le bout d’une vie longue comme ces lignes
Que j’alimente encore et encore
Pour ne pas en voir la fin
Pour ne pas te dire adieu.

5.12.2020 19:55

Quand est-ce que c’est “le bon moment”?

Jusqu’ici, j’ai eu la “chance” d’endormir mes chats dans des situations où il n’y avait pas photo, pour abréger une agonie claire.

J’ai réalisé il y a très peu de temps – avant toutefois que Quintus ne dégringole – que ma plus grande peur par rapport à sa mort n’était pas tant la mort elle-même (ça toutefois la mort avec toute sa charrette d’enjeux) mais l’idée que je risque de prendre la décision irrémédiable alors qu’il aurait encore eu une chance de s’en tirer.

Je ne compte plus le nombre de fois où on a pensé que c’était cuit pour lui, et où contre toute attente il a remonté la pente. La mort, c’est final. Et toutes ces fois, j’aurais pu décider que c’était “fini”. En janvier, il a fait une insuffisance rénale aiguë. Quasi une semaine sous perf chez le véto. Le “dernier” jour, celui dont on avait dit “si c’est pas mieux là, c’est cuit”, on a vu une lueur d’amélioration. On lui a donné un jour de plus. On est en décembre. Il aura eu presque un an de vie, de petit vieux, certes, mais avec des caresses des ronrons, des siestes et des étirements confortables…
A un jour près il n’aurait pas eu cette presque-année.

J’essaie de me réconcilier avec l’idée que je ne peux pas garantir que ma décision de mettre fin à ses jours sera “le bon moment”. Ce soir, il est plus serein, sa température est stable. Mais il est très faible, ne mange et ne boit pas par lui-même, n’arrive pas à aller à sa caisse, se déplace à peine.

Clairement une vie comme ça, ça ne va pas. Mais pendant qu’il est comme ça, on essaie de lui donner une chance: réhydratation, nourriture à la seringue, le réchauffer, médicament pour aider le transit à repartir. Mais on fait ça combien de temps?

J’ai trouvé une vétérinaire qui pourrait venir faire une euthanasie à domicile demain après-midi. On a dit qu’on faisait le point demain matin.

Si ça empire, la décision est facile. Si rien ne change, je pense aussi que les choses sont claires. J’ai congé dimanche et lundi, mais je reprends le travail mardi, donc à partir de ce moment-là ça me sera impossible de m’occuper de lui d’aussi près, et le mettre encore x jours en box chez le vétérinaire sous perf, pour si peu de chances d’une issue favorable, je ne crois pas que ce soit juste pour lui.

Mais si – et c’est ce que je crains – il y a une légère amélioration? S’il maintient sa température, s’il donne un coup de langue à la seringue quand je lui donne à manger, s’il tient un peu mieux sur ses pattes? Faut-il continuer à lui donner une chance, ou bien se dire que même s’il remonte un peu la pente, les chances qu’il puisse retrouver sa qualité de vie d’avant et être assez autonome sont trop faibles?

Je ne vous demande pas de répondre à ces questions. Mais ce sont celles que je me pose, celles qui m’empêchent de dormir, et qui, disons-le, me torturent un peu.

J’ai peur de prendre la décision “trop tôt”, de le priver d’un bout de vie qu’il serait capable d’avoir et qui en vaudrait la peine.

Et j’ai du mal à me résoudre à accepter de prendre ce risque.

Viennent aussi les considérations “pratiques”. C’est dur de devoir prendre ça en compte. Je suis prise à plein temps (travail et formation) de mardi à dimanche. D’une certaine façon, il “vaut mieux”, pour moi et probablement pour lui, que tout s’arrête demain, ici, dans une relative sérénité, que risquer de partir dans une semaine avec des hospits, ou alors une dernière journée ou deux à la maison dans des conditions encore plus dégradées qu’aujourd’hui, et sans que je sois avec lui.

J’ai du mal, là, vraiment.

6.12.2020 3:38

36.1: la fin des haricots. La température de ton corps après trois heures de mon sommeil. Tu t’es couché au fond du couloir, sur le parquet – boudant ou ne retrouvant pas tes tapis chauffants. Ton corps est au bout, tu es au bout, et moi aussi je suis au bout de ce que je peux faire pour t’aider. Hier après-midi, ta température était stable. Mais il suffit que je ne veille pas pour qu’elle dégringole. Tu dépends des bouillottes et du tapis chauffant, et moi je ne peux pas t’empêcher de le quitter. Alors oui, je peux te remplir de nourriture et d’eau, encore quelques heures, encore quelques jours, mais ton organisme a posé les plaques. 20 ans, presque 20 ans, juste pas 20 ans. Ça reste une vie de chat extrêmement longue. Et depuis plusieurs années, tu es malade, mine de rien. Plutôt trois ou quatre fois qu’une. Alors on peut pardonner – je dois pardonner – à ton corps de ne plus pouvoir. Il a été bien vaillant jusqu’ici, mais tout le monde a ses limites, y compris toi.

Je ne suis pas sûre de croire que “tu sais”, que tu “n’as plus envie”. Je pense plutôt qu’il y a ce que tu peux et ne peux plus, qu’il y a le mal-être et le bien-être. Je ne crois pas que tu essaies de me dire quoi que ce soit; je sais que tu es, tout simplement. Peu importe au final ce qui fait que tu ne reviens pas là où tu te réchaufferais, que ta température dégringole, que ton appétit s’est fait la malle. Ce qui compte, c’est que c’est comme ça, et que même en faisant “ce qu’il faut” pour te réchauffer, pour te soutenir, pour te nourrir, rien n’y fait. C’est important pour moi, ça, de savoir que j’ai fait “ce qu’il faut”, que je n’ai pas baissé les bras trop tôt. Si j’étais du genre à baisser les bras trop tôt je t’aurais perdu il y a des années. On aurait raté encore un joli bout de chemin ensemble – et quoi qu’en pensent certains, il l’était aussi pour toi.

On n’a qu’une vie, et quand elle s’arrête, c’est terminé. Pour toujours. C’est ça que je crois. Alors il m’importe d’être là jusqu’au bout, de ne pas rendre les armes alors qu’il en reste, de la vie à être vécue, de la vie qui ait un sens. Ne pas souffrir est important, mais à ne regarder que la souffrance (physique généralement), qui peut être temporaire, et à ériger l’absence de celle-ci en valeur suprême, je crois que l’on se fourvoie. A l’extrême, la vie étant inextricable d’une certaine dose de souffrance (ou même “étant souffrance”, quand on traduit maladroitement le bouddhisme dans nos langues d’Occident), on en viendrait à une posture un peu simpliste de négation pure et simple de la vie. Pas de vie, pas de souffrance. On voit bien que ce n’est pas satisfaisant.

A la question de la souffrance, je préfère celle du sens, à laquelle on peut subordonner la première. Ainsi, la souffrance et la tolérance de celle-ci est à évaluer à l’aune du sens dans laquelle elle s’insert. On peut souffrir de façon transitoire, car cette souffrance “a un sens” dans une vision plus globale. On peut accepter une certaine dose de souffrance même chronique dans une vie, parce que cette vie a un sens au-delà de cette souffrance. Le problème n’est pas la souffrance en tant que tel, mais son intensité, sa durabilité, et son contexte.

La question du sens n’est pas sans ses propres écueils nihilistes, bien entendu. Mais à l’échelle d’une vie, face à la mort, je trouve qu’elle tient encore la route.

Et là, mon très vieux chat, le sens est en train de nous échapper, avec sa copine l’espoir. Ton état n’évolue pas. Le maintenir stable demande un travail impossible à fournir sur le long terme, pour une qualité de vie qui n’est pas acceptable.

Je pense que demain sera le jour. “Demain”… je veux dire aujourd’hui, plus tard, après la nuit.

6.12.2020 15:29

J’attends demain. Après une nuit où tout semblait clair, le matin a apporté un faible ronron, une tête qui réagit aux caresses, des coups de langue dans le bol de patée offerte, une longue séance de boisson à la fontaine, et même un pipi dans la caisse cet après-midi. Globalement, il est aussi plus confortable dans sa position.

C’est extrêmement difficile: les chances qu’il soit suffisamment bien demain restent faibles. Aussi, je suis épuisée, éreintée des ascenseurs émotionnels, fatiguée du souci constant et de la mort à l’horizon depuis des années.

Contrairement à d’autres personnes qui ont la hantise d’attendre un jour trop tard, la mienne est d’agir trop tôt. On aurait pu faire ça cet après-midi. Mais j’aurais trop douté: aurait-il fallu lui laisser encore un jour pour montrer de quoi il était capable?

Au fond, je pense que ça ne changera pas grand-chose. Demain sera comme aujourd’hui. Mais il y a une petite chance que ce soit plus clair, soit dans un sens, soit dans l’autre. Une petite chance que je puisse être plus sereine. 24h aussi encore pour se dire au revoir, dans des conditions pas trop mauvaises. Pour passer 5 minutes au soleil sur le balcon, enveloppé avec une bouillotte dans un plaid.

Ce dont j’ai le plus peur, paradoxalement, c’est que demain il aille “trop bien”. Car autant je ne veux pas couper court à sa vie si elle a encore du temps en elle, autant je serai soulagée que tout ceci soit derrière, malgré tout mon amour pour ce chat qui m’accompagne depuis bientôt 9 ans.
Je me permets ce sursis parce qu’il est relativement serein. Parce qu’aujourd’hui est mieux qu’hier, cet après-midi mieux que ce matin. Je sais que je ne fais que repousser l’inévitable. Egoistement, j’en viens presque à espérer que son état se dégrade nettement. Mais il y a tout à parier que demain ne clarifie rien, que je me retrouve avec un chat affaibli, mais qui mange, boit, va à sa caisse, ronronne et apprécie mes caresses. C’est une situation qui n’a pas de bonne solution.

Alors aujourd’hui je nous offre le luxe de juste vivre ensemble la fin de cette journée, sans trop penser à demain.

Et demain… on verra demain.

Quintus, étapes d’un adieu (2)

Petite Luna: ça fait un an [fr]

Aujourd’hui, ça va faire un an. Un an que quelques minutes de mon inattention t’ont coûté la vie.

Alors je sais, on me l’a répété maintes fois: les accidents arrivent, je ne dois pas culpabiliser, si je ne t’avais pas prise en charge deux mois auparavant tu n’aurais probablement pas été encore en vie à ce moment fatidique. Reste que je me sens responsable, terriblement responsable, et que je me demande régulièrement à quoi ressembleraient nos vies si j’avais fermé cette fichue fenêtre.

Tu étais arrivée dans ma vie le 9 juin, deux mois jour pour jour avant de la quitter.

Une petite crevette d’à peine 2kg, la peau sur les os, les yeux enfoncés dans leurs orbites… craintive, jolie malgré ton état, douce et intelligente.

Je n’avais jamais eu de chat craintif. Ça a été tout un apprentissage. Pas simple de t’approcher, pas simple au début de te faire les injections d’insuline dont tu avais impérativement besoin pour survivre. Quasi impossible de faire des contrôles de glycémie. Mais malgré tout, toi et moi, on y est arrivés. Semaine après semaine, tu as repris du poids, ton poil est devenu moins moche, et tu as pris confiance.

Tu adorais la pâtée a/d – et rapidement, tu t’es mise à adorer l’anti-glouton rose sur lequel je te la servais. Tu aimais jouer avec la canne à pêche “proie de sol”, et tu étais redoutablement efficace. Tu aimais les caresses et roulais ta tête dans la main que je te tendais. Tu comprenais vite ce que je voulais de toi, et tu en profitais pour te défiler ?

Tu n’aimais pas trop aller en hauteur. Grâce à la caméra de surveillance que j’avais installée, j’ai découvert à mon étonnement que la nuit, tu étais montée sur la table pour explorer. Tu miaulais aussi parfois, probablement d’ennui, puisque que t’étais au final bien accoutumée à ton nouveau “chez toi” à l’eclau. Une des raisons, entre autres, qui m’ont décidée à tenter ton déménagement vers mon appartement.

Je t’entends encore roucouler en venant à ma rencontre un matin, récompense des longues et longues heures passées à t’amadouer. Je sens ta petite langue douce qui léchait la pâtée tant convoitée sur mon doigt. Mon pantalon jaune a encore des fils tirés par tes griffes parfois maladroites.

Grâce à toi, j’ai dû sortir de ma zone de confort en matière d’apprivoisement et de medical training. J’ai eu l’immense chance de bénéficier de l’expertise et du coaching de Céline en la matière, et j’en ai appris plus que j’aurais jamais imaginé (il me reste encore bien des choses à apprendre, d’ailleurs… j’ai pu mesurer l’étendue de mon peu de compétence!)

Grâce à toi aussi, j’ai découvert le FreeStyle Libre, et durant cette année plein de chats du groupe DF et leurs maîtres ont pu en bénéficier. C’est devenu tellement courant maintenant, c’est difficile d’imaginer à quel point c’était “expérimental” il y a un peu plus d’un an, quand on s’est lancés.

Ça, c’est des cadeaux très concrets que tu m’as laissés. Mais ce que je retiens surtout de toi, c’est ta douceur, ton joli visage et ton regard intense, ta crainte mais aussi ta détermination à la surmonter quand la motivation était suffisante, ton petit corps osseux qui petit à petit se remplumait sous mes caresses. Ton intelligence, ton plaisir à jouer, ton petit ronron. Le lien qu’on avait créé toi et moi, d’heures en jours et en semaines.

J’imaginais plein d’avenirs pour toi. Tu retournais dans ta famille, peut-être en rémission, peut-être pas. Ou alors, ta famille n’était pas en mesure de te reprendre, et on te trouvait un nouveau foyer où tu serais choyée et heureuse. Et quelques fois, même si c’était loin d’être mon projet initial, je me disais que ce foyer serait peut-être le mien, si tu arrivais à amadouer le vieux Quintus.

On ne saura jamais quelle aurait été ta vie. Coupée court par un bête accident, ces quelques minutes où une vie bascule, alors que tout allait dans la bonne direction pour toi.

Merci d’avoir passé dans ma vie, petite Luna ❤️.

L’album de Luna, photos et vidéos.

Larmes virtuelles [fr]

Aujourd’hui j’ai de nouveau pleuré devant mon écran pour la mort d’un chat que je n’avais jamais rencontré. Je pleure parce que je me projette dans la peine de sa maîtresse effondrée et inconsolable, et aussi parce que je sais que tôt ou tard ce sera mon tour.

J’en ai vu mourir, des chats, depuis deux ans et demi. Dans un groupe de chats diabétiques qui approche maintenant les 900 membres, ça fait beaucoup de chats, tous avec au moins une maladie chronique, et souvent plus, vu que beaucoup des chats du groupe sont des chats seniors, ou des diabétiques difficiles à réguler et dont on découvre par la suite un autre souci de santé.

Dans le groupe Diabète Félin, nous avons une véritable communauté. Il y a des liens forts qui se créent. On se connaît, on se suit, on est inévitablement embarqué dans les espoirs et les désespoirs des uns et des autres. On partage un souci commun, on se serre les coudes, on trouve du soutien auprès d’autres “comme soi” quand on n’a pas la chance d’avoir un entourage qui comprend l’attachement qu’on peut avoir pour un petit animal qui ronronne, ou l’investissement auquel on est prêt pour le soigner et lui offrir une bonne vie.

Mais bon, me direz-vous, tous ces petits chats croisés sur Facebook ne sont que des chats “virtuels”. Je ne les ai jamais vus, jamais caressés, ils n’ont jamais ronronné dans mes bras. Certes. Mais j’ose espérer qu’en 2020, on a compris que le lien pouvait se créer sans présence physique. Le lien avec les humains, que l’on apprend à connaître dans un contexte pas toujours facile, et indirectement, à travers une photo par-ci par-là, une anecdote, et surtout l’amour que leur témoigne leur maître, le lien avec ces chats que l’on n’a jamais rencontrés. Et tout ceci se fait d’autant plus facilement et naturellement qu’on a aussi un chat malade qu’on aime et qu’on soigne.

Ce lien n’est pas le même pour chacun de ces “chats des autres“. Il y a des histoires qui nous touchent particulièrement, des humains avec qui on a des atomes crochus, certains qui sont plus présents, d’autres pas. Chaque chat qui meurt est une perte immense pour son maître ou sa maîtresse, et leur douleur m’atteint toujours. Je me dois pourtant d’essayer de garder un peu de distance, simplement parce que c’est trop dur, autrement. Samedi passé, trois chats sont morts coup sur coup. C’est un exercice difficile, la distance juste. Il m’importe d’être “émotionnellement honnête” dans mes rapports avec les gens, en ligne également. Ça a un coût. Et il m’importe aussi de me ménager suffisamment pour pouvoir continuer à être là, à faire ce que je fais. Donc je m’adonne à cet exercice (le travail d’une vie!), avec plus ou moins de succès suivant les jours.

Certains décès me tourneboulent plus que d’autres, parce qu’au-delà de la douleur visible de celui ou celle qui vient de voir mourir son chat, et qui fait inévitablement écho à la mienne, passée et future, je suis touchée plus personnellement. Souvent, c’est simplement que je connais particulièrement bien le chat en question et son histoire, ou l’humain ou l’humaine qui partage sa vie. Quand on s’implique pour aider quelqu’un, qu’on y met de l’énergie, on s’attache. C’est aussi bête que ça.

Aujourd’hui, je pleure parce que je sais que l’heure de Quintus se rapproche, même s’il s’est miraculeusement stabilisé ces dernières semaines. La profonde peine et la détresse de quelqu’un d’autre est venue réveiller la mienne, dormante et enfouie, pour me rappeler qu’elle m’attend au contour. Je pleure aussi parce que j’y croyais, pour cette minette. J’espérais qu’on allait pouvoir faire quelque chose pour elle. Et enfin, je pleure car je suis triste pour cette femme qui vient de perdre son chat qui comptait tant pour elle, et pour lequel elle a tant fait. Sans la connaître vraiment, je la connais quand même un peu, et je souhaitais du fond du coeur une autre issue pour elle.

Tous nos chats vont mourir. Chaque fois que l’on est témoin de la grande tristesse que cet état de fait amène inexorablement, on a le choix. On peut fuir, on peut se laisser emporter par le désespoir, ou on peut remercier de nos larmes, avec conscience, le petit être qui partage encore notre vie.

Mon vieux chat va mourir [fr]

[en] The end of the road is near for my old Quintus.

Quintus va mourir. Pas aujourd’hui. Mais bientôt.

Ça fait un moment que je veux écrire cet article, et que je repousse, parce que je n’ai pas du tout envie de vivre les émotions qui vont accompagner son écriture.

Je sais depuis longtemps que Quintus va mourir un jour. Chaque chat qu’on aime va mourir, très probablement avant nous. Et Quintus n’est pas jeune. Depuis 2016 je m’attends à ce qu’il puisse mourir. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai cru que son heure était venue. Jamais je n’avais imaginé que Tounsi pourrait mourir avant lui.

J’ai eu peur que sa première pancréatite ait raison de lui. Puis la deuxième, et le diabète. En janvier, ses reins ont failli tirer leur révérence. Puis, deux incidents avec des médicaments mal supportés. Ce dernier mois, des troubles neurologiques qui s’enchaînent, et un état général qui décline, lentement mais sûrement. Il a quand même 19 ans. Vient un moment où on a le droit de vieillir.

Mais vient aussi un moment où l’on ne peut plus lutter contre les dégâts amenés par la vieillesse. Ce week-end, il était vraiment mal. On l’a réhydraté, et de même ce matin. Et on a fait un peu le point avec mon véto.

Ça s’approche. A grands pas peut-être. Comment savoir “quand” lorsque le déclin est graduel? Lorsqu’on a un chat qui mange, utilise sa caisse, ronronne encore, s’étire langoureusement sur son coussin chauffant, et vient même de lui-même sur le balcon (il y a moins d’une semaine)? Quand malgré une fonte musculaire marquée, son poil est encore joli, ses analyses sanguines d’il y a un mois frisent la perfection, et que l’essentiel de son quotidien est fait de siestes paisibles?

Je n’ai aucune envie de faire face à ce qui vient. Je le ferai, mais qu’est-ce que je ne me réjouis pas de combien ça va faire mal. Cela ne fait que 8 ans que Quintus partage ma vie, malgré son grand âge. Je l’ai connu chaton, toutefois, vu que c’était le chat d’une amie, que j’ai récupéré lorsqu’elle a dû repartir en Inde. En Inde, il serait mort depuis longtemps, on le sait bien toutes les deux. Huit ans, mais deux ans et demi de soins rapprochés et d’inquiétude constante de le voir dégringoler. Depuis son diabète.

Alors je comprends qu’un jour il est temps. Ma tête le sait bien. Émotionnellement, par contre, je me trouve loin d’être prête. Bien moins prête que je ne le voudrais. Il a survécu envers et contre tout, et été mon fidèle compagnon d’oreiller durant ces dernières années, loin d’être faciles pour moi.

J’essaie de me projeter. Dans quelques jours, quelques semaines au maximum, il ne sera plus là. Je n’aurai plus à m’occuper de lui, à prendre soin de lui, je ne sentirai plus sa douce et chaude fourrure sous ma main ou contre mon visage. Il ne toilettera plus ma joue de sa langue râpeuse. Il ne ronronnera plus du tout, pour de bon. Je ne le verrai plus s’étirer si confortablement sur son coussin chauffant au coin du lit.

Mais il sera libéré de ses vieux os douloureux. Que reste-t-il aujourd’hui dans sa vie? Parfois j’ai peur d’avoir déjà attendu trop longtemps. Cela fait des années que je me pose la question de sa qualité de vie. Chaque fois, je fais le même constat: oui, il est vieux, mais il a plus de bons jours que de mauvais jours, et encore suffisamment de plaisirs dans la vie pour que ça en vaille la peine.

Mais là, les plaisirs se rétrécissent, et les difficultés augmentent.

Je bénis le ciel, auquel je ne crois pas, qu’il soit un patient facile. Quintus a toujours eu une très grande tolérance. Une confiance absolue en l’humain. On peut “tout lui faire”, enfin pas complètement tout, mais j’ai eu cette chance que les soins n’ont jamais été une grande contrainte pour lui. Même le vétérinaire, jusqu’à relativement récemment, ne lui faisait ni chaud ni froid. La cage de transport, la voiture, idem… Le patient idéal. Même dans son vieillissement, il est resté propre, ne miaule presque pas, très digne.

Je sais que les chats souffrent en silence. Je l’observe, à l’affût du moindre indice. Je sais que son arthrose le fait souffrir, mais combien? Comment mesurer? Je repère à sa position que quelque chose ne va pas. Il montre peu, mais je vois beaucoup. Ça me travaille quand même. Je ne suis pas infaillible, et mon attachement fausse peut-être mon jugement. Est-ce une vie dont il faut le libérer, ou une vie dont il ne faut pas encore le priver?

Voilà les questions auxquelles il va falloir que je réponde ces prochains jours, ou ces prochaines semaines. Il a passé une bonne journée aujourd’hui, bien hydraté par sa perfusion du matin. Mais on ne remettra pas ça. Et même s’il tient bon “cette fois”, je sais que la prochaine n’est pas loin. Quand le cerveau commence à ne plus aller, il n’y a plus grand chose à faire.

Un dernier mot avant de rendre mon clavier: je ne cherche pas ici de conseils sur que faire ou ne pas faire. Pensez-les tant que vous voulez, mais abstenez-vous de les partager.

Le sort de Quintus est entre mes mains, c’est ma responsabilité et mon triste privilège. Une décision qui me revient, avec le soutien de mon vétérinaire, qui suit Quintus depuis qu’il est arrivé chez moi, et que je connais depuis 20 ans, et de quelques amies proches qui connaissent bien la situation et ont ma confiance.

Je n’aime pas devoir mettre par écrit ce genre de précision, mais dernièrement je n’ai que trop vu à quel point la distinction entre “j’ai quelque chose sur le coeur, et besoin d’être entendue” et “dites-moi quoi faire, ai-je raison ou tort” est peu claire pour certains. Et à quel point d’autres savent mieux que les personnes les plus concernées ce qu’il faudrait ou aurait fallu faire. Donc je préviens, car je ne réagirai pas bien. (Pandémie, quand tu nous tiens.)

Par contre, si Quintus a touché votre vie d’une façon ou d’une autre, que vous l’ayez ou non rencontré, n’hésitez pas à me parler de lui. Ou si vous aussi vous savez la grande peine d’aimer un vieux chat, je vous lirai avec plaisir, et probablement quelques larmes.

They Chose Tears [en]

[fr] Aimer un animal, c'est choisir les larmes, parce qu'on sait qu'on va le voir mourir.

7 years ago today, Bagha.
In less than two weeks, it will be a year since Tounsi’s death.
I don’t know how long Quintus has got. I hope it’s longer than I fear.

I’m not big on the whole “pet parent”, “rainbow bridge”, and “mommy” thing. My cats are my cats, even though there is a kinship of caring for children and pets. I don’t believe in anything outside of this material world, in any god or afterlife. I’m also not into lengthy quotation posts. But this tale tells a deep truth about loving a pet: it’s choosing tears.

THE LOVING ONES by Anne Kolaczyk

The little orange boy stopped. Behind him, kitties were playing, chasing each other and wrestling in the warm sunshine. It looked like so much fun, but in front of him, through the clear stillness of the pond’s water, he could see his mommy. And she was crying.

He pawed at the water, trying to get at her, and when that didn’t work, he jumped into the shallow water. All that got him was wet and Mommy’s image danced away in the ripples. “Mommy!” he cried.

“Is something wrong?”

The little orange boy turned around. A lady was standing at the edge of the pond, her eyes sad but filled with love. The little orange boy sighed and walked out of the water.

“There’s been a mistake,” he said. “I’m not supposed to be here.” He looked back at the water. It was starting to still again and his mommy’s image was coming back. “I’m just a baby. Mommy said it had to be a mistake. She said I wasn’t supposed to come here yet.”

The kind lady sighed and sat down on the grass. The little orange boy climbed into her lap. It wasn’t Mommy’s lap, but it was almost as good. When she started to pet him and scratch under his chin like he liked, he started to purr. He hadn’t wanted to, but he couldn’t help it.

“I’m afraid there is no mistake. You are supposed to be here and your mommy knows it deep down in her heart,” the lady said. The little orange boy sighed and laid his head on the lady’s leg. “But she’s so sad. It hurts me to see her cry. And daddy too.”

“But they knew right from the beginning this would happen.”

“That I was sick?” That surprised the little orange boy. No one had ever said anything and he had listened when they thought he was sleeping. All he had heard them talk about was how cute he was or how fast he was or how big he was getting.

“No, not that you were sick,” the lady said. “But you see, they chose tears.”

“No, they didn’t,” the little orange boy argued. Who would choose to cry?

The lady gently brushed the top of his head with a kiss. It made him feel safe and loved and warm – but he still worried about his mommy. “Let me tell you a story,” the lady said.

The little orange boy looked up and saw other animals gathering around. Cats – Big Boy and Snowball and Shamus and Abby and little Cleo and Robin. Merlin and Toby and Iggy and Zachary. Sweetie and Kamatte and OBie. Dogs too- Sally and Baby and Morgan and Rocky and Belle. Even a lizard named Clyde and some rats named Saffron and Becky and a hamster named Odo.

They all lay down near the kind lady and looked up at her, waiting.

She smiled at them and began:

A long long time ago, the Loving Ones went to the Angel in Charge. They were lonesome and asked the Angel to help them.

The Angel took them to a wall of windows and let them look out the first window at all sorts of things – dolls and stuffed animals and cars and toys and sporting events.

“Here are things you can love,” the Angel said. “They will keep you from being lonesome.”

“Oh, thank you,” the Loving Ones said. “These are just what we need.”

“You have chosen Pleasure,” the Angel told them.

But after a time the Loving Ones came back to the Angel in Charge. “Things are okay to love,” they said. “But they don’t care that we love them.”

The Angel in Charge led them over to the second window. It looked out at all sorts of wild animals. “Here are animals to love,” he said. “They will know you love them.”

So the Loving Ones hurried out to care for the wild animals.

“You have chosen Satisfaction,” the Angel said.

Some of the Loving Ones worked at zoos and wild animal preserves, some just had bird feeders in their yards, but after a time they all came back to the Angel in Charge.

“They know we love them,” they told the Angel. “But they don’t love us back. We want to be loved in return.”

So the Angel took them to the third window and showed them lots of people walking around, hurrying places. “Here are people for you to love,” the Angel told them.

So the Loving Ones hurried off to find other people to love.

“You have chosen Commitment,” the Angel said.

But after a time a lot of Loving Ones came back to the Angel in Charge.

“People were okay to love,” they said. “But sometimes they stopped loving us and left. They broke our hearts.”

The Angel just shook his head. “I cannot help you,” he said. “You will have to be satisfied with the choices I gave you.”

As the Loving Ones were leaving, someone saw a window off to one side and hurried to look out. Through it, they could see puppies and kittens and dogs and cats and lizards and hamsters and ferrets. The other Loving Ones hurried over.

“What about these?” they asked.

But the Angel just tried to shoo them away. “Those are Personal Empathy Trainers,” he said. “But there’s a problem with their system operations.”

“Would they know that we love them?” someone asked.

“Yes,” the Angel said.

“Would they love us back?” another asked.

“Yes,” the Angel said.

“Will they stop loving us?” someone else asked.

“No,” the Angel admitted. “They will love you forever.”

“Then these are what we want,” the Loving Ones said.

But the Angel was very upset. “You don’t understand,” he told them. “You will have to feed these animals.”

“That’s all right,” the Loving Ones said.

“You will have to clean up after them and take care of them forever.”

“We don’t care.”

The Loving Ones did not listen. They went down to where the Pets were and picked them up, seeing the love in their own hearts reflected in the animals’ eyes.

“They were not programmed right,” the Angel said.

“We can’t offer a warranty. We don’t know how durable they are. Some of their systems malfunction very quickly, others last a long time.”

But the Loving Ones did not care. They were holding the warm little bodies and finding their hearts so filled with love that they thought they would burst.

“We will take our chances,” they said.

“You do not understand.” The Angel tried one more time. “They are so dependent on you that even the most well-made of them is not designed to outlive you. You are destined to suffer their loss.”

The Loving Ones looked at the sweetness in their arms and nodded. “That is how it should be. It is a fair trade for the love they offer.”

The Angel just watched them all go, shaking his head. “You have chosen Tears,” he whispered.

“So it is,” the kind lady told the kitties. “And so each mommy and daddy knows. When they take a baby into their heart, they know that one day it will leave them and they will cry.”

The little orange boy sat up. “So why do they take us in?” he asked.

“Because even a moment of your love is worth years of pain later.”

“Oh.” The little orange boy got off the lady’s lap and went back to the edge of the pond. His mommy was still there, and still crying. “Will she ever stop crying?” he asked the kind lady.

She nodded. “You see, the Angel felt sorry for the Loving Ones, knowing how much they would suffer. He couldn’t take the tears away but he made them special.”

She dipped her hand into the pond and let the water trickle off her fingers. “He made them healing tears, formed from the special water here. Each tear holds bits of all the happy times of purring and petting and shared love. And the promise of love once again. As your mommy cries, she is healing. “It may take a long while, but the tears will help her feel better. In time she will be less sad and she will smile when she thinks of you. And then she will open her heart again to another little baby.”

“But then she will cry again one day,” the little orange boy said.

The lady just smiled at him as she got to her feet. “No, she will love again. That is all she will think about.” She picked up Big Boy and Snowball and gave them hugs, then scratched Morgan’s ear just how she liked.

“Look,” she said. “The butterflies have come. Shall we go over to play?”

The other animals all ran ahead, but the little orange boy wasn’t ready to leave his mommy. “Will I ever get to be with her again?”

The kind lady nodded. “You’ll be in the eyes of every kitty she looks at. You’ll be in the purr of every cat she pets. And late at night, when she’s fast asleep, your spirit will snuggle up close to her and you both will feel at peace. One day soon, you can even send her a rainbow to tell her you’re safe and waiting here for when it’s her turn to come.”

“I would like that,” the little orange boy said and took one long look at his mommy. He saw her smile slightly through her tears and he knew she had remembered the time he almost fell into the bathtub. “I love you, Mommy,” he whispered. “It’s okay if you cry.” He glanced over at the other pets, running and playing and laughing with the butterflies. “Uh, Mommy? I gotta go play now, okay? But I’ll be around, I promise.”

Then he turned and raced after the others.

Le ronron du vieux chat [fr]

Dimanche 23h

Je voulais me coucher tôt, parce que demain sonnez clairons à 5h pour aller à Fribourg, après près de 10 jours de maladie.

Mais je ne dors pas, parce que sitôt la lumière éteinte avec Quintus contre moi, j’ai fondu en larmes, parce que bien sûr, si je suis en train d’apprendre tout ce sur quoi je peux mettre la main au sujet du diabète félin, de surveiller sa glycémie comme un aigle, de me demander comment je vais gérer les injections d’insuline à 6h et 18h tous les jours, c’est bien pour ne pas sentir combien je suis triste à la perspective de perdre Quintus.

L’anniversaire de la mort de Tounsi approche à grands pas, et je suis tout sauf sereine face à son absence qui s’éternise.

Aujourd’hui Quintus aurait pu faire une hypo. Il en a peut-être fait une, petite, sans signes cliniques. Hier et samedi soir j’ai veillé pour vérifier qu’il ne descendait pas trop bas, et frémi en voyant les mesures se rapprocher des valeurs préoccupantes. Je l’ai trouvé fatigué aujourd’hui. Hier aussi. Peut-être ce grand huit de la glycémie qu’il nous a fait. Il y aurait de quoi. C’est plus facile d’imaginer qu’un vieux chat va mourir quand il ne fait plus que dormir et semble n’avoir plus d’énergie.

Alors je ne dors pas. Il a fini par quitter mon lit, boire un peu, il m’a fait peine à voir, il a dû s’y reprendre à deux fois pour trouver sa gamelle, puis il est sorti direction le couloir, où est la nourriture. Je l’y ai amené, j’ai sorti l’écuelle de la gamelle à puce, parce que je commence à voir que ça le retient un peu de manger et que la pâtée un peu sèche ne le dérange nullement.

Après avoir bien mangé, il est revenu d’un pas plus assuré, a sauté sur le lit pour s’installer sur l’oreiller.
Et soudain, alors je m’occupe à ne pas dormir ni trop sentir, j’entends ce bruit régulier que j’avais cherché en vain aujourd’hui et une bonne partie d’hier: il me regarde et il ronronne.

Il n’a pas dit son dernier mot.

Vous pouvez suivre le grand huit de la glycémie en temps réel.

The Speed of Time [en]

[fr] Réflexion sur le temps au travail et le temps à la maison, les chats malades et l'hiver.

Routine is settling in. As I have mentioned, my time seems to be shrinking. Or speeding up. It’s a good sign when time flies by, but it scares me. I look at my colleagues, some of whom have been in the same position, doing pretty much the same job, for decades — and try to imagine waking up ten years from now, getting up at the same time in the morning, going to the same place, doing the same thing with the same people. This is the life of many, but there’s something scary about it for me.

A year has passed since Tounsi started being ill. It was early November. He had his MRI early December. He died January 1st. It still feels very recent. His ashes are still in a little box in my bookcase — I haven’t felt ready to spread them in the garden yet. I think I should just do it.

Quintus hasn’t been well lately. I took him for a checkup before starting my new job. He has pancreatitis, and developed diabetes as a result. He’s on insulin now (it’s been 10 days) and we are hoping to get the pancreatits under control. He’s been improving, slowly, with a bit of back and forth. But I have to face things: he’s an old cat, going on 17, and we’re lucky he’s still around. I treasure every extra week I get with him, and hope it will be months. But there are no certainties.

And so I face another winter with the prospect of possibly losing a cat. Bagha died just before Christmas, too. I don’t believe in magic, so I’m not scared winter is “more dangerous” for my cats than any other time of the year. But it does mean that I have had some difficult winters — including the one following my mother’s death when I was a child.

My preoccupation with Quintus makes me feel my hours away from home with a particular awareness. My days at work don’t feel long, but my time at home feels short. A week is a handful of waking hours. I’ve become somebody who doesn’t want to spend any more time away from home than absolutely necessary.

My professional ambition right now is a job that allows me to come back home for lunch. That would be just wonderful.

 

Tounsi: Hope Is Easier Than Grief [en]

[fr]

Une réflexion sur l'espoir et le deuil. Souvent, l'espoir est ce à quoi l'on s'accroche par peur de souffrir. Il vaut mieux faire face à cette souffrance, mais garder de l'espoir dans nos actions. Par exemple, en acceptant qu'un chat malade risque de mourir, mais en faisant tout ce qui est possible pour le sauver. Ou qu'un chat disparu est peut-être mort, tout en étant actif dans nos recherches.

On n'aime pas que les gens soient en peine, on veut leur proposer un remède pour les en sortir. L'espoir semble pouvoir jouer ce rôle. Mais il vaut mieux peut-être simplement les accueillir dans leur peine.

This is what I was thinking, after dropping off Tounsi at the Tierspital, our national animal hospital and veterinary school, at 3am just before New Year’s Eve.

I have noticed that in the face of hardship and pain, many want to offer hope. But I think we need encouragement to grieve, rather than hope. Even though I am pessimistic by nature, I find it easy to hope. It’s something you can cling to to avoid the pain. Depending on the shape it takes, it can even be fodder for denial.

Grief, on the other hand, is hard. It takes courage to dive into the pain. You need to trust that it is the way out, or at least forward.

When I got the preliminary diagnosis for Tounsi, I knew it was very bad. I know there were high chances he was going to die. There was still hope, though. Sometimes it is possible to dissolve the clot, and depending on how far along the underlying heart condition is, the cat can go on to have a few more months or years with decent quality of life.

I could have refused to grieve and hang on to this hope with all my might. This is what people around me wanted me to do. Don’t be sad! Don’t consider him dead already! You have to hope!

Let’s get one thing out of the way: I’m not superstition. I don’t think that hoping or giving up hope per se has any incidence on an outcome. I don’t think telling your friends about a job or flat you’re hoping to get will jinx it. I do accept, however, that our internal state (hope or not) influences our actions, and can in this way have an impact on an outcome.

Understanding this, I did what I think is the most sane thing to do in this kind of situation: separate emotions from actions. Let me explain what I mean by that.

  • Emotions: there was a high chance Tounsi wasn’t going to make it. I knew it. So I grieved, already. Trying to suppress my grief and hold on to the meagre hope he would be OK would have made me extremely anxious. Often, it’s better to face the pain and deal with it than have to deal with the anxiety that comes out of trying desperately to avoid it because you’re scared.
    I cried so much in those two days Tounsi was in the hospital. I stopped on the motorway to cry. I cried at home, along with Quintus. I cried when I visited Tounsi, and when I got news that there was no real improvement. All this crying helped bring some acceptance to the very serious situation Tounsi was in.
  • Actions: there was a hope that Tounsi could beat the clot, with the help of the medications he was getting. This chance was not so small that it was not worth putting him through the discomfort he was in. So when it came to my actions and decisions about him, I bet on hope. I could have put him down immediately, and we discussed this with the vet. As his pain was under control, we decided it was worth it (and ethical) to give him a chance. To hope.
    And when the situation changed (another clot to the kidneys that sent him into kidney failure), I was more capable of accepting it, because I’d been processing my grief in parallel, and making the decision to end his suffering, although it ripped my heart out. I did not find myself in the situation I have seen some cat owners, where the decision to end the cat’s life is the obvious one, because there is no hope left, but they just can’t let go, because they are unprepared.

A parallel “cat situation” is when a cat is missing. Emotionally, it is important to process fears that something bad has happened to the cat. These fears may be rational or not, it doesn’t matter: they are there. They are the fears of pain and loss and grief, and the earlier one faces them, I think, the better off one is.

It doesn’t mean that one should consider one’s cat dead as soon as it doesn’t show up one evening. But if a missing cat puts one in an immediate panic, as it used to do to me, it might be worse facing the fact that pretty much whatever happens, we’re at some point going to have to deal with the cat’s death. I remember the time when I couldn’t even entertain this idea.

Cats are there so we can love them, and they die so we can grieve them.

When it comes to actions, however, one must hope that the cat is not dead: call the shelters, the vets, put up flyers, talk to neighbours, call, search, ask people to open garages and cellars. Even if the place one is emotionally is facing the possibility the cat is dead.

I think loving a pet can teach us a lot about grief and loss, if we’re willing to listen.

So, next time you see somebody who seems to have abandoned hope – maybe they don’t need to be encouraged to hope more, but supported in their grief, so that they can free their actions from the weight of fear.

A la fois plus et moins qu’une semaine [fr]

[en] A week. More if you look at when I dropped Tounsi off at the Tierspital and understood how bad things were. A few hours less, if you look at his last breath in my arms. The unending flow of tears has given way to a heavy stone in my chest which slows me down, and breaks my heart in two when I look at my darling Quintus. I will write about how special Tounsi was to me, as I did for Bagha. But another day, when I have more words left.

Mon Tounsi… Une semaine. Un clin d’oeil, une éternité. Je suis perdue dans le temps sans toi. Tes entrées et sorties, tes allées et venues, tes expéditions gastronomiques: tout ça rythmait nos journées, à Quintus et moi.

Absence

Mon Tou-touns’ que je n’appellerai plus jamais, pour le voir arriver en trottinant, les coudes un peu à l’extérieur, la bouche rose en sourire. Tounsi qui m’appelait, parfois, dehors, quand je ne l’avais pas vu et que lui se sentait un petit peu perdu. Attends-moi! J’arrive! Je répondais, il arrivait en bondissant à travers les buissons.

Aujourd’hui était un jour de peu de larmes. Un jour presque normal, si je fais abstraction du gros caillou au fond de mon coeur, qui me ralentit parfois tant que je m’arrête, qui m’empêche de voir ne serait-ce que jusqu’à demain, qui me prive d’une partie de ma tête. C’est le caillou de la révolte, celui que je pourrais lancer pour briser les fenêtres de l’injustice, l’injustice de cette mort “trop tôt”, de la maladie qui ne laisse pas de chance, de ce diagnostic à côté duquel on a passé mais qui n’aurait probablement finalement rien changé, ou si, ou pas, mais qu’importe, car Tounsi est mort et rien ne le ramènera.

Sad Steph and Quintus

C’est le caillou de la peine qu’il me peine d’admettre, quand je regarde mon vieux Quintus, qui est encore là, lui, alors que Tounsi ne l’est plus. Le contraire n’aurait sans doute pas été moins douloureux (j’ai encore au ventre mon désespoir quand j’ai cru perdre Quintus), mais aurait au moins donné la consolation d’être dans l’ordre des choses. Voir partir Tounsi avant Quintus, c’est très dur à accepter.

Avec ces jours de moins de larmes à travers lesquels je traine mon coeur et mon caillou, Tounsi me manque. Le choc s’atténue, la séparation se fait plus sentir. La douceur extraordinaire de sa fourrure. Sa bouche un peu ouverte alors qu’il dormait. Ses petits bruits, gémissements ou proto-ronronnements, quand on le caressait. Le petit spasme de sa patte quand la main passait sur son épaule. Son regard rond de billes aux aguets, son adorable truffe rose, qui pouvait passer de pastel à fraise tagada suivant son état. Sa queue longue et élégante, souvent dressée au ciel durant ses déplacements, sagement rangée entre ses pattes arrières durant la sieste, ou enroulée en colimaçon tout serré sur une cuisse. Queue expressive, dont le bout s’agitait facilement, à la différence de celle de Bagha ou de Quintus, se contentant de battre les grands tempos.

Tounsi attitude

Tounsi était un chat spécial, particulier, même, a dit une fois sa vétérinaire. Pas tout à fait aussi par-ti-cu-lier que Zad, mais pas mal dans son genre quand même. Ma peine me dit que jamais je ne croiserai de chat aussi extraordinaire. Ce sentiment, je le connais. Il m’a habitée très fortement après la mort de Bagha. Et pourtant Tounsi a croisé mon chemin. Est-ce que je collectionne les chats extra-ordinaires, ou est-ce donc une caractéristique qui vient habiller tout chat récemment décédé? Avec l’absence, c’est l’irremplaçable, l’individualité, ce qui rend ce chat différent, qui ressort. Différent en tant que chat, différent dans sa relation avec moi.

Alors je vais vous raconter Tounsi. Et vous raconter notre histoire, parce que c’est un peu dur de faire l’un sans l’autre. Mais ce sera pour un autre jour, parce qu’aujourd’hui je crois que j’ai utilisé tous mes mots.