Assurez vos animaux [en]

En photo: mon vieil Oscar qui dort paisiblement, ses divers maux bien pris en charge sans me ruiner 🥰

Avoir une assurance pour son animal, c’est pas pour couvrir les frais courants. C’est pour couvrir les situations-catastrophe. C’est pour couvrir l’abcès au foie qui vous laisse avec un chat mort et 8000.- de frais de vĂ©tĂ©rinaire.

Et Ă  ceux qui diront que c’est insensĂ© de payer des sommes pareilles pour un animal: la mĂ©decine vĂ©tĂ©rinaire a aujourd’hui les moyens et les possibilitĂ©s de la mĂ©decine humaine, et donc le coĂ»t aussi. C’est pas comme il y a 20 ou 30 ans, ou “quand on Ă©tait gosses”. Le monde a changĂ©.

Aussi, les 8000.- de frais vĂ©to, c’est une escalade d’engagement inĂ©vitable. On arrive pas chez le vĂ©to avec un chat pas bien pour s’entendre dire “Madame, vous allez en avoir pour 8000.-“. Parce que lĂ , effectivement, on pourrait se dire: ok, quand bien mĂŞme ça me dĂ©chire le coeur, je peux pas, donc je fais pas.

Non, on arrive chez le vĂ©to avec un chat malade et on en a pour quelques centaines de francs. On rentre Ă  la maison🤞🏻 mais ça ne va toujours pas, on retourne, on rajoute 500 balles. On est vite Ă  1000, 1500. On va Ă  l’hĂ´pital ou chez le spĂ©cialiste, on rajoute 1000. Quand on a dĂ©jĂ  investi 2500.- pour sauver le chat, quand est-ce qu’on dit “hmm non lĂ  on arrĂŞte, on fait pas le truc qui devrait lui sauver la vie et qui coĂ»te encore 1000 balles, ou 2000 balles”?

Personne ne sait au début combien ça va être.

En Suisse, on a la chance d’avoir des assurances maladies qui nous sensibilisent au coĂ»t de la mĂ©decine. Dans d’autres pays, comme en France, on ne sait souvent pas combien a coĂ»tĂ© notre Ă©chographie ou notre radio, ou notre opĂ©ration. En Suisse, mĂŞme quand c’est payĂ© directement par l’assurance, on reçoit une copie de la facture. Ça aide, je trouve.

Donc l’assurance, elle est pour les situations catastrophe qu’on n’a pas vu venir. Pour les imprĂ©vus. De mon point de vue, aujourd’hui en Suisse, si on n’a pas un bas de laine de 10’000 balles Ă  mettre sur la table en cas de pĂ©pin, il est sage d’avoir une assurance.

Laquelle? C’est la jungle, en Suisse aussi, comme pour les assurances complĂ©mentaires chez les humains. Il faut bien lire les conditions. Ça n’aide pas Ă  faire le pas. Perso je suis chez Epona, parce qu’Ă  l’Ă©poque oĂą j’ai eu Erica, c’Ă©tait la seule assurance Ă  prendre les chats qui n’Ă©taient plus tout jeunes. Tounsi avait Ă©tĂ© assurĂ© chez Animalia (dĂ©cĂ©dĂ© Ă©galement brutalement, avec grosse facture vĂ©to, alors qu’il Ă©tait encore jeune).

Chez Epona, passĂ© un certain âge il y a un questionnaire/rapport qui doit ĂŞtre rempli par le vĂ©to. Il faut dĂ©clarer les maladies passĂ©es ou en cours. Il y aura des rĂ©serves. Par exemple, pour Oscar son diabète n’est pas pris en charge. Ni les consĂ©quences liĂ©es Ă  son amputation. Ni – parce que ça avait Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© Ă  l’Ă©poque – sa toux, qui, on l’a appris plus tard, est certainement liĂ©e Ă  l’ancienne hernie diaphragmatique qu’on ne savait pas qu’il avait. Par contre, son arthrose, c’est couvert. Toutes les injections de Solensia, les mĂ©dics, l’ostĂ©o. Sa gingivo-stomatite, y compris extraction totale, soins intensifs avant, couverte. Oscar est un mauvais risque pour l’assurance, très clairement, ses primes ont Ă©tĂ© doublĂ©es et sa franchise augmentĂ©e (sinon rupture de contrat), mais j’ai fait mes calculs et ça vaut quand mĂŞme encore la peine.

Julius, je l’ai assurĂ© en mode “chat jeune sans soucis”. Environ 175.-/an, franchise de 1000.-, formule C, pas de questionnaire de santĂ© vu son âge estimĂ©. Je ne m’attendais honnĂŞtement pas Ă  avoir de frais vĂ©tĂ©rinaires avec lui. Mais je me suis dit “s’il m’arrive une merde, comme c’est dĂ©jĂ  arrivĂ© avec d’autres de mes chats, au moins je ne vais pas me retrouver avec une ardoise Ă©quivalente Ă  deux mois de salaire, ou la dĂ©cision atroce de devoir euthanasier faute de sous”. Et en l’occurrence, vu le festival de bagarres de ces derniers mois, j’ai dĂ©jĂ  Ă©puisĂ© ma franchise.

Donc, faites assurer vos animaux. MĂŞme s’ils ont dĂ©jĂ  des maladies en cours – Ă  plus forte raison, je dirais, car une maladie n’en empĂŞche pas une autre, et si votre budget est dĂ©jĂ  grĂ©vĂ© par la maladie chronique non prise en charge, vous allez d’autant moins pouvoir gĂ©rer autre chose.

Les foyers Ă  grand nombre d’animaux: oui, lĂ  les primes ça devient un sacrĂ© montant. Mais je crois que si on a beaucoup d’animaux, on a aussi un budget vĂ©to mensuel consĂ©quent en permanence, donc ça veut dire qu’on a des fonds allouĂ©s Ă  ça, et peut-ĂŞtre plus de capacitĂ© d’absorber une dĂ©passement ponctuel de quelques milliers de francs du budget annuel. Si ce n’est pas le cas, peut-ĂŞtre qu’il faut quand mĂŞme rĂ©flĂ©chir Ă  assurer tout ce beau monde, en formule minimale, pour couvrir les catastrophes. Ou mettre sur pied une structure associative.

Amateurs de l’option “bas de laine”: faites les maths. Combien de temps vous auriez du Ă©conomiser pour payer les 8000.- de frais de vĂ©to que j’ai eus avec Erica? ou les deux annĂ©es consĂ©cutives Ă  4000.- avec Oscar?

Une assurance n’est pas un “investissement”. C’est une somme qu’on paie, chaque annĂ©e ou chaque mois, pour s’endormir en sachant que si le ciel nous tombe sur la tĂŞte en matière de malchance mĂ©dicale, on pourra quand mĂŞme soigner nos animaux sans se retrouver en dĂ©faut de biens.

Déjà dimanche soir [en]

La vie fait semblant de reprendre son cours. Le quotidien semble normal, les émotions retombent.

Et soudain, comme quand on rĂ©alise que dimanche soir est dĂ©jĂ  lĂ  et que le week-end n’a pas suffi avant de reprendre le travail, ça remonte, les larmes, tout.

Tu n’es bel et bien plus lĂ , partie pour de bon, j’ai vu ton cercueil descendre en terre, je repense Ă  toute la douleur additionnĂ©e des personnes qui Ă©taient lĂ  pour te dire au revoir, et toutes celles encore qui n’ont pas pu ĂŞtre lĂ  mais qui n’en ont pas moins pleurĂ©, et pleurent encore.

C’est le rĂ©veil du mauvais rĂŞve au matin, dont on rĂ©alise après un bref instant qu’il n’est justement pas un rĂŞve, mais le rĂ©el. Un rĂ©el tellement irrĂ©el qu’il a la texture du rĂŞve, parce qu’on ne peut faire autrement que de le garder Ă  distance – si intense qu’il nous renverse Ă  terre Ă  chaque fois.

J’essaie d’imaginer ton dernier jour, ta dernière heure. Ta dernière semaine, ces Ă©changes qui semblent si incompatibles avec ton dĂ©part. J’essaie mais j’Ă©choue. J’essaie de comprendre, et des fois je crois que j’arrive, puis je n’arrive plus. Il y aura toujours quelque chose qui m’Ă©chappera, parce que le sens du chemin que tu as pris, il Ă©tait visible pour toi, et je n’ai pas tes yeux, je ne suis pas toi.

L’altĂ©ritĂ© irrĂ©ductible de l’autre.

Nos Ă©changes vont me manquer. On aurait pu parler de ça. De ce qui fait une personne et ses possibles. Ses impossibles aussi. Ton Ă©nergie et ton esprit positif Ă©galement, ils vont me manquer. Mais en le disant, l’impossibilitĂ© de rĂ©concilier ça avec le dĂ©sespoir implicite que tes actions ont criĂ© plus fort que n’importe quel mot me laisse bien dĂ©semparĂ©e.

Je fais de mon mieux pour ne pas arroser mes regrets. Je tourne le pot dans lequel ils essaient de pousser pour les mettre face Ă  l’avenir plutĂ´t qu’au passĂ©, et ils se transforment en tristesse. Le regret n’est qu’un masque, qui tombe quand on comprend qu’il n’est que le reflet de l’impossibilitĂ© future.

Que c’est futile, au fond, de regretter une chose pas dite, un appel pas fait, une rencontre pas organisĂ©e, une chose pas entendue, quand la mort signe un “jamais plus” pour tout l’avenir – une myriade de mots, de gestes, de sentiers de montagne, de rires pour des bĂŞtises, de moments d’Ă©change profonds, de tout ce qui fait une vie et qui ne sera tout simplement pas, encore et encore, chaque jour, chaque semaine, chaque mois et chaque annĂ©e qui passe. Le masque du regret est bien trop petit pour obscurer tout ça.

C’est si dur, l’absence dĂ©finitive.

Parfois je voudrais presque, sans le vouloir vraiment, la consolation qu’apporterait la croyance en un après ou un ailleurs. Sans le vouloir, parce que je suis bien au clair sur ce que je crois, et surtout ce que je ne crois pas. Vouloir cependant, parce que ça ferait moins mal. C’est quelque chose que tu aurais compris, j’en suis sĂ»re.

Demain le jour sera un peu plus gris, mĂŞme si la vie fait semblant de reprendre son cours, parce que je me rĂ©veillerai demain matin sans pouvoir croire que c’Ă©tait un mauvais rĂŞve.

“Une femme sans enfant” [en]

Aujourd’hui je me sens triste, triste et vidĂ©e.

La cĂ©rĂ©monie hier Ă©tait belle, c’Ă©tait intense, fort de liens et de larmes, de rencontres du coeur, de mots et de bras qui soutiennent dans la peine.

Mais le rouleau compresseur émotionnel et physique de la semaine écoulée me laisse épuisée malgré les neuf heures de sommeil de la nuit, et en ce dimanche calme et sans urgences à accomplir, je me sens triste, triste, et triste encore.

Triste d’avoir perdu mon amie, triste de sa souffrance et de celle de ses proches, mais triste aussi de ce monde qui met un pareil poids sur les femmes concernant la maternitĂ©.

Bien sĂ»r que quand quelqu’un quitte cette vie ainsi de son propre chef, on reste avec un grand “pourquoi?” dont la totalitĂ© nous Ă©chappera toujours. Mais on va construire du sens, tant bien que mal, parce que c’est humain d’avoir besoin de sens, et parce que la mort dĂ©jĂ  ça nous bouleverse, mais si en plus il n’y a pas de sens, c’est encore moins supportable. On met ensemble des morceaux, des pièces du puzzle, sachant bien que ce n’est pas une cause unique qui mène Ă  cet instant singulier, mais un faisceau d’Ă©lĂ©ments intĂ©rieurs et extĂ©rieurs, essentiels et contingents, personnels et collectifs, existentiels et triviaux, anciens et rĂ©cents, dont la conjonction rĂ©sulte en un tout – la mort – qui est irrĂ©ductible Ă  la somme de ses parties.

Et donc aujourd’hui je suis triste de ce poids que portent toujours les femmes, qu’elles soient mères ou non. Triste parce qu’il Ă©tait lourd pour mon amie, et qu’elle n’Ă©tait pas seule. Triste parce que le deuil de maternitĂ© reste tabou, parce que la sociĂ©tĂ© ne nous offre toujours pas un mode d’emploi de la vie ou une identitĂ© qui n’inclut pas d’avoir des enfants, triste parce qu’une fois mère il faut lutter pour ne pas ĂŞtre rĂ©duite Ă  ça, et que si on ne l’est pas on est au mieux ignorĂ©e ou objet de pitiĂ©, au pire jugĂ©e ou mĂ©prisĂ©e.

Voici des choses que j’ai Ă©crites au fil des annĂ©es, et qui rĂ©sonnent Ă  nouveau fortement pour moi ces jours:

C’est assez parlant que je n’ai pas Ă©crit plus sur le sujet, compte tenu de combien le deuil de maternitĂ© a Ă©tĂ© une pĂ©riode charnière (longue, difficile, mais charnière) dans ma vie. J’ai un milliard de choses Ă  dire sur le sujet, mais j’en ai dites très peu. Durant cette pĂ©riode, près d’un an, je n’ai en fait presque rien Ă©crit ici, alors que ça fait 25 ans jour pour jour que ce blog existe.

Parce que le deuil de maternitĂ©, il n’a pas “d’existence” dans notre sociĂ©tĂ©. Il n’y a pas de rituel, pas de reconnaissance, pas de copines qui passent avec un tup’ ou de connaissances qui prĂ©sentent des condolĂ©ances. Non, le deuil de maternitĂ©, c’est avant tout un “Ă©chec” pour celle qui le vit, parce que oui quoi, “quand on veut on peut”, et avec tous les progrès de la mĂ©decine moderne, n’est-ce pas, avoir un enfant, c’est “si je veux, quand je veux”! Il n’y a pas de place lĂ -dedans pour tous les scĂ©narios vĂ©cus rĂ©els et douloureux qui contredisent ces refrains usĂ©s, la myriade de façons diffĂ©rentes dont on peut se retrouver Ă  dĂ©passer sa date limite de procrĂ©ation, parfois sans mĂŞme s’en rendre compte. Le deuil de maternitĂ©, c’est un deuil qui se traverse le plus souvent sans soutien, dans la honte, la culpabilitĂ©, et la perte de repères quant au sens de la vie et Ă  son identitĂ© de femme.

Les femmes sans enfant les plus visibles sont celles qui le sont par choix. Pour elles, la honte, l’Ă©chec et la culpabilitĂ© sont moins un enjeu. (Je dis “moins”.) Ne pas vouloir d’enfant est un combat, quelque chose qu’on revendique, qu’on va assumer peut-ĂŞtre mĂŞme avec colère face Ă  un monde qui nous dit qu’on devrait “vouloir autrement”, que tant qu’on n’a pas eu d’enfants on ne sait pas quel est le vĂ©ritable amour, que si on n’en veut pas c’est qu’on est un peu cassĂ©e dedans et qu’on devrait d’abord panser nos blessures profondes pour accĂ©der enfin Ă  la lumière du dĂ©sir de maternitĂ©.

Mais les femmes sans enfant “par choix” sont en fait une minoritĂ©. Pour la majoritĂ© des femmes qui n’ont pas d’enfant, ce n’Ă©tait pas un choix, une dĂ©cision claire. Parfois, c’est une ambivalence qu’on va transformer rĂ©troactivement en choix inconscient parce que oui, c’est moins lourd d’assumer d’ĂŞtre rebelle, de ne pas vouloir entrer dans les cases toutes faites de la sociĂ©tĂ©, que d’avouer qu’on aurait voulu, au fond, mais que pour mille raisons, ça ne s’est pas fait. Mais souvent, on voulait on voulait, et les circonstances ne se sont pas alignĂ©es pour, une rupture au mauvais moment, un dĂ©cès, un dĂ©mĂ©nagement, ou simplement “pas de bol” dans la vie amoureuse (un autre article…)

Si les mères souffrent que leur identitĂ© soit rĂ©duite Ă  leur maternitĂ©, les non-mères sont regardĂ©es avec suspicion. Et si elles ne sont pas en couple, d’autant plus! Une femme sans enfant et sans partenaire, elle doit pas ĂŞtre tout Ă  fait “normale”. Pourquoi personne n’a voulu d’elle? (Remarquez que ce sera rarement “pourquoi n’y avait-elle personne digne d’elle…?) Elle doit avoir peur d’aimer. Elle a probablement un glaçon Ă  la place du coeur. Si elle ose Ă©voquer qu’elle aurait voulu que les choses soient autrement, on lui dira d’abord “mais pourquoi tu as pas adoptĂ©, du coup?” ou bien “mais bon y’a pas besoin d’homme de nous jours pour avoir un enfant” ou encore “c’est pas trop tard, regarde, Hilary Swank vient d’avoir un enfant Ă  48 ans, tu as encore le temps, ne baisse pas les bras!” et Ă©videmment “probablement qu’au fond de toi tu ne voulais pas vraiment…”

Promettez-moi svp qu’avant de rĂ©agir Ă  ce que je raconte ici vous allez lire les articles que j’ai Ă©crits sur le sujet il y a bientĂ´t dix ans et dont j’ai mis les liens plus haut… merci.

Dans ces circonstances, on apprend vite Ă  souffrir toute seule. Et le “business” de la PMA n’aide pas forcĂ©ment, car il vient au final alimenter deux discours avec lesquels il faudrait peut-ĂŞtre prendre un peu de distance: “quand tu veux tu peux” et “ĂŞtre mère c’est le truc le plus important que puisse faire une femme de sa vie”.

Nous avons un besoin urgent de “modes d’emploi” sociaux pour comment se comporter vis-Ă -vis des femmes par rapport Ă  leur maternitĂ© (exit les questions brise-glace genre “et alors, tu as des enfants?” pour commencer), le deuil de maternitĂ© (quoi dire? quoi ne pas dire? comment offrir du soutien?) et aussi pour redĂ©finir Ă  quoi ressemble une “bonne vie”, une “vie rĂ©ussie” d’une façon qui n’inclut pas systĂ©matiquement la maternitĂ© comme passage entendu et Ă©vident, comme point central de la vie d’une femme.

Les hommes peuvent Ă©videmment morfler face Ă  un deuil de paternitĂ©. Mais (pardon messieurs si vous me lisez et que vous ĂŞtes concernĂ©, il ne s’agit pas de nier votre douleur) ils ne subissent pas le mĂŞme poids Ă  ce sujet que les femmes. Un homme sans enfant est bien plus acceptable qu’une femme sans enfant. Lisez simplement les biographies des gens, vous savez, les confĂ©renciers, les auteurs, les petites prĂ©sentations des nouveaux collègues. Et notez quelle place est faite Ă  la progĂ©niture de la personne concernĂ©e dans le texte, chez les hommes, chez les femmes. Vous verrez.

Alors, comment on fait ces modes d’emploi? Je ne sais pas, honnĂŞtement. Mais je sais qu’on peut dĂ©jĂ  commencer en ouvrant notre gueule, en n’acceptant pas le tabou, le silence et la honte, la culpabilitĂ© face Ă  un Ă©tat de fait qui n’est pas de notre faute, en osant mettre l’inconfort sur la personne qui nous dit “et alors, tu voulais pas d’enfants?” plutĂ´t que de le prendre sur nous (“si, je voulais mais j’ai pas pu”), en racontant nos histoires, en donnant Ă  nos “soeurs” plus jeunes des modèles de vies belles et Ă©panouies hors de la maternitĂ©, en ne partant pas du principe que toutes les petites filles voudront ĂŞtre maman, en sensibilisant garçons et filles aux enjeux temporels liĂ©s Ă  la fertilitĂ© fĂ©minine et en adaptant les modèles de parcours de vie en consĂ©quence (tu fais tes Ă©tudes, tu fais ton post-doc, tu trouves un job stable, tu te cases après un ou deux ratages, tu profites un peu de la vie de couple quand mĂŞme, et ensuite tu fondes ta petite famille… non mais sĂ©rieux?), en Ă©vitant de glorifier la maternitĂ©, et en continuant la lutte contre les valeurs patriarcales qui imprègnent encore implicitement notre sociĂ©tĂ©. Les femmes en paient le prix fort, mais les hommes n’en sortent pas indemnes non plus: c’est perdant-perdant.

Pour traverser un deuil, la souffrance doit ĂŞtre entendue. A 51 ans, c’est largement derrière moi, parce que j’ai trouvĂ© Ă  l’Ă©poque un espace oĂą j’Ă©tais soutenue et entendue. Mais je vais continuer Ă  ouvrir ma gueule parce que je me rends compte que mĂŞme mes amies (vous ĂŞtes plusieurs) ploient sous la honte et la culpabilitĂ© de leur non-maternitĂ©, et je veux croire qu’ensemble on est plus fortes, qu’ensemble on peut faire bouger les choses, qu’en faisant assez de bruit assez longtemps notre sociĂ©tĂ© nous fera une vraie place, et pas juste une place en note de bas de page parce qu’il faut bien nous mettre quelque part.

Delphine, mon amie [fr]

C’Ă©tait Ă  l’AFVAC en 2022, Ă  Marseille. Audrey nous avait prĂ©sentĂ©es. “Vous habitez les deux Lausanne!” Dans mon souvenir, qui n’est peut-ĂŞtre pas la rĂ©alitĂ©, on a commencĂ© Ă  parler et on ne s’est plus arrĂŞtĂ©es, enfin si quand mĂŞme, parce qu’il fallait aller assister Ă  telle ou telle confĂ©rence ou retrouver telle ou telle personne. Pour moi en tous cas, un coup de foudre et de coeur amical.

On s’est revues après ça, assez vite. Pour discuter, pour skier, pour randonner, pour se voir. On s’appelait, “on fait pas long cette fois, promis”, et six heures après on y Ă©tait encore.

J’aimais son enthousiasme qui me faisait penser au mien, son Ă©nergie, sa curiositĂ© concernant le monde, son amour de la nature et des animaux, son Ă©coute, sa disponibilitĂ© et sa bienveillance, son ouverture Ă  se remettre en question, sa capacitĂ© Ă  se positionner clairement aussi.

Notre amitiĂ© Ă©tait encore jeune, mais je me rĂ©jouissais de la voir grandir et de nous accompagner dans les dĂ©cennies Ă  venir. Elle comptait pour moi, pas juste parce que Delphine Ă©tait la belle personne qu’elle Ă©tait, mais aussi, Ă  titre un peu plus “Ă©goĂŻste”, parce que Delphine et moi partagions beaucoup d’intĂ©rĂŞts et de valeurs. Au-delĂ  de la qualitĂ© du lien, l’Ă©tendue des domaines de la vie qui comptent pour nous et qu’on a en commun avec l’autre jouent un rĂ´le important.

Avec Delphine, j’avais une amie qui comme moi aimait les animaux et le vivant, les sports en plein air, la rĂ©gion dans laquelle nous vivons, ses montagnes et ses lacs, Ă©tait une fĂ©ministe engagĂ©e (plus que moi probablement d’ailleurs), s’intĂ©ressait avec finesse Ă  la santĂ© mentale, de façon gĂ©nĂ©rale et aussi plus personnelle, Ă  comment fonctionne notre cerveau et notre sociĂ©tĂ©, Ă  l’approche systĂ©mique Ă  laquelle je me formais, qui adorait le podcast Meta de choc, avec qui je pouvais “geeker Diabète FĂ©lin” et comportement fĂ©lin, dont le cerveau entrepreneurial et peut-ĂŞtre mĂŞme hyperactif fourmillait d’idĂ©es et de projets, et qui s’arrĂŞtait aussi en randonnĂ©e pour regarder les fleurs.

Evidemment qu’il y avait des choses importantes que nous ne partagions pas, je pense par exemple Ă  la musique et la peinture, au fait qu’elle avait un chien et moi un chat. Nos parcours de vie tentaient de panser des blessures diffĂ©rentes, aussi. Mais pour moi, en tous cas, c’Ă©tait dĂ©jĂ  beaucoup.

Delphine faisait Ă©galement partie des personnes qui arrivaient Ă  ĂŞtre lĂ  pour moi, assez spontanĂ©ment. Pour vous qui me connaissez, vous savez que ce n’est pas rien, ça.

Ma tristesse pleure Ă  tellement d’Ă©tages.

La perte d’une jeune femme bourrĂ©e de qualitĂ©s et de ressources, pleine de potentiel qui ne verra jamais le jour. La perte d’une personne qui mettait du soleil dans ma vie juste en Ă©tat lĂ . La perte d’un lien qui comptait pour moi et en l’absence duquel je me retrouve appauvrie, fragilisĂ©e. La perte d’envies et de projets communs qui ne seront jamais rĂ©alisĂ©s.

Mais c’est aussi le deuil de ce qui peut encore me rester comme illusions qu’il y aurait une justice dans le monde, qu’ĂŞtre entourĂ©, aimĂ© et soutenu devrait ĂŞtre assez pour s’accrocher Ă  la vie, qu’on peut “faire une diffĂ©rence qui fait la diffĂ©rence” dans la vie des gens, que l’on devrait pouvoir percevoir le poids de la souffrance que porte l’autre avec lequel on est en lien, voir Ă  travers les sourires et les paroles solides, qu’on devrait pouvoir “sauver les autres malgrĂ© eux”. On ne peut pas. On ne peut pas.

J’ai des regrets. C’est normal les regrets, et avec le temps, il s’agit de les lâcher. Un vieux sage m’a dit un jour “les regrets, c’est utile si ça sert Ă  faire autrement Ă  l’avenir; sinon il faut les laisser”. Mais les Ă©motions et la tĂŞte sont parfois en dĂ©calage, et comme on le sait, les Ă©motions gagnent toujours.

Le regret le plus prĂ©sent, bizarrement, mais peut-ĂŞtre pas, en fait, est un regret qui peut sembler très superficiel: c’est que Delphine n’aura jamais rencontrĂ© Juju. Elle aurait aimĂ© Juju. Ce regret a du sens, car ce sont les chats qui nous ont rapprochĂ©es, et aussi parce qu’elle avait suivi de près l’histoire de Juju, depuis le dĂ©but jusqu’Ă  maintenant. Elle avait pris du temps avec moi au tĂ©lĂ©phone, très gĂ©nĂ©reusement, pour me conseiller et me soutenir quand je croulais sous le stress de cette responsabilitĂ© imprĂ©vue dont je n’avais pas vraiment pris la mesure, que je me torturais Ă  ne pas savoir quelle Ă©tait la meilleure dĂ©cision Ă  prendre pour ce chat que j’avais sur les bras. Après tout ça, elle ne l’aura jamais caressĂ©, jamais gratouillĂ©, jamais eu sur les genoux Ă  ronronner. Un chat qui ronronne, c’est une petite chose de la vie, justement de celles auxquelles Delphine Ă©tait sensible.

J’ai d’autres regrets aussi, Ă©videmment, les randonnĂ©es que nous ne ferons pas, de n’avoir pas fait de via ferrata ensemble (alors qu’elle m’avait prĂŞtĂ© son matĂ©riel en 2023 pour que je m’y remette), de ne pas avoir l’occasion d’accompagner ses progrès Ă  ski, de ne pas voir sa clientèle se dĂ©velopper en Suisse, le bivouac qu’on avait prĂ©vu mais que ma santĂ© ne nous a pas permis de faire. On avait Ă©voquĂ©, un peu en l’air, de partir en vacances aux ĂŽles FĂ©roĂ©. Mais plus sĂ©rieusement, de partir en vacances ensemble, Ă  l’occasion. Ses projets de vie ont repoussĂ© la concrĂ©tisation de projets dans ce sens, et ils resteront Ă  tout jamais Ă  l’Ă©tat d’idĂ©e, dans le giron de cette belle amitiĂ© trop courte, en compagnie de toutes ces autres choses auxquelles on avait mĂŞme pas encore eu le temps de penser.

Je regrette aussi, infiniment, que nous n’ayons pas plus Ă©changĂ© sur un aspect douloureux de nos parcours de vie respectifs, que nous partagions d’une certaine façon, mĂŞme si nous n’Ă©tions pas – la dĂ©cennie qui nous sĂ©pare peut-ĂŞtre – au mĂŞme endroit par rapport Ă  ça. Je le regrette, et dans mes regrets il y a des “et si je…?”, mais je leur dis Ă  ces “et si”, que dans une relation on est deux, et que si on n’en a pas plus parlĂ©, ce n’est pas tout sur mes Ă©paules. On peut ĂŞtre lĂ  pour l’autre, on peut tendre la main, mais on ne contrĂ´le pas plus – et on n’a pas Ă  juger non plus ce qu’a fait ou pas fait l’autre, car nous ne sommes pas en lui, nous n’avons pas toutes les clĂ©s, nous ne pouvons pas vĂ©ritablement “comprendre” ce qui l’anime.

Accepter cette impuissance fait vraiment mal.

Delphine, tu vas Ă©normĂ©ment me manquer. Tu me manques dĂ©jĂ , tu sais. Ces derniers jours, j’ai voulu t’envoyer mes “trois bonnes choses” de la journĂ©e comme nous le faisions ces dernières semaines. Je retourne dans ma tĂŞte ces “bonnes choses” que tu as partagĂ©es avec moi, qui tĂ©moignaient des liens forts et nourrissants dans ta vie, d’un avenir qui se dessinait et se construisait, de moments de vie et de lumière, alors mĂŞme que peut-ĂŞtre ta dĂ©cision Ă©tait dĂ©jĂ  prise. J’essaie de rĂ©concilier les deux mais je n’arrive pas. Comment peux-tu me parler de ta voisine qui distribue tes cartes de visite pour te faire connaĂ®tre le mardi soir, et n’ĂŞtre plus lĂ  24 heures plus tard? Je n’arrive pas. C’est pas possible.

Je me dis que j’aurais dĂ» plus vite te relancer pour te voir, toi qui avais repris contact juste deux semaines avant que tu disparaisses. Mais il n’y avait pas d’urgence, l’urgence Ă©tait ma convalescence et mon repos, on aurait le temps plus tard. Je me demande vainement si ça aurait pu faire pencher la balance, mais comme je sais si bien le dire aux autres qui se rongent de culpabilitĂ©, la rĂ©ponse est non, ce avec quoi tu te dĂ©battais n’Ă©tait pas dans nos mains.

Mais je suis triste de n’avoir pas de coup de fil plus rĂ©cent, de rencontre plus rĂ©cente, qu’on se soit si peu vues ces derniers mois. Je sais que ça n’a pas tenu qu’Ă  moi, mais je suis comme tout le monde, j’ai beau savoir, mes Ă©motions ont le dessus et je pleure. Tu vois, quand j’ai reçu ton message vocal le 17 juin – et je te l’ai dit d’ailleurs – j’ai vu sur ma montre connectĂ©e que c’Ă©tait toi, et ça m’a fait tellement plaisir que j’ai interrompu mon temps de repos pour monter chercher mon tĂ©lĂ©phone et Ă©couter ton message. Dans ton message, ta proposition de se voir, j’ai entendu que tu repiquais, alors que je comprends maintenant que c’Ă©tait sĂ»rement plutĂ´t le contraire…

Je ne crois pas au sens dans le monde, ni Ă  la justice de l’univers. Je crois que nous partagions ça, en tous cas en partie. C’est très dĂ©sĂ©curisant de faire face Ă  ça. J’ai du mal, tu sais, parfois. Et s’il y avait besoin, ton dĂ©cès vient me conforter dans ce (non-) sens. Non, ce n’est pas juste, pas juste pour toi que ta vie t’ait servi des cartes avec lesquelles tu n’as pas pu gagner, pas juste pour nous qui restons sur le carreau aux prises avec ton absence, toi qui Ă©tais prĂ©sente dans tant de vies et les enrichissais.

Il nous reste à nous frayer à travers la jungle émotionnelle du deuil, dans la peine et la douleur, le mince chemin qui nous permettra de construire du sens. Et ce sens, qui nous accompagnera chacun dans la suite de nos vies, ce sera aussi ainsi que ta mémoire vivra en nous. Des fruits nombreux que ta vie aura portés.

En attendant ce moment, je vais encore pleurer souvent, quand je penserai Ă  toi, quand je caresserai Juju, quand j’irai en randonnĂ©e quelque part oĂą nous sommes allĂ©es ou oĂą nous aurions pu aller, quand je prĂ©parerai ma saison de ski sans pouvoir te proposer de dates pour me rejoindre au chalet, quand je tomberai sur un podcast qui t’aurait intĂ©ressĂ©, quand j’aurai envie de partager quelque chose de ma vie avec toi ou de te demander quelque chose, quand je me dirai “tiens, ça fait trop longtemps, faut qu’on se voie…”

Je suis si triste, Delphine. Si triste.

The LLMification of Everything [en]

I find LLMs (“AI”) fascinating. I haven’t been this excited about new technology since I discovered the internet. I am super interested in how they are changing the way we access information – admittedly, not necessarily for the better. I love the interactive interfaces.

But one thing I love less is the way LLM productions creep up all over the place, somewhat uncontrollably. “AI summaries” of search results are one thing. I actually quite like that, it’s clearly marked, usually quite synthetic and a good “overview” before diving into the search results themselves. But do I need a Quora AI-bot answer to the question I clicked on to look at? (Not that Quora is the highest-quality content on earth these days, it’s clearly fallen into the chasm of infotainment.) And of course, page after web page filled with AI slop, and invitations in pretty much all the tools we use to let “AI” do the job for us.

Which brings us to what irks me the most: humans passing off unedited and unreviewed LLM productions as their own. You know what I mean. That facebook comment that clearly was not composed by the person posting it. The answer to your WhatsApp or Messenger message that suddenly gives you the feeling you’re in a discussion with ChatGPT. This is another level from getting Claude to write your job application letter or craft a polite and astute response to a tricky e-mail. Or using whichever is your current LLM of choice to assist you in “creating content”. Slipping “AI stuff” into conversation without labelling it as such, is, in my opinion, a big no-no. Like copy-pasting without attribution.

As we use LLMs to create content for us and also summarise and digest the same content for our consumption, we’re quickly ending up in a rather bland “AI echo chamber”. I have to hope that enough of us will not be satisfied with the fluffiness of knowledge this leads to. That writing our own words and reading those of others will remain something that we value when it comes to making sense of the world and expressing what it means to be human.

Cerveau avec vision tunnel [en]

C’est quand mĂŞme très Ă©trange et dĂ©routant, ce que cette blessure fait Ă  mon cerveau. Hier je me suis reposĂ©e, assez. Ce matin je me suis rĂ©veillĂ©e sans mal de tĂŞte, et j’ai trainĂ© tranquille. Cet après-midi j’ai fait un peu d’administratif. Dont un peu de rĂ©daction. Pas de la rĂ©daction comme ici oĂą je parle Ă  voix haute, de la rĂ©daction oĂą on tente de composer un truc administratif tournĂ© comme il faut avec les infos qu’il faut et pas trop long. Au bout d’un moment, 30-45 minutes peut-ĂŞtre, j’ai senti que ça patinait. Et quand ça patine, c’est comme si mon cerveau souffrait de vision tunnel. Je peux me focaliser sur la phrase que j’Ă©cris, mais je n’arrive pas bien Ă  garder en tĂŞte le contexte: ce qui vient avant, après, le mot que je veux placer, la partie de phrase que je veux bouger, l’idĂ©e que je veux exprimer. DĂ©crit comme ça, ça fait clairement penser Ă  une mĂ©moire de travail rĂ©duite. (Ce qui fait sens, c’est dĂ©crit comme un symptĂ´me en cas de syndrome post-commotionnel.) L’expĂ©rience subjective est vraiment dĂ©sagrĂ©able. C’est vraiment comme si mon cerveau ne “voyait” plus en grand angle mais en zoom. Et encore, le gros zoom sans stabilisateur qui tremblote et qu’on peine Ă  garder sur le sujet.

Alors bon, j’ai arrĂŞtĂ©, j’ai fait une croix sur ma sortie de la soirĂ©e, et je me mets au repos, vive la glande. Mais ces moments de cerveau en mode vision tunnel, j’avoue que ça m’effraie. Et que j’aimerais que ça passe. Je l’aime bien, mon cerveau, vous voyez, et ça m’embĂŞte de le voir galĂ©rer comme ça.

Tartine du jour entre fatigue, judo, ménage et planning [en]

Aujourd’hui le moral bat un peu de l’aile. Parce qu’encore une fois je me retrouve HS, Ă  plat, raide, et avec le petit mal de tĂŞte en prime, alors que ce qui a menĂ© Ă  cet Ă©tat reprĂ©sente pour moi assez peu d’activitĂ©. Encore une fois, j’ai surestimĂ© ce que je pouvais faire. Et ça me dĂ©prime de voir “combien peu” je peux me permettre de faire, juste lĂ .

Je cogite beaucoup Ă  comment gĂ©rer ça. Oui, oui, il faut rĂ©duire les attentes et ambitions. Croyez-moi, j’y travaille. J’essaie de lire tranquillement alors que l’armĂ©e de paparazzis tambourine Ă  la porte, menaçant de la dĂ©foncer, qu’il y a des fuites d’eau au plafond et que des bombes tombent sur les immeubles d’Ă  cĂ´tĂ©. Pas littĂ©ralement, vous m’aurez comprise. Les paparazzis, ce sont mes envies, mes obligations, mes responsabilitĂ©s, mes projets, mes “ah oui je pourrais faire xyz”.

Concrètement, que faire? Quelques réflexions en vrac. On verra où ça me mène. Merci à toi, cher lecteur, chère lectrice, de faire ce bout de chemin avec moi.

Les “choses Ă  faire”, elles sont Ă  diffĂ©rents niveaux. Il y a les obligations plus ou moins obligatoires, les envies plus ou moins utiles, les choses qui nous font du bien et nous satisfont, les choses qui font plaisir, les choses qui font qu’on se sent moins coupable. Les choses qui nous coĂ»tent et les choses qui nous ressourcent. Les choses qu’on doit et les choses qu’on veut, avec une frontière pas toujours très nette entre les deux.

Tâches au fil des jours et des semaines

Tout Ă  l’heure, avant d’aller chercher mon ordi pour commencer Ă  Ă©crire ici, j’ai pris mon cahier et tentĂ© de faire l’inventaire de mes tâches quotidiennes et hebdomadaires “obligatoires”. Pour l’exercice, on va Ă©viter de dĂ©battre sur la signification de ce mot.

Chaque jour par exemple, il y a des choses comme:

  • prĂ©parer les repas
  • faire la vaisselle
  • donner les mĂ©dics au(x) chat(s), prendre les miens
  • nettoyer la litière
  • arroser les plantes du balcon
  • relever le courrier
  • faire du petit rangement courant, au fur et Ă  mesure
  • thĂ©oriquement, faire des exercices pour la physio (j’arrive quasi jamais)

Et puis Ă  un rythme plus hebdomadaire (pour certaines tâches deux fois par semaine, d’autres toutes les deux semaines ou plus, ça varie):

  • faire les courses
  • faire la lessive
  • changer le capteur d’Oscar
  • divers rendez-vous mĂ©dicaux et paramĂ©dicaux, vĂ©to y compris (Ă  la louche, j’en ai minimum 5 de fixe, donc gĂ©nĂ©ralement 6, et parfois jusqu’Ă  8)
  • arroser les plantes d’intĂ©rieur
  • changer les draps
  • vider les poubelles diverses et variĂ©es
  • superviser le robot pendant qu’il fait le mĂ©nage
  • tenter d’aller au judo et (j’espère toujours) au chant

Et lĂ , il n’y a vraiment que les choses de base. Ecrire, voir du monde et rester en contact avec mon cercle social (consĂ©quent), rempoter les plantes, tenter d’amĂ©liorer l’entente entre les deux chats pour pouvoir descendre Oscar plus souvent, m’occuper de DF, boutiquer avec ChatGPT et autres LLM, gĂ©rer mon admin perso (citoyen et digital), rendre quelques menus services Ă  mes proches… Sans compter que les choses comme la vaisselle, les paiements et le petit rangement, les habits propres sortant de la lessive, si on n’a pas pu faire Ă  mesure, ça s’accumule.

On est d’accord que ce n’est pas un problème nouveau chez moi, la gestion du quotidien et des affaires domestiques. Mais depuis mon diagnostic et mon traitement, c’Ă©tait quand mĂŞme assez sous contrĂ´le. Alors que je travaillais! Et lĂ , avec traitement, j’ai l’impression d’ĂŞtre de retour Ă  la case dĂ©part. Pas toujours bien sĂ»r, et au moins je comprends ce qu’il se passe et je me blâme moins, mais c’est vraiment frustrant de voir combien “juste vivre” me prend Ă  peu près toute mon Ă©nergie.

Jeudi

J’ai fait quoi, lĂ , pour me retrouver HS? J’ai tentĂ© d’y aller mollo cette semaine. Et j’ai mieux rĂ©ussi que celle d’avant. J’avais des journĂ©es “vides” dans le calendrier – mais que je me suis bien entendu pressĂ©e de remplir malgrĂ© ma ferme intention de les maintenir en mode “repos”. Jeudi par exemple, journĂ©e “repos” après ma sĂ©ance d’entrainement cognitif de la veille (je confirme, l’entrainement cognitif ça me met HS pour 24-48h). J’ai Ă©crit un article, reçu une livraison de puzzles qui m’a lancĂ©e dans une analyse des diffĂ©rentes versions des puzzles Heye des oeuvres de Rosina Wachtmeister, rĂ©flĂ©chi Ă  un escalier plus adaptĂ© pour qu’Oscar puisse monter et descendre du canapĂ© du balcon en sĂ©curitĂ©, après l’avoir vu “ripper” Ă  la descente sur les marches de l’escalier zooplus en place, nettoyĂ© une plante envahie de bestioles que j’avais mise en quarantaine la veille dans la baignoire (les deux autres attendent toujours), dĂ©pendu la lessive, fait un saut chez le vĂ©to pour chercher du matĂ©riel pour perf sous-cutanĂ©e pour Oscar, importĂ© les photos de mes dernières sorties dans Lightroom, appelĂ© une copine (long tĂ©lĂ©phone), reçu la visite (courte) d’une autre, supervisĂ© Oscar et Juju ensemble Ă  l’eclau durant un petit moment. J’avais prĂ©vu de faire des courses Ă  la Migros, et j’ai sagement renoncĂ©.

Vendredi

Ça vous fatigue? Moi aussi. Et honnĂŞtement, c’Ă©tait une journĂ©e plutĂ´t light. La preuve, le lendemain je me suis rĂ©veillĂ©e sans mal de tĂŞte. Le lendemain, donc, vendredi, avant-hier, j’ai pris le train pour aller Ă  Berne et manger avec une collègue – rendez-vous prĂ©vu de longue date et que j’ai choisi de maintenir, avec raison, c’Ă©tait vraiment très chouette. Avant de partir j’ai changĂ© le capteur d’Oscar et eu la prĂ©sence d’esprit de faire ma vaisselle du matin. Dans le train Ă  l’aller, j’ai fait un premier jet d’un document que je dois pondre. A mon retour, j’ai rĂ©ussi Ă  bouquiner dans le train – j’avais un lĂ©ger mal de tĂŞte arrivĂ© en fin de repas de midi, comme quoi dĂ©jĂ  1h et quelque de discussion intense et sympathique ça fait dĂ©jĂ  surchauffer mes neurones.

De retour Ă  la maison j’ai rĂ©ussi Ă  me poser. J’ai mis le ventilateur sur le balcon, bouquinĂ© un peu, et fait une sieste. Puis j’ai rĂ©alisĂ© que j’avais de quoi “bricoler” un meilleur escalier pour Oscar Ă  la cave, et je suis descendue chercher le matĂ©riel pour l’installer. J’ai mangĂ© un truc en vitesse, et je suis partie Ă  mon stage de judo, malgrĂ© la fatigue. Parce que ça faisait plusieurs semaines que je me rĂ©jouissais d’aller Ă  ce stage. Pas pour pratiquer, mais pour assister mon prof et enseigner un peu, ce que j’aime bien faire. Et du coup je me sens un peu utile, aussi. Je suis rentrĂ©e du stage bien fatiguĂ©e. J’ai aussi vu combien c’est limitant de ne pas pouvoir dĂ©montrer beaucoup de ce qu’on explique – que ce soit Ă  cause de mon Ă©paule ou ma tĂŞte (pas de chocs!) J’ai quand mĂŞme montrĂ© un peu, ce qui me semblait faisable, et Ă©videmment, il y a 2-3 trucs que je n’aurais pas dĂ» faire. Je suis rentrĂ©e, j’ai mangĂ©, je me suis couchĂ©e trop tard parce que je suis restĂ©e coincĂ©e sur facebook (rĂ©current ces temps, oui oui “je sais” qu’il faut pas, merci de l’info). J’ai quand mĂŞme eu un nombre d’heures de sommeil correctes.

Samedi

RĂ©veil hier avec un petit mal de tĂŞte. Surprise? non. EmbĂŞtĂ©e? oui. Parce que je sais ce que ça veut dire et je veux pas. Allez, matinĂ©e tranquille. InstallĂ© une camĂ©ra de surveillance sur le balcon pour voir si Oscar gère bien son nouvel escalier. TrainouillĂ© en ligne et avec les chats. Midi. Ouille! Le stage commence Ă  14h, et il faut vraiment que je fasse des courses. Je file Ă  la Migros. Je fais les grosses courses, j’en ai pour une heure, je rentre avec un sacrĂ© mal de caillou (pour moi, hein, mes maux de tĂŞte sont pas “horribles” sur une Ă©chelle absolue). Je sais que je ne devrais pas aller au stage, c’est pas raisonnable, mais j’ai envie. Et hier je me suis proposĂ©e pour gĂ©rer la caisse et les inscriptions, donc je me sens responsable. Pas le temps de ranger les courses, je mets en catastrophe ce qui doit aller au frigo au frigo, je bricole une salade de pâtes que j’avale vite fait, je saute sur mon vĂ©lo et je vais au dojo.

Je suis contente d’ĂŞtre au stage, je travaille avec deux jeunes motivĂ©s et adorables (j’espère qu’ils ne liront jamais ça parce qu’ils vont sĂ»rement trouver extrĂŞmement “cringe”). J’ai quand mĂŞme prĂ©vu un filet de sĂ©curitĂ©: je me suis dit (et j’ai prĂ©venu) que suivant l’Ă©tat je partirai Ă  la pause. Ça ne pose aucun souci, hein, sauf Ă  moi. J’ai toujours mal Ă  la tĂŞte, donc Ă  la pause je prends mon medikinet et un ibuprofen (on sait jamais). Je devrais peut-ĂŞtre rentrer, mais je veux rester pour continuer le travail commencĂ© avec “mes” deux jeunes. Eh oui, voyez, je me sens de nouveau “responsable“. Alors que, c’est juste moi, hein. Je prĂ©cise. Personne ne me fait ça que moi-mĂŞme. Pas le temps de vraiment dĂ©cider, une discussion sympa plus tard autour d’un thĂ© froid, le cours reprend et moi je reprends ma place sur les tapis. Contente d’ĂŞtre lĂ ! Mais c’est pas raisonnable. Il me faudra une bonne quinzaine minutes de tergiversations internes, le constat que ni medikinet ni ibuprofen ne font quoi que ce soit Ă  mon mal de tĂŞte, quelques brefs Ă©changes avec une copine pour lui confier la caisse si je ne viens pas demain et les jeunes pour la suite du cours, et quelques larmes difficilement retenues pour me dĂ©cider Ă  faire ce que je sais très bien que j’aurais dĂ©jĂ  dĂ» faire: rentrer.

Qu’est-ce que ça me coĂ»te, ce genre de chose.

Je pleure un coup en me changeant, je rentre, j’essaie très fort de voir ça comme une victoire (car je sais que c’en est une) et non un Ă©chec (c’est ainsi que je le ressens au fond de moi). Je me pose sur le balcon, je reste tranquille, je me fĂ©licite d’avoir levĂ© le pied. Je passe du temps Ă  gratouiller Juju, je traine sur le balcon avec Oscar et en profite pour lui faire sa perf, je me mets en mode “off”. Je suis trop raide pour faire la vaisselle, trop raide pour ranger les courses. Je me dis que je vais tester une recette de blancs de poulet farcis que m’a donnĂ©e une copine, pour le souper. Mais en fait non, je suis trop raide, et la cuisine est en chaos. Allez, repas facile. Le soir, pour la première fois depuis plusieurs jours, j’arrive Ă  me mettre au lit et Ă  lâcher mon tĂ©l assez tĂ´t pour pouvoir lire plus que deux paragraphes avant de m’effondrer.

Dimanche

Ce matin, je me rĂ©veille Ă  nouveau avec mal Ă  la tĂŞte. J’ai “bien” dormi. Je vais y aller mollo. Objectif: la vaisselle et les courses Ă  ranger, parce que lĂ  ça commence vraiment Ă  me tomber sur le moral. Mais je suis HS, dĂ©jĂ . Je descends, je fais un peu de puzzle. Je suis lancĂ©e, et je sens que mĂŞme ça, ça me demande un petit effort. Un puzzle, normalement, c’est le truc qui me repose le cerveau. Ça se fait tout seul. LĂ , je sens que c’est moins fluide. Je ne me force pas, hein. Mais je sens ce signal de fatigue. Donc la vaisselle attendra. Les courses aussi. Et vers 13h, quand je lâche le puzzle et que je remonte pour me faire Ă  manger, je rĂ©alise que les poitrines de poulet farcies attendront aussi.

Il est 15h30, et je ne suis pas au stage de judo, alors qu’aujourd’hui c’est le sol, ma discipline favorite. Et j’ai un mal fou Ă  ne pas ressentir ça comme un Ă©chec.

Comment faire mieux?

Leçons de vie de judoka

Le judo, ça fait 30 ans que j’en fais. Et indĂ©pendamment des techniques, de la condition physique, et de ce qui va avec, le judo a ancrĂ© en moi une certaine vision du monde, une certaine attitude face au monde. Par exemple:

  • essayer quelque chose, observer le rĂ©sultat, essayer de nouveau, observer le rĂ©sultat, ajuster notre quelque chose et ressayer, observer le rĂ©sultat…
  • tomber huit fois, se relever neuf fois
  • quand on croit qu’on peut plus, on peut encore.

Tiens, c’est marrant, j’avais fait un exercice un peu similaire sur les leçons du judo pour la vie il y a 10 ans.

Le premier point, j’en ai pris conscience rĂ©cemment, c’est une vision profondĂ©ment interactionnelle des rapports entre les gens. Au cours de ma formation en systĂ©mique, je me suis souvent demandĂ©e pourquoi cette façon de voir les choses m’est si naturelle alors que pour beaucoup de gens, elle ne va pas de soi. Que ce soit clair, ce n’est pas la seule raison (je pourrais faire un article Ă  ce sujet, tiens), mais le fait de pratiquer depuis aussi longtemps une discipline oĂą on ressent directement dans son corps que action => rĂ©action, ça fait quelque chose.

Le deuxième, c’est la tĂ©nacitĂ©. On essaie encore. Une dĂ©faite ou un Ă©chec, ce n’est jamais final. On se relève et on repart au combat. Une chute, ce n’est pas la fin du monde.

Le troisième, il rejoint un peu le deuxième, mais pas que. Il nous dit que nos limites ne sont pas ce qu’on croit. Quand on est immobilisĂ© au milieu d’un combat, en compĂ©tition, et qu’on n’a plus de jus, qu’on n’en peut plus, qu’on est cuit, qu’on commence Ă  accepter que c’est fini, qu’on a perdu… on dĂ©couvre parfois qu’on peut encore. Je me souviens très bien de ce moment. J’ai entendu mon prof, qui me coachait du bord du tapis, me dire “allez sors! ne perds pas maintenant!” – je n’y croyais pas, j’ai donnĂ© tout ce que j’avais et mĂŞme ce que je ne savais pas que j’avais, et je suis sortie de l’immobilisation oĂą l’autre me tenait. Ça ne vous surprendra pas, je pense, d’entendre que c’est une de mes forces en combat, de dĂ©passer mes limites.

Mais ça, ça va un moment.

Ça va quand on est jeune. Ça va quand on est en forme. Ça va quand il s’agit d’effort physique et de force, de rĂ©sistance et d’endurance. Ça va quand c’est ponctuel.

Avec les dĂ©cennies, j’ai dĂ» apprendre Ă  les Ă©couter, mes limites, plutĂ´t que les dĂ©passer. Pour Ă©viter de me blesser. Le corps, c’est facile. J’ai appris aussi que ce n’est pas parce que je peux porter de lourdes charges que c’est une bonne idĂ©e de le faire. Après, j’ai mal au dos. Ce n’est pas parce que je peux chuter des dizaines de fois que c’est une bonne idĂ©e de le faire.

Cette leçon inverse est beaucoup plus difficile pour moi Ă  intĂ©grer pour ce qui est de l’effort cognitif ou de la fatigue mentale. Pas de surprise, hein.

Donc, comment faire mieux?

Je sais, ça devient long. Merci si vous ĂŞtes encore lĂ  Ă  lire. Moi, en tous cas, je suis encore lĂ  Ă  Ă©crire. Et je me demande comment faire mieux avec mes journĂ©es, mes tâches et mon Ă©nergie. Et mĂŞme si en ce moment j’ai un coup de mou, je vais me relever, et essayer encore une fois de passer cette satanĂ©e technique qui me rĂ©siste. Sans me blesser.

Je pense qu’il y a deux clĂ©s:

  1. la priorisation
  2. la flexibilité

Le premier point a toujours Ă©tĂ© une grande difficultĂ© pour moi (merci TDAH). Quant au deuxième, je crois que j’ai rĂ©cemment fait de gros progrès: je me dis “tout est annulable, si je ne suis pas en Ă©tat”. Je prĂ©viens les gens avec qui je conviens de projets et de rendez-vous. Une copine m’a donnĂ© un bon truc pour les “tâches Ă  faire”: ne pas juste prĂ©voir une plage, mais prĂ©voir une fenĂŞtre de temps (entre mardi et jeudi par exemple) avec une plage plan A, une plage plan B, plan C. L’idĂ©e Ă©tant que cela Ă´te la pression de “faire quand mĂŞme” si je n’ai pas l’Ă©nergie quand arrive la plage choisie, vu qu’il y a un plan B et un plan C derrière pour me rattraper.

Pour les prioritĂ©s, je vois les choses comme ça, actuellement. La base, c’est la gestion de mon mĂ©nage, de ma santĂ©, de mon administratif. L’administratif, c’est pour ne pas avoir de problèmes de sous (ou pire). La santĂ©, c’est pour se remettre sur pied et ne pas tomber malade (sans blague). Et le mĂ©nage, c’est parce que l’Ă©tat de mon environnement a un très gros impact sur mon moral. Surtout dans cette pĂ©riode oĂą par la force des choses je passe beaucoup de temps Ă  la maison, m’installer jour après jour sur un balcon en dĂ©sordre, ça finit par me miner.

Santé

La santĂ©, ce sont surtout des rendez-vous. Ils sont lĂ . Je pense que je ne les rĂ©partis pas bien sur la semaine, parce que je me retrouve avec des jours Ă  4 rendez-vous, et ça c’est trop. Mais ça, c’est aussi parce que je ne veux pas “bloquer” toutes mes journĂ©es avec des rendez-vous. J’espère encore pouvoir me dire “oh, je vais faire une randonnĂ©e”, ou bien sortir le bateau, ou bien pourquoi pas, avoir une journĂ©e toute libre pour trier des affaires. Donc, la rĂ©partition optimale des rendez-vous mĂ©dicaux (rappel: 5 rĂ©currents, souvent 6 ou 7) c’est encore Ă  travailler. Et peut-ĂŞtre, parmi ces rendez-vous, il y a des choses Ă  reprioriser. Je vais y rĂ©flĂ©chir…

La santĂ©, c’est aussi “bien dormir, bien manger, bien s’entrainer”, comme disait mon prof de judo. Dormir, ça va, une fois que je suis dans mon lit avec mon bouquin. Le problème c’est d’y arriver. Premièrement dans le lit, deuxièmement avec le bouquin. LĂ , clairement, il y a une marge d’amĂ©lioration. J’ai besoin de trouver une stratĂ©gie qui fonctionne pour moi par rapport Ă  ça. RĂ©flexion en cours. Manger, ça va, mĂŞme s’il y a des jours un peu bof, globalement je mange Ă©quilibrĂ© (et je mange tout court, ça c’est sĂ»r, je ne suis pas du genre Ă  ĂŞtre capable de sauter un repas, j’ai trop la dalle). S’entraĂ®ner, faire de l’exercice physique, donc, c’est moins simple, parce que mon Ă©paule est encore convalescente, mon cerveau doit Ă©viter les chocs, et ma fatigabilitĂ© est grande. Donc, me pointer au cours de judo pour bouger un peu, comme je l’ai fait ces derniers temps, c’est bien. La physio, c’est bien. Me dĂ©placer Ă  vĂ©lo, mĂŞme si c’est un peu court, c’est bien aussi. Ce qui manque lĂ -dedans c’est peut-ĂŞtre sortir marcher – sauf si ça se confirme que l’impact rĂ©pĂ©tĂ© de la marche ne fait pas de bien Ă  ma tĂŞte. Malheureusement je n’aime pas nager (au-delĂ  de barboter) et je n’ai plus de vĂ©lo d’appartement (c’est quand mĂŞme vachement bien pour transpirer sans impact). Roller peut-ĂŞtre?

Admin

Ah, l’administratif. Il y a des choses que je fais Ă  mesure: payer les factures quand elles arrivent (merci l’app Postfinance et les QR-codes), et souvent, envoyer les demandes de remboursement (frais mĂ©dicaux des chats, par exemple). Mais pas toujours et pas tout. Et il y a de l’admin “non trivial”, qui traine et s’accumule, auquel on repense toujours au mauvais moment et avec une culpabilitĂ© croissante. Moi en tous cas. En 2019, quand je rĂ©cupĂ©rais de mon burnout, j’avais fait quelque chose qui marchait assez bien: j’avais prĂ©vu une plage hebdomadaire pour ça. Si je reprendre cette idĂ©e aujourd’hui, ce n’est pas juste une plage que je devrais prĂ©voir, mais aussi la plage plan B ou plan C. Peut-ĂŞtre que plan B suffit, parce qu’au train oĂą ça va, si je saute une semaine d’admin de temps en temps ce sera pas pire que maintenant. Donc voilĂ  l’idĂ©e: deux plages de deux heures dans la semaine pour faire mon admin. Et si je le fais lors de la première, la deuxième se libère. Reste Ă  voir quand, et si j’arrive Ă  mettre une plage stable avec la valse des rendez-vous.

Ménage

Nous y sommes. Dans ma vie idĂ©ale, mon mĂ©nage est fait Ă  mesure et mon appart est sous contrĂ´le. Je ne me suis jamais mise une pression de dingue pour ça, parce que vraiment, les tâches mĂ©nagères c’est pas ce que je prĂ©fère. Mais le rĂ©sultat c’est que je vis souvent dans un appart qui me “stresse” car partout autour de moi il y a les rappels visibles des choses Ă  faire. Les plantes Ă  rempoter, le rideau de balcon Ă  trouver, le coin vide-sacs Ă  ranger, etc.

Quand on fait ce qu’on peut faire Ă  mesure, tout va mieux. La vaisselle, la lessive… un brin de mĂ©nage. Ça fonctionnait plutĂ´t bien avant mon accident. J’avais mĂŞme radicalement changĂ© ma façon de voir le mĂ©nage et rĂ©ussi Ă  lancer une grande opĂ©ration “rangements de fond, rĂ©amĂ©nagement et dĂ©co“. Mais maintenant c’est le dĂ©bandade. Je pense que je sais pourquoi: je n’ai plus la structure que donnent les horaires de travail Ă  la vie, tout flotte un peu, et en plus, je fonctionne globalement moins bien et suis plus fatiguĂ©e. Il est certainement temps, pour ce type de chose en tous cas, de reprendre la pratique de planifier le dĂ©roulement de mes journĂ©es. Ça ne veut pas dire les remplir, car on peut planifier du vide ou du libre. Mais je pense qu’en l’Ă©tat, les choses comme la vaisselle et le mĂ©nage, c’est peut-ĂŞtre pas inutile que je me rappelle que ce n’est pas trivial pour moi, et que ça prend du temps, et de l’Ă©nergie. Et peut-ĂŞtre que je peux faire ça en appliquant aussi la mĂ©thode “plan A, plan B”. Je prĂ©vois 15 minutes après le repas pour faire la vaisselle. Et je prĂ©vois aussi 15 minutes avant le repas d’après pour si je ne l’ai pas faite. Ou alors, une plage large d’une heure de rattrapage vaisselle tous les deux jours? Idem avec la lessive. Je sais quand est mon jour de lessive, mais je retombe dans ma pratique ancienne d’improviser cette tâche (cette collection de tâches, en fait, depuis mettre en route la première machine jusqu’Ă  ranger les habits dans l’armoire le lendemain). Et le mĂ©nage proprement dit, idem. Quand je travaillais, j’avais des samedis bloquĂ©s pour ça.

Le thème qui semble se dĂ©gager de tout ça, Ă  ce stade, c’est structure.

Et le reste, alors?

Le reste, ça vient après. Ecrire, trier les cartons, voir les copines, rempoter les plantes, optimiser ma maison connectĂ©e, jouer avec ChatGPT pour classer mes clips vidĂ©os des aventures de Juju Ă  l’eclau, sortir faire du bateau… tout ça vient après la base, et en fonction de l’Ă©nergie qui me restera. Qui ne sera pas assez d’Ă©nergie, je le sais dĂ©jĂ . Et peut-ĂŞtre que parmi le reste, il faudra prioriser. Combien de rencontres avec interaction sociale intense est-ce que je m’autorise dans la semaine? Est-ce que je range ou bien j’Ă©cris? Je sors faire du bateau ou bien je trie mes habits? J’amène la voiture au garage pour changer les pneus ou bien je vais chez IKEA? Tout ceci en tenant compte de la nĂ©cessitĂ© des plages de repos et de la flexibilitĂ© “plage plan A, plage plan B, plan C”.

Franchement la perspective de tout ça me tord le bide. Mais j’ai bien compris: plus je fais d’excès maintenant (les “excès” qui me laissent Ă  plat et avec mal au crâne), plus cette pĂ©riode oĂą je suis limitĂ©e va se prolonger. Et je sais dĂ©jĂ  qu’une fois dans la semaine, j’ai une sĂ©ance d’entrainement cognitif qui me pousse Ă  mes limites (c’est voulu).

Bon honnĂŞtement, je ne sais pas si qui que ce soit va lire ça en entier (ni mĂŞme si moi je me lirais), mais rĂ©flĂ©chir Ă  haute voix par Ă©crit m’a beaucoup aidĂ©e, encore une fois.

Je vais manger un snack et sortir mon calendrier pour voir ce que j’arrive Ă  commencer Ă  mettre en place de tout ça!

Le piège [en]

Je me sens relativement normale. Mes blessures physiques guĂ©rissent, ma tĂŞte semble fonctionner. Je veux dire par lĂ  qu’au quotidien, visiblement, ça va. Je peux lire, je peux Ă©crire, je peux causer avec les copines, m’occuper de mes chats. Tant que je suis en mode “take it easy” ou “vacances Ă  la maison”, je pourrais presque en venir Ă  douter.

Les doutes s’envolent dès que je suis un peu plus active. Une journĂ©e avec un peu trop de rendez-vous (mĂ©dicaux souvent). Un week-end oĂą je veux aller voir deux spectacles. Une discussion un peu intense de plus. Une randonnĂ©e facile de 3 heures.

Enfin je dis qu’ils s’envolent, ça donne l’impression dit comme ça que c’est indubitable, mais c’est un peu forcer le train, quand mĂŞme. Ils se dissipent, peut-ĂŞtre. Faiblissent.

Quand je fais trop, j’ai mal Ă  la tĂŞte. Mais pas tout de suite. Le soir ou le lendemain. Et parfois encore le jour d’après. Je suis fatiguĂ©e, bien plus fatiguĂ©e que je ne le devrais. Mais c’est pas un mal de tĂŞte Ă  percer le crâne, c’est pas non plus une fatigue Ă  s’endormir sur place. Parce que j’apprends Ă  ĂŞtre prudente, Ă  Ă©couter mes limites (leur apprendre Ă  parler?), et surtout Ă  rĂ©agir Ă  ces signaux d’alerte et lever le pied.

Si je ne le faisais pas (et lors de la poignĂ©e d’occasions oĂą je ne l’ai pas fait, pour diverses raisons) les maux de tĂŞte sont plus insistants, la fatigue plus assommante. Et d’après ce que j’ai compris, c’est ça le mĂ©canisme avec un syndrome post-commotionnel: le risque, si on ne prend pas le temps de la convalescence, c’est que tout ça devienne chronique et s’intensifie, jusqu’Ă  ce qu’on casse ou s’effondre.

Donc c’est ça qui est difficile, surtout pour quelqu’un comme moi qui a toujours tendance Ă  douter d’elle quand elle est “mal” (au sens large). “Est-ce que j’exagère? Est-ce que je simule, mĂŞme? Est-ce que je me raconte que je vais plus mal que je ne vais vraiment?” Ce sont les refrains constants dans ma tĂŞte. Ces deux dernières annĂ©es j’ai appris Ă  leur donner moins de place, mais ils sont toujours lĂ . Ce qui est difficile, donc? C’est que le “traitement”, durant cette longue convalescence, consiste Ă  se rĂ©guler autant que possible de sorte Ă  ne pas avoir de symptĂ´mes. Ne pas avoir mal Ă  la tĂŞte (Ă  la base, je ne suis pas quelqu’un qui a beaucoup de maux de tĂŞte, mĂŞme si ça m’arrivait). Ne pas ĂŞtre Ă©puisĂ©e.

Et donc quand on fait “juste”, on finit par se dire: mais… est-ce que je suis vraiment “malade/blessĂ©e”? Pourquoi je suis en arrĂŞt de travail, au juste? Ça va pas mal, en fait! Et ça c’est la porte par laquelle vient s’engouffrer le doute et sa meilleure copine, la culpabilitĂ©. Un peu de honte aussi, peut-ĂŞtre, c’est Ă  voir. Un syndrome de l’imposteur du patient convalescent. La peur d’ĂŞtre dĂ©couverte (alors qu’il n’y a rien Ă  dĂ©couvrir), ou simplement pas crue, pas prise au sĂ©rieux.

Les maux invisibles sont vraiment les parents pauvres des soucis de santĂ©. Si on boite visiblement après avoir marchĂ© une heure, personne ne va venir dire qu’il n’y a pas de problème. Si on a le cerveau qui commence Ă  patiner après une heure de concentration, c’est la plupart du temps 100% intĂ©rieur. Peut-ĂŞtre mĂŞme qu’on arrive, vu de l’extĂ©rieur, Ă  penser et fonctionner sans boiterie visible. Mais elle est lĂ . On peut pĂ©daler Ă  50 tours/minute sur un vĂ©lo alors qu’on serait capable de 80, ou alors que 50 est notre maximum. De l’extĂ©rieur, on ne verra toujours que ces 50 tours/minute, donc “tout va bien”.

Donc le piège il est lĂ , pour moi en tous cas. Je ne travaille pas. Il fait beau. Je dois “vivre en mode vacances”, en quelque sorte. Bon, avec pas mal de rendez-vous mĂ©dicaux qui remplissent mon agenda, il faut dire. Je dois me mĂ©nager et y aller mollo pour Ă©viter de me rĂ©veiller, comme c’est le cas aujourd’hui, avec un mal de tĂŞte qui ne va pas me quitter de la journĂ©e. Le mot d’ordre est quand mĂŞme de rester active, hein, pas de larver devant Netflix toute la journĂ©e. Donc je me dis “bah OK, alors c’est l’occasion de m’occuper un peu de mes affaires domestiques, d’avoir quelques activitĂ©s de loisirs, de voir des gens”.

Ça ressemble en surface furieusement Ă  des vacances Ă  la maison. Mais ça n’en est pas, parce que je ne peux pas faire les choses que je ferais si j’Ă©tais en vacances Ă  la maison. Je le sais parce que l’automne dernier j’ai pris deux semaines de vacances Ă  la maison pour “rĂ©amĂ©nager” mon appart. Et sans pour autant me tuer Ă  la tâche, j’ai abattu une tonne de travail. J’ai fait des choses tous les jours, du matin au soir. Si j’Ă©tais en Ă©tat de faire tout ce que je ferais si j’Ă©tais en vacances Ă  la maison, je serais en train de reprendre le travail, en fait. C’est Ă©vident, mais c’est compliquĂ© de rĂ©concilier cette apparence “vacancière” (j’ai mĂŞme pas le moral dans les chaussettes, la plupart du temps) qui fait naĂ®tre en moi plein d’envies de “faire”, de projets, d’idĂ©es, avec la rĂ©alitĂ© du cerveau blessĂ© et de ma convalescence, dĂ©jĂ  longue mais qui va certainement l’ĂŞtre encore (j’essaie de m’y faire), qui m’interdit leur rĂ©alisation.

Et comme cet Ă©tat ne m’est pas familier, qu’il n’y a pas de manuel (chacun est diffĂ©rent donc c’est Ă  moi de l’Ă©crire), ça me rend d’autant plus difficile quelque chose qui m’Ă©tait dĂ©jĂ  très difficile avant mon accident: ramener Ă  la rĂ©alitĂ© mes projets et mes envies. OK, j’ai envie de faire tout ça, mais qu’est-ce que je peux vraiment faire dans un temps imparti? Je me frustre dĂ©jĂ  Ă©normĂ©ment parce que mon cerveau est prĂ©cieux et que je comprends bien l’importance du repos pour sa rĂ©cupĂ©ration, et ça reste rĂ©gulièrement insuffisant. Je peux plus ou moins faire “de tout”, mais pas trop. C’est pas comme une jambe dans le plâtre oĂą c’est très clair que la randonnĂ©e ce sera pour plus tard.

Bref. C’est dur d’ĂŞtre libre de son temps et de ne pas se laisser avoir par ce goĂ»t de vacances qui pointe le bout de son nez. Parce qu’il est agrĂ©able, ce goĂ»t, et juste lĂ , j’en ai besoin, des choses agrĂ©ables, pour me distraire de la peur qui trĂ©pigne dans les coulisses.

Shit Happens [en]

It would be nice to have somebody to blame. Or something. Somebody to be angry against, to be the bad guy in my story – even if it had to be me. It’s so much easier to accept bad stuff when there is a reason, an explanation. Somebody made a mistake. Somebody was a bad person. Even, maybe, God’s will. Or, I took a risk and sometimes, when you take a risk, you get hurt. Or I was careless. I should have known better.

I’ve had accidents before in my life. Many. Some trivial, some less so. A driving teacher who didn’t see me and cut me off on my moped – I crashed into the side of her car. A car that stopped in front of me in the slowly moving line right at the moment when I was distracted. A ski jump that I took despite parental interdiction, and without necessary precautions. A lady who rammed my car from the side at a roundabout – she was just coming home from visiting her husband in the hospital. Even somebody who landed on my head at judo – just bad luck of the two of us falling on the same little mat at the same exact time.

I’m generally pretty relaxed about the fact that shit happens. We all make mistakes. We all misjudge at some point or another. Reading an essay on “Moral Luck” by Thomas Nagel when I was a young adult made a lasting impact on me. Consequences are not always in proportion with the mistake or “crime” one makes. I don’t feel the need to bash on people who make them. I make plenty myself. I also don’t believe there are inherently “bad people”. Troubled and dysfunctional people, yes. But not – or very rarely – to the point that they are “essentially bad”.

But yeah, right now I wish I had somebody or something to be angry at, even myself. We’re closing in on three months and I can see I am still far from being in good enough working order to have a life similar to the one I had before. Of course that’s not 100% the goal, because I know – knew before, actually – that I have to slow down. But to have the capacity, the ability, the choice. Really not there yet. I’m not even sure the neurologist will send me back to work on a “therapeutic” programme next month. We’ll see that next week.

This is the tough period: time has gone by, the choc of the accident is behind, normalcy has crept up on everybody, and as it is in this type of situation, lives go on and the immediate support that rallies around one in times of crisis gently fades away. On the surface I’m back to functioning, so much so that I sometimes have to remind/convince people that I’m actually not capable of working yet. And not capable of a bunch of other stuff, but that’s stuff that I see, not outside people.

This is quite clearly the worst accident I’ve had. And ironically, it’s (amongst my significant accidents) the one where the absence of a candidate to the role of the guilty party is the most glaring.

I was skiing, in my comfort zone, without taking any out-of-the-ordinary risks. You’ll tell me, skiing is risky, especially when you ski fast. I hear you. So is driving on the motorway (you know those stats we’re all immune to, how many people die on the road each year), and doing a whole bunch of other things. So of course, if you stay at home and do less things you run less risk of having an accident. But you’re running other health risks, right.

I was just skiing, doing something I’ve done hundreds of times, and I fell. Nobody else was involved. I didn’t do anything crazy. The most probable explanation is that I wasn’t able to absorb a pile of snow my right ski ran over. Why not? No idea, because this kind of thing happens regularly – a bump or pile of snow – and absorbing them is what legs and knees and a good sense of balance are for. But in this case, I lost my balance, right when I was gathering speed for the end of the run, and I fell. Initially, I told myself that maybe my ski had come off before I fell, maybe it hadn’t been set “heavy enough” (the setting is by weight, and when you ski well and fast you want to be sure your ski doesn’t come off “by accident”, and when you’re a beginner you’d rather it detached easier). But honestly, I don’t think so. I haven’t even checked – I could, my skis are in the cellar.

So there we are. A bad accident, with no real satisfying explanation. No bad or silly person, nobody to blame. I don’t even have God handy for that, personally. Just an ordinary day on the slopes, and there we go. It rattles me. It rattles me all the more because serious as the consequences are right now, I’m quite aware that I was actually lucky. I was lucky with my shoulder and thumb. And I was lucky with my brain.

It scares me to be reminded, very concretely, of something that I know and troubles me deeply: people don’t always die for a good reason. Or even a reason.

Sometimes shit just happens.