La fausse sécurité du digicode [fr]

[en] Codes on building doors? Less safe than keys, imho.

Il y a quelques années, la gérance a fait installer un digicode à la porte d’entrée de mon immeuble. Auparavant, l’immeuble était ouvert la journée, fermé la nuit, et il fallait pour rentrer une clé protégée (non copiable sans autorisation).

Argument: meilleure sécurité, demandes des locataires.

Je précise: digicode sans interphone ni sonnette. Si vous ne l’avez pas, vous appelez votre hôte au téléphone, et celui-ci soit vient vous ouvrir (mais oui bien sûr) soit vous dicte le code, que vous rentrez quelque part dans votre carnet d’adresse histoire de ne pas être embêté la prochaine fois que vous venez en visite.

Fermé la journée? Super, sauf pour le local commercial qui tient lieu d’espace coworking où des professionnels reçoivent durant les heures de travail clients et collègues. Juste invivable. J’ai d’ailleurs fait installer à mes frais une sonnette FM (discrète) pour l’eclau.

Résultat? Alors oui, la porte est fermée la journée. Super.

Qui peut accéder à l’immeuble avec le code? A vue de nez, à peu près la moitié de Lausanne (je suis sûre qu’il n’y avait pas autant de clés en circulation). Entre les locataires, leurs familles, leurs amis, les livreurs et autres professionnels qui doivent pouvoir rentrer, les gens qui sont venus une fois à une soirée (je ne mentionne même pas tout l’écosystème qui tourne autour de l’eclau), les ex-locataires (“rendez-nous le code!” haha!), les ex tout court… On a toujours confiance dans les gens qu’on connaît. N’est-ce pas?

Ah oui, et il y a aussi tous les autres locataires des numéros avoisinants qui partagent le même bâtiment. La gérance a en effet envoyé un courrier unique aux trois numéros avec les digicodes des trois entrées.

Et encore? Un code, c’est comme une idée, un objet numérique, ou un mot de passe, ça se transmet super facilement à un tiers. Une clé protégée? Un peu plus dur à dupliquer.

Alors qu’on n’aille pas essayer de me dire qu’en plus de tous les emmerdements que nous procure le digicode, il accroît notre sécurité.

#back2blog challenge (4/10) — articles des autres participants suivront, en attendant allez voir #back2blog sur Twitter.

Du "droit" de gagner sa vie [fr]

Je fais court, promis. Je voulais parler de ça dans mon précédent billet sur la gratuité (ou la non-gratuité) du contenu, et j’ai oublié.

Un présupposé que me gonfle, mais alors vraiment, c’est cette idée selon laquelle le fait d’être un créatif et d’avoir un tant soit peu de talent nous donne le droit inaliénable de gagner notre vie avec. “Droit” non pas dans le sens que c’est permis, mais ça que nous est dû.

Je sais chanter, je chante bien, j’ai un peu de succès — le fait de pouvoir gagner ma vie avec mon art me serait dû.

J’écris, j’ai même écrit des romans, et bien je devrais pouvoir gagner ma vie avec — ça m’est dû.

Vous voyez l’idée?

Poussons plus loin.

Je sais créer des espaces coworking, alors je devrais pouvoir gagner ma vie avec.

J’ai une idée pour une nouvelle application et je peux la réaliser, je devrais pouvoir gagner ma vie avec.

Pas la même chose, hein?

Comment se fait-il que lorsqu’une entreprise commerciale échoue à générer assez d’argent pour faire vivre celui ou celle qui l’a lancée, on trouve que ça fait partie des risques de l’entreprenariat (“les finances étaient mal gérées” — “l’idée était bonne mais ils étaient à côté de la plaque sur le marketing” etc.) alors que quand c’est un artiste ou un créatif qui échoue à vivre de son art, on tire à gros boulets rouges sur le système ou les pirates?

Eh bien désolée. Bienvenue dans la réalité, mesdames et messieurs les créatifs (dont je fais partie). Ce n’est pas parce qu’on a un talent qu’on pourra nécessairement en vivre. Ceux qui y parviennent sont l’exception, et l’ont toujours été.

Jamais je ne refuserai à qui que ce soit le droit de tenter de gagner sa vie avec son art. Mais je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir des garanties que ça marchera.

Opérations médiatiques: marre [fr]

[en] Sick and tired of being asked to do stuff for free particularly when it's a media stunt. I rant about two recent situations where I've been contacted for "unpaid work" which is obviously going to benefit "the client" more than me.

Deux opérations médiatiques auxquelles j’ai été conviée de participer me laissent songeuse — et un peu inconfortable. Laissez-moi d’abord vous en dire quelques mots, puis on verra où part ce billet (j’avoue ne pas très bien le savoir moi-même).

La première, “Tapis rouge pour les APEMS”, a eu lieu pour moi hier (il y a aussi un vernissage de l’expo ce soir à Lausanne, mais vu mon état, je n’y serai pas). D’après ce que j’ai compris, il s’agit d’un événement monté par l’agence Plates-Bandes pour faire mieux connaître les APEMS. Les APEMS sont une structure d’accueil lausannoise pour les enfants de première à quatrième primaire, avant et après l’école ainsi que durant la pause de midi. L’événement comporte deux volets: une exposition à l’hôtel de ville (un APEMS éphémère y est recréé) et la visite de personnalités de la région dans les différents APEMS durant la journée, sous forme “d’invités suprise” pour les enfants (“Devine qui vient aujourd’hui?”).

Voici l’essentiel de l’invitation que j’ai reçue par e-mail il y a quelques mois:

“Devine qui vient aujourd’hui” invitent 20 personnalités de la région à venir
passer un moment (soit le petit déjeuner, soit le repas de midi, soit le
temps de jouer ou les quatre heures), avec les enfants, dans un des 20 APEMS
de Lausanne. Cette action sera fortement médiatisée.

Votre nom est ressorti dans les invités souhaités par les enfants ou les
professionnels des APEMS et nous aurions grand plaisir à vous associer à
cette journée.

Hier midi, je suis donc allée dîner à l’APEMS de Pierrefleur. C’était une expérience assez perplexante. J’avoue que je ne savais pas trop ce que je faisais là (les indications que j’avais reçues disaient simplement qu’il suffisait que je m’y rende, l’idée étant que je passe un moment là-bas avec les enfants) — et pour tout dire, le personnel de l’APEMS ne semblait pas avoir reçu beaucoup plus d’informations que moi à ce sujet.

Dans un premier temps, j’ai eu une conversation tout à fait sympathique avec la responsable de l’APEMS (après avoir été chaleureusement accueillie). Nous avons parlé de nos parcours respectifs, du fonctionnement de l’APEMS, de ce que je faisais professionnellement.

Au fur et à mesure que les enfants arrivaient et que le temps passait, mes doutes quant au choix de ma petite personne comme “invitée surprise” pour ces enfants grandissaient. Ils n’ont jamais entendu parler de moi, et c’est bien normal. Je ne travaille pas avec leur tranche d’âge (ils ne chattent pas, ne bloguent pas, vont peut-être sur Internet, mais franchement, ce que j’ai à leur raconter à ce sujet ne les intéresse sans doute guère). Les trois garçons de quatrième année avec qui j’ai partagé une table de repas ont parlé entre eux des jeux vidéos et films qu’ils appréciaient (“Le silence des agneaux”, à neuf ans, avec bénédiction parentale?!). J’avoue que cette partie de l’expérience avait pour moi un désagréable goût de flash-back, me renvoyant à quelques traumatismes scolaires de cette époque (mais bon, ça, c’est mes histoires, hein).

D’une opération annoncée comme “fortement médiatisée”, on est passé à “la presse a été prévenue, peut-être qu’ils viendront” et finalement à “ben non, sont pas venus”.

Je ne suis pas certaine de saisir les tenants et aboutissants de cette opération médiatique, mais j’avoue qu’elle me laisse avec la relativement désagréable impression d’être allée faire acte de présence (et un peu tapisserie) dans une APEMS afin que mon nom puisse figurer sur une liste transmise aux médias pour un coup de pub, accompagnée d’autres noms plus ou moins connus de la région.

Déformation professionnelle oblige: m’est avis qu’un bon site web, bien référencé et vivant, présentant les APEMS et leurs activités (il existe peut-être mais j’ai été incapable de le trouver) serait déjà un bon moyen de rendre cette structure d’accueil plus visible. (Là, je parie, ça va faire le coup classique, comme d’habitude: cet article va se retrouver sur la première page de Google pour le mot-clé “APEMS” d’ici peu.)

Voilà donc pour ma première “opération médiatique”.

La seconde, c’est “Le Temps des femmes”. Le journal Le Temps fête ses 10 ans en début d’année prochaine, et s’offre (et offre à ses lecteurs) un numéro spécial entièrement rédigé par des femmes influentes dans divers domaines en Suisse Romande. Idée fort sympathique, même si je doute que ce genre d’opération fait vraiment avancer la cause des femmes (je ne peux m’empêcher de penser qu’on donne ainsi un jour de congé aux hommes en offrant aux femmes le “privilège” de venir travailler). Il me semble que c’est tout bénéfice pour le journal — rien dans l’invitation n’indique que les bénéfices de ce numéro spécial seront reversés à une organisation faisant avancer la cause des femmes, par exemple (et on pourrait encore bien sûr débattre de l’utilité d’une telle action).

Mais là n’est pas vraiment la question. Mon malaise est ailleurs. Voyez-vous, le ton de l’e-mail (et de l’invitation Word à imprimer et renvoyer par fax!) est assez clair: je suis invitée à participer à cette journée de rédaction du numéro spécial, ainsi qu’au débat qui aura lieu le lendemain, et on espère que la proposition m’aura “séduite”. Après un rapide e-mail pour plus d’informations, je comprends que ce qu’on me propose de faire, c’est le “making-of” de la journée, en la bloguant. Du live-blogging d’événement, en somme.

Vous voyez où je veux en venir? Je me demande si Le Temps réalise qu’en m’invitant ainsi, ils sont en train de me demander de venir travailler pour eux une journée? Car oui, c’est du travail. Mettre au service d’une entreprise (ou de tout autre organisme) mon expertise dans le domaine des blogs, c’est ce que je fais pour gagner ma croûte. Bloguer, ce n’est pas juste “écrire dans un outil de blog” — je caresse l’espoir qu’un jour le monde comprenne que c’est une compétence spécialisée qui s’apprend.

En m’invitant à venir couvrir leur événement online, Le Temps s’assure les services d’une blogueuse qui sait vraiment ce qu’elle fait (en d’autres mots, on appelle ça une “professionnelle”). Mettez aux commandes de la couverture live une personne qui sait écrire mais qui ne connaît pas aussi bien le média “blog”, et vous n’aurez pas quelque chose d’aussi bon. Ça ne viendrait à l’idée de personne de penser que “journaliste” est un métier ou une compétence qui s’improvise, alors que sans cesse, on imagine que “blogueur” est un boulot à la portée de n’importe qui. Oui, ça l’est — d’un point de vue technique. Tout comme n’importe qui peut utiliser Word ou PageMaker pour publier un journal. Comme partout, il y a des gens qui sont capables d’apprendre “sur le tas” et qui d’amateurs autodidactes, deviennent des pros. Mais ça n’est pas donné à tout le monde — et ça prend du temps. Des blogueurs francophones qui font ça depuis bientôt huit ans, vous en connaissez beaucoup?

Je m’emporte, hein. Ben voilà, on vire au coup de gueule. J’avoue que ces temps-ci j’en ai un peu ma claque. Ma claque qu’on sous-value mes compétences et ce qu’elles peuvent apporter, ma claque d’avoir de la peine à me “vendre” et de trouver si difficile le côté “business” de mon activité professionnelle, et ma claque aussi de ces tentatives répétées de venir me faire travailler gratuitement, sous prétexte qu’on a pas de budget (ce qui peut être vrai, mais c’est pas à moi de me serrer la ceinture à cause de ça), sous prétexte (et c’est pire) que “ça m’apportera de la visibilité” et donc que j’y gagne. Oui, messieurs-dames, la plupart de mes activités professionnelles sont “visibles”, et c’est pour cette raison que je peux me permettre de ne pas facturer le double afin de financer mon budget marketing/pub. (Je sais, je suis en train de râler, mais qu’est-ce que ça fait du bien, de temps en temps!)

Donc, bref, me voilà une nième fois devant le même problème: comment expliquer à quelqu’un qui me contacte pour une participation bénévole (que ce soit une stratégie un peu puante pour obtenir les gens à bon marché ou le résultat d’un manque de conscience honnête et peut-être pardonnable n’y change pas grand chose) que oui, volontiers, mais il faudra ramener les pépettes? Parce que je l’avoue, c’est pas une position très agréable: “ah oui, sympa votre invitation et votre projet, je participe volontiers mais faudra me payer!” Ça me rappelle furieusement cette grosse entreprise européenne qui a invité mon amie Suw Charman à donner une conférence chez eux… et qui ne s’attendait pas à la payer! Elle en parle brièvement dans notre podcast Fresh Lime Soda.

Oui, j’ai conscience qu’en bloguant cette histoire Le Temps risque de lire ce billet et de laisser un commentaire qui me sauvera la vie, genre “oh mais bien sûr qu’on va vous payer, combien coûte une journée de votre temps?” — et je me rends compte que si je me sens assez libre de m’exprimer ainsi sur ma petite tribune ouverte (ce blog), les relations “clients-fournisseurs” restent très codifiées et je me verrais mal déverser ce lot d’explications dans un mail. Ce ne serait pas vraiment approprié. Je m’en tiendrai probablement à un “je viens volontiers passer une journée dans vos locaux à couvrir la journée en bloguant, cependant ceci fait partie des prestations que je facture. Qu’aviez-vous prévu de ce côté-là?” assez convenu et un peu plus léché. (Oui, ça m’emmerde vraiment que ces négociations pécuniaires soient si compliquées — je suis en plein dedans ces jours avec au moins deux autres clients.)

Bon, ben voilà, comme on dit. Essayons de finir sur une note constructive: si vous contactez un blogueur (ou une blogueuse) pour participer à un événement, ou bloguer pour vous, par exemple, gardez à l’esprit qu’il s’agit peut-être d’un service pour lequel il (ou elle) s’attend à être payé(e). Et de grâce, approchez les choses ainsi. Si vous n’êtes pas familier avec le milieu (et même si vous l’êtes un peu) il est possible que vous sous-estimiez complètement (a) le travail nécessaire à acquérir les compétences auxquelles vous faites appel et (b) ce que vous allez en retirer comme valeur en fin de compte.