Opérations médiatiques: marre [fr]

[en] Sick and tired of being asked to do stuff for free particularly when it's a media stunt. I rant about two recent situations where I've been contacted for "unpaid work" which is obviously going to benefit "the client" more than me.

Deux opérations médiatiques auxquelles j’ai été conviée de participer me laissent songeuse — et un peu inconfortable. Laissez-moi d’abord vous en dire quelques mots, puis on verra où part ce billet (j’avoue ne pas très bien le savoir moi-même).

La première, “Tapis rouge pour les APEMS”, a eu lieu pour moi hier (il y a aussi un vernissage de l’expo ce soir à Lausanne, mais vu mon état, je n’y serai pas). D’après ce que j’ai compris, il s’agit d’un événement monté par l’agence Plates-Bandes pour faire mieux connaître les APEMS. Les APEMS sont une structure d’accueil lausannoise pour les enfants de première à quatrième primaire, avant et après l’école ainsi que durant la pause de midi. L’événement comporte deux volets: une exposition à l’hôtel de ville (un APEMS éphémère y est recréé) et la visite de personnalités de la région dans les différents APEMS durant la journée, sous forme “d’invités suprise” pour les enfants (“Devine qui vient aujourd’hui?”).

Voici l’essentiel de l’invitation que j’ai reçue par e-mail il y a quelques mois:

“Devine qui vient aujourd’hui” invitent 20 personnalités de la région à venir
passer un moment (soit le petit déjeuner, soit le repas de midi, soit le
temps de jouer ou les quatre heures), avec les enfants, dans un des 20 APEMS
de Lausanne. Cette action sera fortement médiatisée.

Votre nom est ressorti dans les invités souhaités par les enfants ou les
professionnels des APEMS et nous aurions grand plaisir à vous associer à
cette journée.

Hier midi, je suis donc allée dîner à l’APEMS de Pierrefleur. C’était une expérience assez perplexante. J’avoue que je ne savais pas trop ce que je faisais là (les indications que j’avais reçues disaient simplement qu’il suffisait que je m’y rende, l’idée étant que je passe un moment là-bas avec les enfants) — et pour tout dire, le personnel de l’APEMS ne semblait pas avoir reçu beaucoup plus d’informations que moi à ce sujet.

Dans un premier temps, j’ai eu une conversation tout à fait sympathique avec la responsable de l’APEMS (après avoir été chaleureusement accueillie). Nous avons parlé de nos parcours respectifs, du fonctionnement de l’APEMS, de ce que je faisais professionnellement.

Au fur et à mesure que les enfants arrivaient et que le temps passait, mes doutes quant au choix de ma petite personne comme “invitée surprise” pour ces enfants grandissaient. Ils n’ont jamais entendu parler de moi, et c’est bien normal. Je ne travaille pas avec leur tranche d’âge (ils ne chattent pas, ne bloguent pas, vont peut-être sur Internet, mais franchement, ce que j’ai à leur raconter à ce sujet ne les intéresse sans doute guère). Les trois garçons de quatrième année avec qui j’ai partagé une table de repas ont parlé entre eux des jeux vidéos et films qu’ils appréciaient (“Le silence des agneaux”, à neuf ans, avec bénédiction parentale?!). J’avoue que cette partie de l’expérience avait pour moi un désagréable goût de flash-back, me renvoyant à quelques traumatismes scolaires de cette époque (mais bon, ça, c’est mes histoires, hein).

D’une opération annoncée comme “fortement médiatisée”, on est passé à “la presse a été prévenue, peut-être qu’ils viendront” et finalement à “ben non, sont pas venus”.

Je ne suis pas certaine de saisir les tenants et aboutissants de cette opération médiatique, mais j’avoue qu’elle me laisse avec la relativement désagréable impression d’être allée faire acte de présence (et un peu tapisserie) dans une APEMS afin que mon nom puisse figurer sur une liste transmise aux médias pour un coup de pub, accompagnée d’autres noms plus ou moins connus de la région.

Déformation professionnelle oblige: m’est avis qu’un bon site web, bien référencé et vivant, présentant les APEMS et leurs activités (il existe peut-être mais j’ai été incapable de le trouver) serait déjà un bon moyen de rendre cette structure d’accueil plus visible. (Là, je parie, ça va faire le coup classique, comme d’habitude: cet article va se retrouver sur la première page de Google pour le mot-clé “APEMS” d’ici peu.)

Voilà donc pour ma première “opération médiatique”.

La seconde, c’est “Le Temps des femmes”. Le journal Le Temps fête ses 10 ans en début d’année prochaine, et s’offre (et offre à ses lecteurs) un numéro spécial entièrement rédigé par des femmes influentes dans divers domaines en Suisse Romande. Idée fort sympathique, même si je doute que ce genre d’opération fait vraiment avancer la cause des femmes (je ne peux m’empêcher de penser qu’on donne ainsi un jour de congé aux hommes en offrant aux femmes le “privilège” de venir travailler). Il me semble que c’est tout bénéfice pour le journal — rien dans l’invitation n’indique que les bénéfices de ce numéro spécial seront reversés à une organisation faisant avancer la cause des femmes, par exemple (et on pourrait encore bien sûr débattre de l’utilité d’une telle action).

Mais là n’est pas vraiment la question. Mon malaise est ailleurs. Voyez-vous, le ton de l’e-mail (et de l’invitation Word à imprimer et renvoyer par fax!) est assez clair: je suis invitée à participer à cette journée de rédaction du numéro spécial, ainsi qu’au débat qui aura lieu le lendemain, et on espère que la proposition m’aura “séduite”. Après un rapide e-mail pour plus d’informations, je comprends que ce qu’on me propose de faire, c’est le “making-of” de la journée, en la bloguant. Du live-blogging d’événement, en somme.

Vous voyez où je veux en venir? Je me demande si Le Temps réalise qu’en m’invitant ainsi, ils sont en train de me demander de venir travailler pour eux une journée? Car oui, c’est du travail. Mettre au service d’une entreprise (ou de tout autre organisme) mon expertise dans le domaine des blogs, c’est ce que je fais pour gagner ma croûte. Bloguer, ce n’est pas juste “écrire dans un outil de blog” — je caresse l’espoir qu’un jour le monde comprenne que c’est une compétence spécialisée qui s’apprend.

En m’invitant à venir couvrir leur événement online, Le Temps s’assure les services d’une blogueuse qui sait vraiment ce qu’elle fait (en d’autres mots, on appelle ça une “professionnelle”). Mettez aux commandes de la couverture live une personne qui sait écrire mais qui ne connaît pas aussi bien le média “blog”, et vous n’aurez pas quelque chose d’aussi bon. Ça ne viendrait à l’idée de personne de penser que “journaliste” est un métier ou une compétence qui s’improvise, alors que sans cesse, on imagine que “blogueur” est un boulot à la portée de n’importe qui. Oui, ça l’est — d’un point de vue technique. Tout comme n’importe qui peut utiliser Word ou PageMaker pour publier un journal. Comme partout, il y a des gens qui sont capables d’apprendre “sur le tas” et qui d’amateurs autodidactes, deviennent des pros. Mais ça n’est pas donné à tout le monde — et ça prend du temps. Des blogueurs francophones qui font ça depuis bientôt huit ans, vous en connaissez beaucoup?

Je m’emporte, hein. Ben voilà, on vire au coup de gueule. J’avoue que ces temps-ci j’en ai un peu ma claque. Ma claque qu’on sous-value mes compétences et ce qu’elles peuvent apporter, ma claque d’avoir de la peine à me “vendre” et de trouver si difficile le côté “business” de mon activité professionnelle, et ma claque aussi de ces tentatives répétées de venir me faire travailler gratuitement, sous prétexte qu’on a pas de budget (ce qui peut être vrai, mais c’est pas à moi de me serrer la ceinture à cause de ça), sous prétexte (et c’est pire) que “ça m’apportera de la visibilité” et donc que j’y gagne. Oui, messieurs-dames, la plupart de mes activités professionnelles sont “visibles”, et c’est pour cette raison que je peux me permettre de ne pas facturer le double afin de financer mon budget marketing/pub. (Je sais, je suis en train de râler, mais qu’est-ce que ça fait du bien, de temps en temps!)

Donc, bref, me voilà une nième fois devant le même problème: comment expliquer à quelqu’un qui me contacte pour une participation bénévole (que ce soit une stratégie un peu puante pour obtenir les gens à bon marché ou le résultat d’un manque de conscience honnête et peut-être pardonnable n’y change pas grand chose) que oui, volontiers, mais il faudra ramener les pépettes? Parce que je l’avoue, c’est pas une position très agréable: “ah oui, sympa votre invitation et votre projet, je participe volontiers mais faudra me payer!” Ça me rappelle furieusement cette grosse entreprise européenne qui a invité mon amie Suw Charman à donner une conférence chez eux… et qui ne s’attendait pas à la payer! Elle en parle brièvement dans notre podcast Fresh Lime Soda.

Oui, j’ai conscience qu’en bloguant cette histoire Le Temps risque de lire ce billet et de laisser un commentaire qui me sauvera la vie, genre “oh mais bien sûr qu’on va vous payer, combien coûte une journée de votre temps?” — et je me rends compte que si je me sens assez libre de m’exprimer ainsi sur ma petite tribune ouverte (ce blog), les relations “clients-fournisseurs” restent très codifiées et je me verrais mal déverser ce lot d’explications dans un mail. Ce ne serait pas vraiment approprié. Je m’en tiendrai probablement à un “je viens volontiers passer une journée dans vos locaux à couvrir la journée en bloguant, cependant ceci fait partie des prestations que je facture. Qu’aviez-vous prévu de ce côté-là?” assez convenu et un peu plus léché. (Oui, ça m’emmerde vraiment que ces négociations pécuniaires soient si compliquées — je suis en plein dedans ces jours avec au moins deux autres clients.)

Bon, ben voilà, comme on dit. Essayons de finir sur une note constructive: si vous contactez un blogueur (ou une blogueuse) pour participer à un événement, ou bloguer pour vous, par exemple, gardez à l’esprit qu’il s’agit peut-être d’un service pour lequel il (ou elle) s’attend à être payé(e). Et de grâce, approchez les choses ainsi. Si vous n’êtes pas familier avec le milieu (et même si vous l’êtes un peu) il est possible que vous sous-estimiez complètement (a) le travail nécessaire à acquérir les compétences auxquelles vous faites appel et (b) ce que vous allez en retirer comme valeur en fin de compte.

9 thoughts on “Opérations médiatiques: marre [fr]

  1. Ca me rappelle quelques autres situations attrape-nigauds, par exemple lorsqu’un journaliste te fait miroiter une publicité gratuite dans son canard et que finalement, au lieu de répondre à ses questions, tu te retrouves pratiquement à écrire l’article à sa place. Gratuitement. Et pour ce qui est de la publicité…

    “… ma claque aussi de ces tentatives répétées de venir me faire travailler gratuitement, sous prétexte qu’on a pas de budget…” C’est la tendance, hélas. Même pour des clients qui paient déjà, même pour des clients qui ont un budget (ils prétendent toujours ne pas en avoir). Pour eux, ça reste du business. S’ils peuvent économiser 3 sous, ils n’hésiteront pas à t’embobiner d’un joli discours, à jouer sur les mots, à flatter ton ego, à te faire espérer une certaine notoriété, à profiter de ta passion et de toute (trop) bonne volonté.

    Pessimiste moi? Juste réaliste.

    Mais sinon tout va vien 😉

  2. La presse a toujours fonctionné comme ca, steph. Se plaindre que les journalistes font mal leur travail (= ne connaissent pas aussi bien ton activité que toi) et refuser de les aider, ca ne me semble pas hyper productif. Ceci dit évidemment que tu dois sélectionner les activités auxquelles tu souhaites participer, mais c’est une partie de ton job.
    IL me semble que tu craches dans la soupe un peu violemment, là.
    Il te faut trouver et garder une certaine ligne, en sachant qu’en ne rendant pas service tu fermes aussi la porte à des retours d’ascenseurs plus tard. C’est un choix mais tu ne peux pas te plaindre qu’on t’oblige à le faire, ca fait partie du jeu, non?

  3. Fred: tu vois où que j’ai refusé? en ce qui me concerne, c’est en suspens.

    Mon problème c’est que je passe mon temps à “aider” les gens, justement. Mais il faut bien de temps en temps que je pense aussi à gagner un peu d’argent. Et en l’occurrence, appeler une journée de travail intense un “service”, je trouve ça un peu léger de ta part.

    Si j’étais journaliste, tu crois qu’on me proposerait sur le même ton de venir “travailler gratuitement” durant une journée?

  4. le truc, c’est que ton activité est nouvelle. Et qu’ils n’ont pas forcément conscience, là, qu’ils te demandent de bosser. Après tout, tu liveblogues bien des évènements sans attendre de sous en échange, donc pourquoi pas le leur? Et ça fait partie, je crois, de ton boulot d’indépendante de leur expliquer que oui, c’est du boulot, de leur dire pourquoi c’en est et de leur dire combien ça vaut

  5. Je précise également (pour ceux qui ne seraient pas familiers avec le paysage médiatique Suisse Romand), que Le Temps n’est pas un petit journal indépendant sans le sou, mais une publication Edipresse, un des plus gros groupes de presse du coin.

  6. Ah, Raph, la voix de la raison. T’as tout à fait raison. Je pense effectivement qu’ils n’ont pas conscience de la situation. Mais c’est vrai que je me fatigue à avoir l’impression qu’il faut toujours que je justifie le fait que je demande de l’argent pour certaines choses…

  7. Côté liveblogging (et beaucoup d’autres choses en effet) c’est vrai que ça peut prêter à confusion: si je prends moi la décision d’aller à un événement, et que j’en ai envie, je liveblogue (exemple type: WordCamp, Lift07). Dans d’autres circonstances, je désire assister (là est la clé) à un événement qui coûte un peu cher pour ma bourse, et je propose mes services de live-blogueuse en échange de l’entrée (Supernova, FoWA, Lift08). En plus de me donner accès à l’événement auquel je voulais aller, ça me donne (dans le cas de conférences d’envergure internationale) une certaine visibilité qui m’est utile.

    Je pense que ce qui est différent ici, c’est qu’il s’agit d’un événement (une journée) à laquelle je n’irais pas “pour moi”. On me demande de venir, et on attend quelque chose de moi pour l’événement. C’est l’événement qui va bénéficier du travail que je vais faire, plus que moi.

    C’est bien cette discussion, ça me permet de mettre des choses au clair dans ma tête.

  8. relis mon com, j’ai pas dit que tu avais refusé, j’ai dit qu’avant de refuser, fallait réfléchir 🙂
    Quant au terme “service” il ne recouvrait pas uniquement les activités dont tu parles ci-dessus, mais plus ce qu’Ollie évoquait (ou ce que tu évoques dans d’autres billets).
    si l’équation se pose dans ces termes: je bosse une journée pour édipresse et ils mettent mon nom dans tous leurs articles sur les blogs (ce qu’ils faisaient du temps où j’étais en SUisse) ou je refuse de bosser gratuitement pour eux et c’est silence total…
    j’y réfléchirais aussi à deux fois à ta place.
    [j’ai aussi du mal à considérer le fait de bloguer comme du travail intense, mais ca c’est une opinion personnelle qui n’engage que moi.]

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