Faire les choses pour soi [fr]

[en] With less anxiety in my life in general, and at a professional crossroads which asks for work on projects which delay gratification more than I am used to (which is not much), I find myself struggling to make progress. I love doing things for others, but find it hard to put as much energy into things for myself.

Dans cette période “entre-mandats” où je suis en train de réfléchir à réorienter la façon dont je présente mes activités professionnelles (et probablement par la même occasion les recadrer), je me retrouve aux prises avec un des “challenges de ma vie”: avancer, faire, sans que ce soit directement pour quelqu’un d’autre ou un objectif gratifiant immédiat.

Heavy Load

Je m’appelle Stephanie, j’ai 41 ans, et je suis encore accro à la satisfaction immédiate.

Je me suis déjà cassé le nez sur ce problème de fonctionnement à l’époque où j’écrivais mon mémoire (enfin, où je ne l’écrivais pas, surtout). Depuis, j’ai fait beaucoup de chemin, et c’est clair que 10 ans d’indépendance professionnelle m’ont obligés à trouver des stratégies. Mais quand même.

J’écris volontiers sur impulsion (pour ce blog principalement), mais beaucoup plus difficilement sur commande.
Je fais volontiers quelque chose qui a un effet visible rapidement (ce qui fait de moi une “faiseuse” — allez, hop, trêve de blablas, passons à l’action!), mais je traîne les pieds pour les choses importantes et invisibles (bonjour, compta).
J’aime passer du temps “dans le moment”, à parler avec des gens, mais je me décourage vite lorsqu’il s’agit de travail de longue haleine.

Certes, je suis capable de persévérer, ce n’est pas le désastre total, sinon je n’aurais jamais survécu professionnellement ni personnellement. Mais je paie le prix par le stress de dernière minute (faire les choses dans l’urgence — relative) et les opportunités non poursuivies (le fameux livre, ça vous rappelle quelque chose?

Mon moteur principal pour faire les choses est, il me semble, faire plaisir ou rendre service aux autres. J’aime être utile. J’ai dû apprendre à dire “non”, d’abord aux autres, puis à moi-même, et je prends donc mes engagements de façon plus maîtrisée et réaliste, mais mon premier élan est toujours de me porter volontaire, d’aider autrui, de dépanner. Beaucoup de mes rapports aux autres reposent sur ça, d’ailleurs. En gros, pour dire les choses de façon un peu triviale, je veux qu’on m’aime. Et dans mon monde, on est apprécié parce qu’on est utile. (Oui, je sais, je sais…)

Corollaire, l’angoisse-moteur. A la base, je suis suis quelqu’un qui fonctionne à l’angoisse. Quand j’ai le couteau sous la gorge, que le délai me chauffe les talons, que je sais que je vais m’attirer des ennuis si “je le fais pas”, je fais. Vous aurez fait le lien: si je ne rends pas service, on ne va pas m’aimer, donc je veux rendre service. La peur n’apparaît pas en surface dans ce cas de figure (j’ai vraiment envie de rendre service), mais qu’on ne se leurre pas, elle est là, dessous, tapie.

Il y des degrés aussi chez les spécialistes de la dernière minute: je n’ai jamais fait de nuit blanche pour rendre un séminaire d’uni le lendemain à 8h que j’aurais fini de taper à 7h10. Par contre, je me suis retrouvée plus d’une fois à faire mon impression finale à 1h du matin. Idem avec les impôts et la compta: toujours en retard, toujours à la bourre, mais jamais vraiment dans les ennuis. Et pas de nuits blanches non plus. Je tire sur la corde, mais pas jusqu’à ce qu’elle casse.

Alors, aujourd’hui?

Aujourd’hui il se passe deux choses:

  • d’une part, mon moteur “angoisse” est moins actif — je suis simplement moins angoissée dans ma vie (c’est bien!), mais du coup j’ai “perdu” ce bénéfice, cette force (pas très saine) qui me poussait en avant
  • d’autre part, comme déjà évoqué plus haut, je suis à ce carrefour professionnel où je n’ai pas de gros mandats immédiats en cours, et où j’ai justement l’opportunité d’investir du temps pour faire des choses comme présenter mon activité autrement, mettre sur pied des produits, réaliser (enfin) ces fameux cours en ligne auxquels je pense depuis 5 ans, etc.

Par rapport à la perte du “moteur angoisse”: beaucoup de gens fonctionnent avec ce moteur. C’est très courant. Ce n’est pas idéal, mais c’est comme ça. Dans mon cas, ma “désangoisse” est quelque chose auquel j’aspire (et travaille) depuis de longues années. Ça porte ses fruits. Je vis mieux mon quotidien. Je me sens bien, dans l’ensemble. Bref, je ne suis plus si angoissée. Je me sens plus en paix avec ma vie, j’ai moins peur des gens, j’ai des rapports sociaux plus chaleureux au quotidien.

Mais le revers de la médaille, c’est que je n’ai plus “mon moteur”, et que je n’ai pas encore réussi à le remplacer par un autre. Idéalement, on s’investirait au quotidien dans les projets et activités qui ont un sens par rapport à ce qu’on veut faire de notre vie. Que désire-t-on accomplir, faire, ou comment désire-t-on vivre, pour pouvoir, à l’heure de notre dernier souffle, quitter ce monde sans trop de regrets? Quel est le sens de notre vie, quelles sont nos valeurs, quelle est notre mission? Ça peut être faire la fête, hein, ça n’a pas besoin d’être sauver le monde.

C’est là que je bats un peu de l’aile. Je peine à me projeter, je peine à savoir quel est mon sens. Je peine à accrocher ma charrue à mes désirs à long terme, à faire aujourd’hui ce qui m’apportera des fruits dans le futur — la fameuse gratification différée.

Et de retour de quatre semaines de vacances où j’ai pu vivre comme un petit papillon, sans obligations, portée par les envies de l’instant, je suppose que c’est d’autant plus dur.

J’aimerais être capable de mettre autant d’énergie avec aussi peu d’effort dans ce que je fais pour moi que dans ce que je fais pour les autres.

Si vous avez ce profil papillon-procrastinateur et que vous êtes parvenus à le surmonter pour mettre votre énergie dans des projets ou activités à long terme, j’avoue que je suis curieuse d’entendre votre histoire.

Apprendre à se dire non [fr]

[en] Saying no to others (when you don't want to do something) is one thing (it requires dealing with one's fear of displeasing the other), but saying no to yourself is another (which requires learning to deal with frustration). I'm not too bad at the first one, and on the way there with the second.

Dire non, ça se divise pour moi en deux catégories:

  • savoir résister à la pression d’autrui qui désire nous faire accepter quelque chose que l’on n’a pas particulièrement envie de faire (consciemment ou non)
  • savoir résister à ses propres élans de se lancer dans des choses nouvelles, que ce soit en réponse à la demande d’autrui ou par désir d’entreprendre (ses propres projets).

Il y a une limite un peu floue entre les deux (comme quand on veut rendre service — quoique), mais grosso modo, cette distinction permet d’appréhender le problème intelligemment.

En effet, dans le premier cas de figure, ce qui nous retient est la peur de déplaire à l’autre. Dans le deuxième cas, c’est la difficulté à se frustrer.

En ce qui me concerne, je n’ai maintenant plus trop de peine à dire non quand je veux dire non (premier cas de figure). Je crois qu’un pas important sur le chemin a été de refuser de donner une réponse “à chaud”, et de dire quelque chose comme “laissez-moi regarder ça, et je vous donne réponse dans 24h” ou bien “a priori je te dépanne volontiers, mais laisse-moi te dire demain si c’est vraiment possible pour moi ou non”. Vous voyez l’idée.

Par contre, me dire non à moi, c’est beaucoup plus difficile. Je suis d’ailleurs en plein dedans, là. J’ai toujours plein d’idées de choses à faire, la vie est pleine de choses fascinantes à entreprendre, et régulièrement, j’ai les yeux plus gros que le ventre de mon agenda.

Et alors il faut faire le tri. Accepter que je dois renconcer à faire certaines choses que j’aimerais beaucoup faire, pour pouvoir faire celles auxquelles je tiens encore plus. Cela demande d’être au clair de ses priorités. Si on refuse de hiérarchiser, on finit par vouloir le beurre et l’argent du beurre (sans mentionner le désormais incontournable fils de la crémière).

La technologie qui nous pousse à grandir [fr]

[en] I write a weekly column for Les Quotidiennes, which I republish here on CTTS for safekeeping.

Chroniques du monde connecté: cet article a été initialement publié dans Les Quotidiennes (voir l’original).

Depuis bientôt dix ans que je fréquente des blogueurs, j’en vois régulièrement qui succombent à la pression de leur lectorat. C’est ainsi qu’ils le présentent, en tous cas. Ils ne peuvent plus tenir le rythme de publication. Les commentaires de leurs lecteurs les minent. Leur public a des attentes, et ils n’arrivent pas ou plus à y répondre. Ils sont trop sollicités.

Alors ils arrêtent de bloguer, se fendant d’un long (ou très bref) billet explicatif.

Et à chaque fois, je lis, un peu médusée, et je peine à comprendre. Tout l’attrait du blog, pour moi, c’est la liberté qu’il confère à son auteur. Les seules contraintes sont celles que le blogueur s’impose. S’il cesse d’écrire à cause des attentes de son public, n’écrivait-il que pour celui-ci en premier lieu? N’avait-il pas peut-être lui aussi, des attentes peu réalistes (d’une certaine forme de reconnaissance, à tout hasard) pour son lectorat? Le problème est-il vraiment avec ses lecteurs, ou est-il plutôt entre lui et lui?

Ceci n’est qu’une situation parmi d’autres où je vois que les avancées technologiques nous offrent l’occasion de grandir en tant que personne — plutôt que d’en devenir l’esclave (à l’image des blogueurs dont il est question ci-dessus) ou de les rejeter un bloc (mouvement de retour de balancier, parfois).

Le téléphone mobile nous rend joignable en tous temps? On apprend à ne pas y répondre juste parce qu’il sonne. On le met sur silence. On l’éteint. On filtre les appels. On reprend le contrôle.

Le chat nous permettrait de bavarder à longueur de journée? On apprend à se discipliner, à mettre des priorités sur certaines activités (travailler, peut-être?), à dire gentiment mais fermement que l’on n’est pas disponible maintenant. A approcher les autres avec un peu de retenue, aussi.

Les e-mails arrivent dans notre boîte de réception à toute heure du jour et de la nuit? On apprend à filtrer, à ne pas répondre à tout dès que possible, à basculer vers un autre mode de communication lorsque c’est plus adéquat.

Le blog et la publication en ligne ont fait de nous un micro-célébrité? On apprend à voir plus loin que la satisfaction un peu compulsive de l’attention reçue, à reprendre contact avec les motivations profondes et saines qui nous poussent à faire ce que l’on fait, et à mettre des limites aux sollicitations quasi-infinies du monde extérieur.

Un fil rouge, ici: être au clair de ses attentes, connaître ses besoins et ses limites, les faire poliment respecter lorsque c’est nécessaire. Dans le monde ultra-connecté qui devient le nôtre aujourd’hui, les compétences que l’on regroupe souvent sous l’expression un peu réductrice “savoir dire non” sont une question de survie. Et ce n’est pas plus mal.