Du "droit" de gagner sa vie [fr]

Je fais court, promis. Je voulais parler de ça dans mon précédent billet sur la gratuité (ou la non-gratuité) du contenu, et j’ai oublié.

Un présupposé que me gonfle, mais alors vraiment, c’est cette idée selon laquelle le fait d’être un créatif et d’avoir un tant soit peu de talent nous donne le droit inaliénable de gagner notre vie avec. “Droit” non pas dans le sens que c’est permis, mais ça que nous est dû.

Je sais chanter, je chante bien, j’ai un peu de succès — le fait de pouvoir gagner ma vie avec mon art me serait dû.

J’écris, j’ai même écrit des romans, et bien je devrais pouvoir gagner ma vie avec — ça m’est dû.

Vous voyez l’idée?

Poussons plus loin.

Je sais créer des espaces coworking, alors je devrais pouvoir gagner ma vie avec.

J’ai une idée pour une nouvelle application et je peux la réaliser, je devrais pouvoir gagner ma vie avec.

Pas la même chose, hein?

Comment se fait-il que lorsqu’une entreprise commerciale échoue à générer assez d’argent pour faire vivre celui ou celle qui l’a lancée, on trouve que ça fait partie des risques de l’entreprenariat (“les finances étaient mal gérées” — “l’idée était bonne mais ils étaient à côté de la plaque sur le marketing” etc.) alors que quand c’est un artiste ou un créatif qui échoue à vivre de son art, on tire à gros boulets rouges sur le système ou les pirates?

Eh bien désolée. Bienvenue dans la réalité, mesdames et messieurs les créatifs (dont je fais partie). Ce n’est pas parce qu’on a un talent qu’on pourra nécessairement en vivre. Ceux qui y parviennent sont l’exception, et l’ont toujours été.

Jamais je ne refuserai à qui que ce soit le droit de tenter de gagner sa vie avec son art. Mais je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir des garanties que ça marchera.

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12 thoughts on “Du "droit" de gagner sa vie [fr]

  1. Et comme disait l’humoriste, faisons maintenant une minute de silence pour tous ces artistes qui n’ont pas de travail parce qu’ils n’ont pas de talent.

  2. Bien juste! Mais la réalité c’est que même avec du talent, rien n’est garanti. Parce que, heureusement, le talent n’est pas une chose si rare que ça.

  3. Ben oui mais non mais oui 🙂

    Effectivement, même avec du talent rien n’est garanti, et un revenu ne peut pas l’être.
    En revanche, ce qui devrait être garanti, c’est, comme pour une entreprise, la possibilité de chercher à gagner sa vie dans des conditions “normales”

    C’est comme pour la protection des salariés : personne n’a droit à un salaire mirobolant, personne n’a droit à une place garantie, mais un salarié qui cherche un travail sait qu’on n’a pas le droit de le faire travailler gratuitement. Et dans le domaine des entreprises, une société sait qu’elle peut protéger sa marque, son logo.

    A contrario, pourquoi les artistes seraient ils plus mal traités que les autres ?

  4. Et pourquoi seraient-ils mieux traités? On pleure parce que “vendre des disques” ou même “vendre des photos” ça ne marche plus comme avant comme il y a de nouvelles technologies qui bouleversent la chaîne de production et de distribution… mais quand le monde change et qu’il n’y a plus de travail pour les conducteurs de fiacre ou les fabricants de règle à calcul, on considère que ça fait partie de l’évolution de la société…

    C’est là qu’à mon avis il y a deux poids deux mesures.

  5. Le problème ne se pose malheureusement pas en ces termes là.
    Le fait d’accorder des droits d’auteurs, droit acquis au XVIIIe siècle, a permis de relier un auteur au contenu qu’il produit, créatif ou pas. Les droits d’auteur ont permis à des artistes, mais aussi à des scientifiques, d’être moins dépendants du mécénat privé (et, par définition, capricieux). Une question d’indépendance par rapport au mécène privé, je le répète. La question n’est pas de vivre de sa création, la question est si oui ou non, l’accès à un contenu donné doit être payé.

  6. Il me semble que cela s’inscrit dans un état d’esprit qui considère qu’il y a désormais plus de droits que de devoirs. Ce n’est pas très ancien. J’ai un discours de vieux réac mais je suis choqué quand j’entends parler du droit au travail. Pendant des millénaires c’était un devoir pour gagner sa croute. Il me semble que ça l’est toujours. Si on peu gagner sa vie avec son talent et pourquoi pas ses charmes tant mieux. Il ne faut juste pas perdre de vue que rien n’est acquis. Les entreprises embauchent pour répondre à un besoin. Les besoins peuvent changer. Dans le monde des arts il y a des modes. Si on est en avance on a tord. Si on est en retard on a tord aussi. Pour ceux qui attendent la gloire je leur conseillerais de patienter. C’est après la mort que le succès a le plus de chances d’atteindre son apogée.

  7. Et ce n’est que le début du raisonnement.

    On oublie le consommateur dans l’histoire, qui est le seul juge de la valeur qu’il met dans une oeuvre.

    Si plus personne n’achète de la musique, c’est qu’aux yeux du consommateur la musique ne vaut plus rien, tout simplement.

    Moi, j’estime que le marché de la propriété intellectuelle se porte super bien, parce que malgré le fait qu’on puisse tout pirater très facilement, y’a encore des artistes qui gagnent leur vie !

    Ceux qui perdent à ce nouveau jeu, ce ne sont pas les artistes, ce sont les intermédiaires, tout simplement parce que je n’ai plus besoin de pascal nègre pour me dire ce que je dois écouter, et ça c’est déjà une grande victoire 🙂

  8. euh… @Claude: aligner les fautes d’orthographe et les poncifs pseudo-darwiniens n’est ni un droit ni un devoir.

  9. Pour le professeur Jean-François je signale que sa manière n’est peut-être pas le meilleure pour entretenir le débat dans ce lieu qui ne me semble pas réservé qu’aux intellectuels. Ou à ceux qui croient l’être. Je ne critique personne. Je m’exprime sur ce sujet lancé par Stephanie.
    Pour ma part je me place dans le raisonnement simple qui me semblait être celui du départ.
    Les droits d’auteurs acquis au XVIIIe siècle peuvent être remis en question pour des quantités de raisons: La technologie, le marché, la mode …. Il en va de même pour d’autres manières de gagner sa vie.
    Encore des poncifs sans doute.

  10. Cher Claude ou @Claude, comme on voudra,
    Quelques remarques amicales:
    a) “professeur”, “réservé qu’aux intellectuels”, l’introduction d’un lexique de ce type de votre part me semble significatif. Je n’ai fait que signaler que la qualité de votre intervention était amoindrie par quelques coquilles sans doute involontaires (une relecture et un “tort” pour “tord”);
    b) des poncifs, oui: à chaque revendication concernant un droit, le lieu commun qui revient systématiquement est celui de l’équilibre juste et spontané du système. Lors de l’instauration du régime des retraites, des congés payés, de l’école publique, gratuite et obligatoire, etc.
    c) il s’est produit un glissement intéressant et tout aussi significatif: le billet ci-dessus parlait du “droit” à vivre de sa création. Vous mentionnez les droits d’auteur. Ce n’est pas pareil. Remettre en cause les droits d’auteurs me paraît très grave: c’était le sens de ma première intervention, lier un contenu et un auteur me paraît essentiel, libre à ce dernier de définir les modalités de ce lien, gratuité, lien commercial, etc. Mais l’auteur est et doit rester le maître en ce qui concerne l’utilisation du contenu qu’il a produit. Mais tout cela n’affecte en rien le fait que “vivre” de son art soit un droit. Bien entendu, ce n’est pas un droit, c’est une conséquence ponctuelle qui découle des revenus tirés des droits d’auteurs.
    d) Vous dites: “Les droits d’auteurs acquis au XVIIIe siècle peuvent être remis en question pour des quantités de raisons: La technologie, le marché, la mode…” Affirmation très dangereuse: certains droits sont des avancées décisives qu’il ne faut pas remettre en cause, sous peine d’une péjoration collective de notre mode de vie. Ainsi, de la même façon, diriez-vous que le droit à la retraite pourrait être remis en question?, le droit de vote des femmes?, le droit à un salaire décent (inscrit dans la loi)?, et tout cela en fonction des circonstances?
    Les droits restent, ce qui change, parfois, ce sont les “modalités d’application”: ainsi les retraites, dont on ne remet pas en cause l’existence, mais les conditions d’obtention (années de cotisation, âge limite, etc.); de même, peut-être, pour les droits d’auteur, dont il faut sans doute reconfigurer les modalités d’application.

  11. Mon cher Jean-François,
    je ne souhaite pas juger à mon tour mais je préfère votre forme amicale à celle un peu brutale de votre première intervention sur ma prose manquant en effet de relecture. Je suis désolé si mon ton et ma forme ne convient pas au niveau de ce “forum” (au sens latin du terme). Je m’exprime ici comme je le ferais sur la place d’un village ou on échange des idées pour le plaisir du brassage et pour in fine recueillir quelques échantillons de qualité.
    Je suis assez d’accord pour défendre toutes les formes de progrès dans les conditions d’existence. Cependant je suis fâché avec la notion d’avantages acquis. Quand les conditions météo changent il faut rentrer de la toile. Je pense que c’est plus avec de l’intelligence et des solutions de contournement qu’avec une position intransigeante que l’on fait bouger les choses. Mes origines Françaises m’influencent sans doute mais je trouve stupide que la seule réponse des syndicats à la perspective d’une évolution des retraites soit de dire que rien ne doit changer sinon on s’engage à paralyser le pays. Plus on laisse la maladie se développer plus le remède sera amer.
    Je sépare ce qui est de l’ordre du matériel et ce qui est du droit, du bon sens ou de l’ordre moral. Respecter l’égalité des hommes et des femmes est une évidence dont la remise en question ne me vient pas à l’esprit (a supposer que cette égalité existe enfin). Pour ce qui concerne la Grèce par exemple, je suis curieux de voir comment elle va se sortir de ce mauvais pas sans faire bouger des lignes.
    Bref ce que je veux dire c’est que ça peut être également une affirmation dangereuse si on dit que tout ce qui est acquis l’est définitivement.
    Bonne soirée.

  12. @Marie-Aude : c’est quoi « des conditions “normales” » pour un artiste ? Depuis quand l’art doit-il être « normalisé » ? Dans ce cas, je rejoins totalement Stéphanie, pourquoi est-ce que moi, qui suis indépendant, je ne pourrais pas non plus réclamer des conditions “normales” de salaire pendant qu’on y est ?

    Il faut savoir assumer ses choix, soit on se contente de la sécurité et des menottes du salariat, soit on choisit la liberté et les risques d’entreprendre, qu’il s’agisse d’art ou de quoi que ce soit d’autre. Mais vouloir le beurre, l’argent du beurre et la fille de la crémière, ce n’est pas possible.

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