Devant tant de douleur et de souffrance je ne peux que fuir. Le gouffre m’attire à lui et menace de m’aspirer tout entière, de me digérer dans les sucs de l’horreur dont est faite le monde. Comme un néant sur lequel on ne peut porter le regard au risque de court-circuiter son esprit, ou le soleil qui nous brûle les yeux, le gouffre de la souffrance du monde n’est pas quelque chose que l’on peut regarder trop longtemps sans se retrouver déchiqueté à l’intérieur.
Alors je jette un rapide coup d’oeil puis je pars en courant, pendant que je suis encore à peu près entière, à peu près moi, que je suis encore capable de faire, de fonctionner, et de sentir aussi. La culpabilité me pèse, évidemment. Celle du survivant, de l’épargné, du privilégié qui peut s’accorder le luxe de ne pas se brûler les yeux, ou l’âme, ou le corps.
Mais je lui réponds, le regard droit: qu’apportera ma douleur? Ma vie aura-t-elle plus de valeur, plus de sens, si je la tourmente volontairement par solidarité avec ceux qui n’ont pas ce choix? Ne me crois-tu pas capable d’empathie, de compassion, et même d’action, sans devoir pour cela me plonger encore et encore dans l’insupportable? Rentre à la maison! Moi, je retourne faire ce que je peux pour le monde.
– 31 mars 2022
Also published on Medium.