Comment écrit-on? Plagiat, paraphrase et compagnie [fr]

[en] Contact with a few batches to bachelor students these last years has led me to believe that "writing" for many of them means "copy, paste, remix a bit". Cue an article on plagiarism...

Il y a très longtemps, j’écrivais sur du papier. Brouillon, ratures, prévoir du temps pour recopier au propre. Depuis la fin de l’uni, et même avant, ça ne m’arrive plus. J’écris sur clavier. J’ai la grande chance d’être douée d’un excellent premier jet. Souvent, je ne relis même pas avant de publier. C’est “facile” pour moi. Avec les années, j’ai appris que ce n’était pas le cas pour tout le monde.

J'écris mal

Je viens de finir d’écouter un épisode de Note to Self sur le plagiat. On y parle de quelque chose que j’ai constaté ces deux dernières années avec mes étudiants de bachelor: pour beaucoup, écrire signifie copier, coller, et, si on a de la chance, remixer un coup. En saupoudrant de paraphrase.

Pour nous qui avons appris à écrire “avant les ordinateurs”, cela n’avait pas des masses de sens de recopier mot pour mot ce qu’on trouvait dans nos manuels ou encyclopédies. Certes, certains le faisaient certainement, mais comparez l’effort requis à celui de copier-coller puis changer quelques mots.

Dans mes cours de blog, j’ai jusqu’ici laissé pas mal de liberté à mes étudiants concernant leur choix de thématique. Une chose sur laquelle je ne fais aucune concession, toutefois: ils doivent publier du contenu original. Du contenu qu’ils ont écrit eux-mêmes. Je suppose qu’il est clair pour eux que le plagiat est un péché capital, mais dans le doute, on repasse une couche.

Malgré cela, je me retrouve avec chaque classe face à une collection d’articles qui sont au mieux de la paraphrase maladroite. Cela devient un point de contention avec les étudiants. Je me demande s’ils me prennent vraiment pour une idiote, mais avec le recul, je me dis qu’ils n’ont peut-être simplement jamais vraiment appris à écrire, et qu’ils s’en sont tiré “en faisant ça” dans leurs études jusqu’ici.

En particulier, je pense qu’on ne leur a jamais appris comment paraphraser correctement (digérer le texte source, cacher celui-ci, écrire avec ses propres mots, contrôler pour la justesse des idées/faits et l’absence de citation directe involontaire).

Après “un peu” de recherche en ligne (ahem! ça aussi c’est une compétence qui manque souvent!), il me semble que les sources francophones que j’ai trouvées insistent sur “c’est mal, voici ce qu’il ne faut pas faire” mais ne montrent pas avec beaucoup de détail comment faire mieux. En anglais, il y a plagiarism.org, qui semble très bien, un tutoriel de l’Université du Missouri, des indications sur comment éviter le plagiat “copier-coller” grâce aux citations, des exemples de paraphrases acceptables et non acceptables (ici aussi).

On me demande parfois comment je “détecte” le copier-coller sous-jacent. Je n’utilise pas de programme anti-plagiat (probablement pourtant que ça m’épargnerait les nerfs). Mais à force d’années de linguistique, d’analyse de texte, de lecture et d’écriture, je sens immédiatement le changement d’auteur à la lecture. La plupart des étudiants que j’ai croisés dans mes cours n’écrivent pas aussi bien que les textes qu’ils plagient, et ne savent pas ménager une transition. De plus, dans un cours de blog, on travaille un certain style d’écriture qui est rarement celui des sources “d’inspiration”.

Alors c’est clair, on cite avec moins de rigueur académique quand on blogue, mais le principe sous-jacent reste le même: éviter de faire passer les idées ou les mots d’autrui pour les siens. Le moyen le plus simple d’éviter ça? Ecrire des choses qui sont déjà dans sa tête, et qu’on n’a pas besoin d’aller piquer sur des sites existants. Et faire des liens vers nos sources.

Il reste après le problème du plagiat involontaire, mais ça, c’est une autre histoire…

(Zut, je voulais parler aussi de la difficulté constatée chez mes étudiants à simplement “construire” un texte, à argumenter, etc — mais ce sera pour une autre fois, ce billet est déjà assez long!)

Plagiat et piratage: pas la même chose [fr]

[en] Copying files and redistributing them (aka "piracy") has to do with distribution. Plagiarism, on the other hand, has to do with attribution. Two very different things that I'm sick and tired of seeing confused ("hey, you're not against file-sharing, so why do you complain when people lift your blog posts and republish them elsewhere?")

Cela fait bien longtemps que je désire clarifier une confusion que je vois souvent: celle entre “piratage” (entendons: copie de fichiers) et plagiat.

En effet, si je minimise (selon certains) la gravité du problème que représente le piratage, je m’élève absolument et radicalement contre toute forme de plagiat.

C’est parce qu’ils confondent les deux que certains se retrouvent à me dire “oui mais bon, toi qui défends (!) le piratage, tu peux pas te plaindre quand on utilise tes textes sans permission!” Eh ben si, ils ont tort, et je peux.

Explication: le plagiat consiste à faire passer pour sien le travail créatif d’autrui; le “piratage” consiste à distribuer ce travail contre la volonté du détenteur des droits.

Exemple: si je suis une méchante pirate et que je télécharge ou redistribue une chanson de Madonna, il est très clair que Madonna est l’auteur du morceau en question. A aucun moment, dans l’acte du partage de fichier ou du “téléchargement illégal”, je ne prétends que cette oeuvre est la mienne.

Autre exemple: si je trouve un article sympa sur un blog et que je le copie-colle dans le mien sans en indiquer la source ni l’auteur, je suis une vilaine plagiaire (ça vaut pour les étudiants qui font de même dans leurs travaux académiques). Je me fais ainsi tacitement passer pour l’auteur.

Encore un autre exemple: si je prends une chanson de Madonna et que je la distribue sur mon site en tentant de la faire passer pour mon oeuvre, je suis une vilaine plagiaire. (Et aussi un peu bête, parce que vu la popularité de Madonna, il y a peu de chances que mon subtil subterfuge passe inaperçu!)

Ça me paraît assez clair. Pourquoi tant de confusion?

C’est l’introduction de l’article Wikipédia cité plus haut qui m’a mise sur la piste. Il y a deux éléments complexificateurs (joli mot, hein?):

  1. le plagiat ne se limite pas à la copie à l’identique, mais est également invoqué en cas “d’inspiration” un peu trop lourde par une autre oeuvre, si celle-ci n’est pas reconnue
  2. “Le langage courant ne distingue pas en pratique entre le plagiat, qui relève de l’appréciation esthétique ou morale, et la contrefaçon, terme juridique, qui est un délit contre le droit d’auteur.” (Je vous cite ici directement l’article “plagiat” de Wikipédia parce qu’ils le formulent assez bien.)

Comme la désinformation ambiante assimile la copie de fichiers à de la contrefaçon (un autre article à écrire, si ce n’est pas une évidence pour mes lecteurs: la contrefaçon a pour objectif d’enrichir quelqu’un en cours de route), et que la contrefaçon est la forme juridique via laquelle on lutte contre le plagiat, il n’est pas étonnant que ce soit tout embrouillé dans la tête des gens.

Donc non, les pirates (ou copieurs de fichiers) ne sont pas des plagiaires, à moins qu’ils tentent de faire passer pour la leur l’oeuvre d’autrui. Je pense qu’on fait beaucoup de foin pour rien autour du piratage. Oui, clairement, les industries dont le business model repose sur le contrôle de la distribution de biens physiques comme supports d’oeuvres de l’esprit dans une économie de rareté ont besoin de se réinventer, mais au-delà de ça, c’est loin d’être la fin du monde et de la créativité.

Annoncer la paternité d’une oeuvre qu’on distribue, par contre, est quelque chose qui est pour moi d’une importance capitable, et je le défendrai bec et ongles. Certes, il y a le “plagiat inconscient“: on est sans cesse inspiré par ce dans quoi on baigne, au point de s’attribuer en toute bonne conscience ce qui est à autrui — je ne parle pas de ça. La création ex nihilo, je n’y crois clairement pas. Mais je crois qu’on se doit l’honnêteté intellectuelle de donner crédit à nos sources.

C’est pour ça que j’apprécie tant Creative Commons, qui offre des licenses mettant l’accent sur cette question de paternité, tout en levant beaucoup des restrictions sur la distribution qui sont intenables à l’ère du numérique.

1,2,3 Soleils et Kali Nagin Ke Jaisi [fr]

1,2,3 Soleils et Kali Nagin Ke Jaisi ont la même musique. Qui est coupable de pompage?

Chers lecteurs, je me permets de solliciter votre culture pour tenter de répondre à  une question qui me turlupine. J’ai demandé à  mon copain Google, mais il n’a pas été capable de m’aider.

Connaissez-vous la chanson 1,2,3 Soleils, chantée en 1998 par Khaled, Taha et Faudel?

Cet été, j’ai eu la surprise de l’entendre un soir dans un restaurant. Je l’ai reconnue tout de suite, bien sûr, car elle m’avait accompagnée durant tout mon séjour à  Calcutta. Passé l’étonnement d’entendre un tube Bollywood dans un restaurant tunisien, j’ai brutalement réalisé que ce n’était pas tout à  fait la même chanson…

La question est la suivante: qui a pompé qui? Les dates semblent jouer en défaveur des indiens (ce qui n’est pas une grande surprise): 1,2,3 Soleils a été enregistré en 1998, alors que le film Mann date de 1999.

Je semble donc avoir répondu à  ma question. Comme quoi, s’adresser à  son lectorat semble bien la meilleur manière de résoudre ses problèmes! Un doute subsiste, cependant: et si la musique 1,2,3 Soleils et Kali Nagin Ke Jaisi provenait d’une source traditionnelle? (On peut toujours rêver…)

Si vous savez quoi que ce soit concernant cette histoire, ou bien qui a écrit 1,2,3 Soleils… les commentaires sont à  vous!