Comprendre mon cerveau: un pas de plus [fr]

[en] One step further in understanding my flaky brain (which is much-less-flaky as of late). Our brain puts ressources where our motivation and intention is. If I'm super involved in an online community, that's where my energy will go, rather than on cooking. When we feel sucked into Facebook or incapable of focusing anymore, well, it's because we like candy.

Vous savez que ça fait un moment que mon cerveau me préoccupe. J’ai passé une année avec assez peu de “temps de repos” pour mon cerveau, et je me demandais si le foisonnement d’activités avec lesquelles je jonglais pouvait expliquer oublis, zappings, et autres difficultés à me concentrer. Etais-je en train de devenir sénile à 40 ans, de perdre la boule? Est-ce que Facebook, Google Hangouts et Ingress m’avaient grillé les neurones?

J’avais gentiment pris les décisions suivantes:

  • j’allais faire un effort conscient pour prendre des temps morts (ne pas être tout le temps en train d’écouter un truc ou de pianoter sur mon téléphone durant mes trajets et activités quotidiennes)
  • idem pour être moins “éparpillée” en travaillant, faire des efforts de concentration et ne pas passer d’un onglet à l’autre toutes les dix secondes, ou ne pas vérifier mon téléphone quand je lis un livre ou regarde un film (plus de “monotâche”)
  • mettre plus de “conscience” dans mes actes: par exemple, allumer une plaque en prenant note que j’allais devoir l’éteindre, ou faire un effort “d’impression mentale” quand je dis que je vais faire quelque chose

Avec les semaines et les mois qui passaient, j’ai senti un retour à la normale. Ouf, je n’étais pas en train de devenir sénile, et mes neurones n’étaient pas irrémédiablement grillés!

Cygne

Ma conclusion à ce stade était que, en effet, “trop” d’activités dans tous les sens avait eu un effet délétère sur ma façon de fonctionner. Mais j’ai aujourd’hui révisé cette conclusion — je ne crois pas qu’elle était tout à fait correcte.

Deux éléments ont fait évoluer ma réflexion:

  1. La lecture d’un article expliquant (neurosciences) que se plaindre à répétition crée des connexions qui facilitent par la suite la “génération” d’idées négatives. C’est très logique, en fait, on met en place par nos actions et mouvements de pensée des connexions neurales qui rendent plus facile la répétition de ces mêmes mouvements.
    Et je connais bien ce phénomène dans sa version positive, que je pratique sous forme de l’exercice des “trois bonnes choses” quotidiennes. On peut entrainer son cerveau à être plus optimiste/positif, comme on peut l’entraîner à être négatif. J’avais d’ailleurs rencontré cette idée pour la première fois il y a plus de 15 ans maintenant, en lisant le livre “L’intelligence émotionnelle” — quand on est dans un certain état émotionnel, on va naturellement chercher autour de soi ce qui le confirme et l’entretient.
  2. A l’occasion d’une journée pédagogique où j’étais invitée à intervenir, j’ai eu la chance de parler un peu avec le pédopsychiatre Philippe Stephan, qui venait de donner une excellente et très instructive conférence sur le cerveau des adolescents, et ce que son développement nous apprenait par rapport à la relation des ados au monde numérique.
    On parlait du “non-danger” des écrans (le problème est l’absence de limites plutôt que l’écran lui-même — un défaut de cadre plus qu’une activité néfaste), et je faisais part tout de même de mes doutes, me basant sur ma propre expérience récente et des articles comme celui-ci, qui semblaient mettre en rapport temps d’écran et troubles d’attention chez les enfants. Je ne sais plus exactement comment il a formulé ça, mais j’ai retenu l’idée suivante: c’est une question d’investissement/de motivation plus que, de nouveau, la nature de l’activité.
    Si je suis très investie dans ma “vie Facebook”, par exemple, ou ma “vie Ingress”, mon cerveau va “délaisser” en quelque sorte les autres pans de ma vie. On met l’énergie là où “c’est important”, du point de vue de notre motivation. Et là où c’est délicat, c’est que Facebook et cie sont faits pour nous plaire et nous stimuler.

Pour moi ça fait complètement sens. Si on passe beaucoup de temps à faire quelque chose, qu’on y est investi émotionnellement, qu’on a envie de le faire, c’est là que va aller notre attention. On peut bien sûr se remettre sur le droit chemin à coup d’astuces comportementaux, ou aussi simplement en mettant de l’énergie à autre chose (ce qui revient probablement au même). Ça explique aussi pourquoi un changement de rythme de vie (vacances, chalet) nous permet souvent de prendre du recul ou de “décrocher”: on se réinvestit dans d’autres choses.

(En relisant ce que j’ai écrit en conclusion, je me demande s’il n’y a pas un petit bout qui m’échappe encore, parce que ça me paraît un peu “plat” comme conclusion en comparaison avec la “grande illumination cérébrale” que j’ai eue pendant la discussion.)

Remettre mon cerveau dans le droit chemin [fr]

[en] About making small changes to get my brain back on track. Less frantic multitasking, more downtime, being aware of what I'm exercising my brain for. It seems to be working, I no longer fear I am suffering from early onset Alzheimer's or some kind of very premature dementia (I'm not kidding, I was really worried about this earlier this year). Most of the links in the article point to English sources.

En fait, bloguer c’est un peu comme faire la vaisselle. Ces jours mon évier est vide et propre quand je vais me coucher, parce que je fais la vaisselle à mesure. Hier soir, j’ai eu un coup de mou, je me suis dit “bah, je laisse” — puis je me suis reprise: si je laisse, demain matin, il va se passer quoi? C’est déjà assez dur comme ça, les matins, sans se retrouver devant la vaisselle de la veille au soir, même s’il n’y en a pas beaucoup. Parce qu’en effet, ce n’était pas grand-chose, ce qu’il y avait à laver.

Alors j’ai pris mon courage à deux mains et fait ma vaisselle.

Dans ma tête, l’évier est plein de vaisselle d’idées. Ça fait près de deux semaines que je n’ai pas blogué, parce que j’ai d’autres trucs à faire, ou que je suis fatiguée, ou pas là. Et quand je pourrais, je regarde la grande pille de vaisselle intellectuelle, et je n’ai pas le courage. Et voilà comment s’enclenche le cercle vicieux. C’en est au point où je ne prends même plus note des choses à mentionner dans mon prochain article, c’est vous dire.

Out of wifiland

Alors on va y aller à rebours. Aujourd’hui, sur Freakonomics Radio, j’écoute deux épisodes sur le sommeil. Il est bien, ce podcast. Récemment, j’ai aussi écouté un épisode fascinant sur l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale (CBT en anglais) pour la réduction des comportements violents/criminels chez les adolescents, et un sur l’augmentation de la prise de risque en fonction des mesures de sécurité en place.

L’épisode sur le sommeil reparle, bien entendu, de la question des écrans avant de se coucher. Je suis coupable, très coupable. D’ailleurs j’ai du mal à me mettre au lit. J’ai lu une série d’articles là autour ces derniers temps, concernant les enfants: ça va des symptômes genre troubles d’attention aux couchers tardifs. Le premier article propose carrément dans certains cas de passer par un “jeûne électronique” de quelques semaines.

Ça m’interpelle, tout ça. Parce que du temps sur mon écran, j’en passe. Et depuis un an ou deux, je constate des choses qui m’inquiètent, au point que j’en ai parlé plusieurs fois au copines, à mon ostéo, et que j’ai été pas loin de carrément prendre rendez-vous avec mon médecin pour faire des tests.

J’ai la mémoire qui flanche. Je zappe des trucs. Je fais des erreurs, aussi. J’oublie des rendez-vous. Je suis distraite. Je suis stressée, même si j’ai du temps pour souffler. Vous voyez le genre. Quand on est du genre flippette comme moi, on se dit, purée, sénilité précoce, signes avant-coureurs d’Alzheimer, ou bien est-ce que l’âge, ça nous fout vraiment en l’air le cerveau aussi tôt? Je ne rigole pas, j’étais vraiment en train de me poser ces questions. Je me suis aussi demandé si c’était Ingress qui me pourrissait les neurones. Mais non, j’avais déjà remarqué des soucis avant que je commence à jouer.

C’est une remarque de mon père qui m’a décidée à prendre le taureau par les cornes. Enfin j’exagère, mais disons, à prendre sérieusement la piste “mes activités quotidiennes”. Je partageais mes inquiétudes avec lui, et en même temps qu’il me rassurait que 40 ans n’était pas l’âge auquel nos facultés intellectuelles plongeaient dans le gouffre, il me faisait tout de même remarquer que j’étais tout le temps en train de faire trente-six mille choses à la fois. D’après lui, pas besoin de chercher plus loin l’explication.

Viennent s’agréger à tout ça quelques épisodes de l’excellent podcast Note to Self, dont je parle déjà dans mon dernier article: tout d’abord, la campagne Bored and Brilliant, qui nous invite à nous reconnecter avec les vertus de l’ennui (je rigole pas, ennui source de créativité par exemple). Une série d’exercices (je n’ai pas tout fait) pour nous inviter à nous déconnecter un bout. Alors, je connais, parce que (mauvais réseau oblige) je suis beaucoup plus déconnectée au chalet, par exemple. Ou quand je suis sur le lac. Pas étonnant que j’en aie envie.

Ensuite, notre “bilinguisme de lecture” — la lecture hypertexte, qu’on pratique en ligne, où on scanne, saute d’un truc à l’autre, etc, et la lecture longue, celle des livres ou des longs articles, celle qu’on a apprise à l’école et durant nos études. Notre cerveau adore la lecture hypertexte et s’y adapte merveilleusement bien, au point qu’on se retrouve effectivement comme drogués au zapping, et à avoir de la difficulté à lire non-stop un roman. L’épisode me  plaît particulièrement car il insiste sur l’utilité de ces deux types de lecture. On doit maîtriser les deux. Une des personnes interviewées dans l’épisode explique qu’elle s’est forcée à réapprendre à lire longuement. Horrible au début, mais c’est revenu, deux semaines d’efforts si ma mémoire est bonne.

Ailleurs, mais alors je ne sais plus où, un autre épisode de podcast où quelqu’un disait qu’on prenait l’habitude de déléguer des tas de choses à nos téléphones et ordis. Une question? Hop, Google. Tous les rendez-vous dans l’agenda. Etc. C’est génial, et ça marche super bien. Tellement bien que notre cerveau, ce miracle de plasticité, s’y adapte magnifiquement, et deviendrait… paresseux. Comme le chat qui va miauler devant le frigo pour qu’on lui remplisse sa gamelle plutôt qu’aller chasser la souris: chemin le plus court et le moins énergétique pour arriver à la nourriture. (J’ai essayé mais je n’arrive plus à retrouver l’épisode, désolée.)

Tout ça fait gentiment rentrer l’idée chez moi que ce à quoi on occupe notre cerveau au quotidien forge ses compétences. C’est évident, me direz-vous. Comme pour le corps: si on court tous les jours, on va bien courir. Si on travaille sa force, on sera fort. Donc si on entraine notre cerveau à être en alerte et à sauter de A à B tout le temps, c’est assez logique qu’il devienne bon à ça, et pas forcément à rester concentré sur un truc. (Purée, écoutez-moi parler, on dirait les alarmistes genre “tout cet internet va nous moisir le cerveau et faire de nous des addicts” d’il y a dix ans.)

Donc, je suis en train de mettre en place des changements.

Moins de multitâches, déjà. Essayer d’être un peu plus monotâche dans ma façon de travailler et quand je suis derrière l’écran. J’ai souvent plusieurs conversations en parallèle, la chose principale que j’essaie de faire, la chose secondaire sur laquelle ça m’a envoyé (etc.), et Facebook/G+ que je “checke” un peu compulsivement. C’est pas joli, je sais. Il ne s’agit toutefois pas de tirer la prise, mais de revenir à quelque chose d’un peu plus raisonnable.

Idem en déplacement. Là, Ingress n’a pas aidé: avant, dans le bus ou quand je marchais, j’écoutais des podcasts ou je lisais. Maintenant, je joue durant mes déplacements, et entre deux portails, je chatte (souvent avec mes camarades de jeu). Et comme je suis “activement” sur le téléphone, je finis dans Facebook ou ailleurs.

Cette histoire de déplacements, c’est important, parce que les déplacements, c’est une sorte de “temps mort” (plus ou moins mort) que j’avais, et que j’ai “perdu”. Durant mon année sans chat, en 2011, je m’étais déjà posé la question des différents types de temps mort donc j’avais besoin. Et là, je réalise que j’en manque. Même sur les pistes de ski, cet hiver, je me retrouvais à chatter sur les télésièges (à ma décharge, une vilaine histoire de harcèlement est venue se coller là-dessus, ce qui n’as pas aidé — mais c’est derrière maintenant).

Alors, pour revenir au podcast sur le sommeil, une des expertes interviewées relève le challenge de ne pas toucher à ses écrans entre 21h et 7h du matin durant une semaine. Et elle rapporte que ça a eu un effet vraiment positif sur son sommeil. Je n’en suis pas là, mais j’ai commencé à mettre mon téléphone en mode avion quand “j’éteins”.

Inspirée par un article de James Clear sur les comportements par défaut qu’on définit à travers la construction de son environnement, j’avais d’ailleurs il y a quelque temps fait l’expérience de mettre mes écrans dans une autre pièce. Effectivement, quand on se réveille à 3h du matin et que le téléphone est allumé à côté du lit, on a toutes les chances de le regarder, mais s’il est éteint et dans une autre pièce… peu de chance.

Il faut que je pense à utiliser mon FitBit comme réveil plutôt que mon téléphone, mais pour le moment je ne peux pas lui “dire” de régler le réveil comme je le fais avec Siri (“réveille-moi à sept heures et demie”).

Un point d’interrogation qui me reste, c’est la lecture sur Kindle. Depuis un nième article lu sur ces histoires de lumière d’écran avant le sommeil (en passant, j’utilise f.lux depuis des années), j’ai commencé à laisser ma lampe de chevet allumée pendant que je lisais, alors qu’avant je lisais dans le noir, rétro-éclairage de la Kindle sur 6 ou 7, juste ce qu’il me fallait pour lire. Est-ce de la lumière blanche d’écran qui perturberait le sommeil? C’est une activité de lecture continue, et pas de “zapping”, mais c’est sur un “écran”.

Donc voilà. Des petits changements, certains aménagements presque cosmétiques, mais comme je le disais à mon ostéo l’autre jour, il me semble que je vois déjà une amélioration, par rapport à il y a quelques mois. Je fais des efforts, aussi: je ne suis pas complaisante avec mon cerveau qui “me lâche”. Quand un truc m’échappe, je me concentre pour le retrouver. Quand je dois me souvenir de quelque chose, je fais un effort pour l’enregistrer. Je tiens compte du fait que mon cerveau est devenu l’équivalent d’un corps sédentaire, et que je dois être à la fois exigeante et compréhensive avec.

Je vous laisse, j’ai un gros livre à lire…