Réflexions de convalescence solitaire [en]

Notes dictées lors d’une balade le 15.08.2025, laborieusement remises un peu au propre presque trois mois plus tard. Même si la situation a évolué depuis, c’était un moment que je voulais capturer.

Quand on vit seul, on n’a personne pour nous dire : “viens, on va aller se promener”, ou bien “viens, on va au cinéma”, ou bien « ok, maintenant on sort, prépare-toi, on prend la voiture, on va aller au bord du lac, on va rendre visite à tel-et-tel, on va aller à la montagne, on va faire ceci, faire cela ».

On n’a personne d’extérieur qui nous voit au quotidien, qui peut donc nous aider à sortir d’une éventuelle spirale un peu vicieuse, genre on en fait moins, on en fait donc encore moins… Ou bien, on n’a pas le moral, donc on fait moins, ou bien on est fatigué, donc on fait moins. Mais des fois, bouger, ça réénergise. Parfois c’est le contraire qu’il faudrait, comme ça m’est arrivé, quand je suis restée coincée pendant des jours à faire du troubleshooting pour mon réseau Wi-Fi. On n’a pas une personne qui est là pour dire : “ok, maintenant stop, ça suffit, t’as fait assez, lâche ce machin et viens regarder un film avec moi.”

Pour quelqu’un comme moi (allô TDAH) toute la partie fonctionnement exécutif bat un peu de l’aile de base. Le fonctionnement exécutif ça comprend, entre autres, la gestion des activités, du temps, des tâches. C’est donc quelque chose qui est déjà compliqué pour moi, qui me demande de l’énergie, des stratégies de compensation, et qui me fatigue.

Ces problématiques que j’ai déjà sont aggravées par la commotion. La commotion, c’est une blessure au cerveau. Elle ne se voit pas, il n’y a rien au scanner, et les mini-dégâts physiques invisibles sont réparés, depuis le temps. Mais le cerveau, c’est fonctionnel, pas juste structurel. Même si physiquement “il n’y a rien”, le syndrome post-commotionnel signifie que j’ai plus de difficultés d’attention, de concentration, d’endurance, de fatigabilité.

Donc vous voyez le problème. Je dois gérer la bonne quantité d’activités, mais c’est déjà quelque chose qui est compliqué en temps normal, et là je n’ai même plus les ressources habituelles dont j’ai besoin pour faire ça. Du coup, ça me fatigue encore plus.

Cela veut dire que je vais peut-être avoir un moins bon programme de récupération, je vais moins bien réussir à équilibrer mes activités, me reposer quand j’ai besoin de me reposer, être active quand j’ai besoin d’être active — parce que le travail qu’il faut faire, justement, pour gérer ça, c’est une des choses que j’arrive moins bien à faire. Et qui me fatigue. C’est le serpent qui se mord la queue.

Quand on vit seul, on est donc seul à se dépatouiller avec ça. J’ai des amies, mais elles ne vivent pas avec moi, donc elles ne me voient pas au quotidien. Elles ne sont pas là pour me dire “stop” ou “allez, viens”.

Vivre seul, ça vient en fait avec un gros risque de perte de chance face à des atteintes dans notre santé qui impactent justement notre capacité à nous gérer. Même quand on est entouré — et je le suis, j’ai des amis, j’ai plein de gens qui ont répondu présent pour venir m’aider après l’accident, etc. Mais c’est quand même largement moi qui dois mobiliser ces ressources, et j’ai la chance d’avoir la capacité de le faire (mais pas toujours).

J’apprécie d’ailleurs infiniment les quelques amis qui me proposent des choses, qui me disent : “voilà, je viens, je pourrais venir tel jour pour souper avec toi, je pourrais venir à tel moment…” Des fois ça ne va pas toujours, des fois je dis non, mais ils·elles continuent.

Et ça, en fait, surtout maintenant, alors qu’on approche des 5 mois post-accident, c’est précieux, parce que ce n’est pas facile non plus de demander de l’aide.

Les difficultés auxquelles je fais face, eh bien elles ne sont pas forcément visibles. Quand on me voit, ça ne se voit pas. Ça passe inaperçu.

Donc je dois penser à le dire, je dois le verbaliser, je dois réussir à faire passer le message. Ce n’est pas forcément évident de faire passer le message qu’on galère à s’organiser, par exemple, quand ce que les gens voient de l’extérieur, c’est quand même qu’on ne gère pas si mal. En plus, on a l’air d’être toujours la même personne qu’on a été — on l’est largement, mais pas tout à fait. Ce n’est pas simple.

Et particulièrement ces temps, je trouve que c’est de moins en moins simple aussi de garder le moral.

Après l’accident, il y a le choc, et tout. Ensuite, le début de la récupération, c’est assez rapide. Bien sûr, il y a des hauts et des bas, ce n’est pas linéaire une récupération.

Et puis plus on avance, plus la récupération est lente, moins les progrès sont visibles. Plus on est proche de la normalité, moins ça se voit qu’on galère encore. Et donc moins on a d’opportunités d’être entendu par rapport à ça, de se sentir vu ou compris.

Donc là, je trouve dur de rester positive, de ne pas me laisser embarquer dans des spirales d’inquiétude. Est-ce que je vais vraiment réussir à retravailler ? Le neurologue n’a pas changé d’avis là-dessus. Il n’y a pas de raison. On ne peut jamais rien garantir à 100 %, mais il n’y a pas de raison que je ne fasse pas une récupération complète.

Mais il reste des choses au quotidien qui me font peur. Laisser la clé dans le contact dans la voiture parquée en plein centre-ville quand je pars souper au restaurant. Des trucs qui m’échappent. Des maladresses qui sont, à mon avis, attentionnelles. Pas moteurs — attentionnelles. D’ailleurs on le voit bien : laisser échapper un truc qu’on vient de scanner à la Migros et laisser la clé dans la voiture, il y en a un où on pourrait effectivement se dire que c’est moteur, mais pas l’autre.

J’ai l’impression qu’il y a toute une série de stratégies que j’ai en place depuis des décennies pour fonctionner, qui marchaient tellement automatiquement que je ne me rendais pas compte qu’elles étaient là. Et qu’elles fonctionnaient au niveau où elles fonctionnaient parce que je les entrainais en permanence.

Comment éviter ces incidents d’un genre nouveau pour moi ? Ce qui était déjà un peu limite avant, ou que je savais que je gérais/compensais, les choses pour lesquelles je savais que je devais être prudente avant, ça va. Je peux être plus prudente.

J’essaie de trouver des exemples qui pourraient parler à d’autres personnes que moi. Imaginons… je ne sais pas… imaginons que vous êtes quelqu’un qui n’oublie jamais ses clés, ou qui ne perd jamais ses clés. Ça ne fait simplement pas partie de votre vie, des choses qui pourraient vous arriver.

Un beau jour, vous perdez ou oubliez vos clés. Une fois. Vous pouvez vous dire « ah, merde, pas de chance ». Combien de fois vous faudra-t-il perdre vos clés pour vous dire « oh, il faut dorénavant que je fasse vraiment attention et que je mette en place des stratégies de compensation pour ne pas perdre ou oublier mes clés » ?

Une fois que l’incident est arrivé, on se dit : bon alors ok, la clé dans le contact de la voiture, ça, c’est assez simple à prévenir. Ça m’est arrivé, et c’est vrai que j’avais déjà eu un ou deux signaux d’alerte par le passé, des fois où je suis sortie de la voiture en laissant la clé dans le contact. J’avais d’ailleurs identifié que c’était des situations où j’étais en train d’écouter quelque chose, que je voulais continuer à écouter, et donc on comprend aisément que l’oubli puisse avoir lieu, mon attention étant ailleurs.

Dans ce cas, je peux mettre en place une stratégie. Je crée une sorte de “règle” : j’arrête la voiture, j’enlève la clé du contact, je la mets dans la poche. Facile.

Renverser des trucs, c’est moins facile d’y remédier. Faut-il porter chaque chose comme si elle était une chose fragile et précieuse? Faut-il mesurer chaque geste du quotidien? Jusqu’où aller?

Ce qui est difficile aussi avec cet accident, enfin, avec les changements depuis l’accident (même s’ils ne sont pas énormes), c’est que c’est venu d’un coup.

Quand on vieillit, et que petit à petit nos capacités physiques et cognitives diminuent, doucement, ce n’est pas du jour au lendemain. On se rend donc compte des changements et des adaptations à apprivoiser, petit à petit. Avec la quarantaine, la périménopause, je vois déjà bien ce processus. On se dit: “mais purée, ça m’arrive de plus en plus souvent de faire des erreurs ou d’oublier quelque chose, avant ça m’arrivait jamais.”

Donc voilà. Petit à petit, on s’habitue. Petit à petit, on adapte notre image de nous.

Mais là, c’est comme s’il y avait une mise à jour du système d’exploitation du téléphone suite à laquelle il y a des trucs qui ne marchent plus. Avant, ça marchait tout le temps, mais maintenant, ça ne marche plus. De temps en temps, il y a des gros bugs.

Tenez, un autre truc automatique qui ne marche plus aussi bien post-accident: c’est le calcul mental.

Exemple très concret. Je me dis OK, je vais faire deux heures de promenade, je regarde sur Swisstopo une destination qui est à 45 minutes, et je me dis, ah mais non, ça va faire trop loin pour être de retour en une heure, donc je trouve un objectif à 25 minutes pour faire une boucle d’une heure — alors que c’était en fait deux heures. J’ai divisé par deux une fois.

Ou alors, comme l’autre jour, je fais 4 + 2 + 3 = 7.

Ce genre de truc. C’est quand même flippant.

Un autre exemple: je regarde les résultats du Bol d’Or, je lis 1h30 pour les vainqueurs — en fait c’était 1h30 du matin — et j’enregistre dans ma tête qu’ils ont mis 1h30 pour faire l’aller-retour du Bal d’Or, ce qui est totalement impossible. Mais je ne réalise pas que c’est complètement impossible, et je répète même cette “info mal interprétée” à quelqu’un.

C’est comme s’il y avait une sorte de processus de vérification ou de validation des chiffres qui n’est plus là, ou qui n’est plus aussi bien là, ou qui bugue. Ça, c’est super chiant et déstabilisant.

Brain Crutches [en]

For some time now, I’ve been feeling with my time as one feels with space when on crutches. My world has shrunk.

On crutches, everything is further away. You can’t drive places. You can’t hop on your e-bike and be there in 5 minutes. Taking the stairs requires a rest at the top. Sports are off the menu.

These days, everything seems to take more time, directly or indirectly. More time to do, but also more time to recover. I have to stop and catch my breath all the time. (Figuratively.)

I’ve barely started my day, and suddenly it’s mid-afternoon. Or early evening.

I think about what I want to do today. I modestly rein in my ambitions. I’ll write a blog post. And maybe pot some balcony plants.

I’m tired, the blog post isn’t written, the plants remain unpotted. Will I read, take a nap, try and set up the TV screen to watch a movie?

The TV screen has been waiting for me to set it up for movie-watching for weeks now.

Who ever heard of procrastinating diving into the two last seasons of Doctor Who? Because that’s what I’ve been doing.

Another day has gone by. I don’t like the fact that time is going faster, that I’m going slower, that I need to go even more slowly, and that the road ahead will probably not be made of more and more things to do, make, read, discover, live.

I still want to do all of the things – and more.

I’m getting better at saying, with an accepting sigh “well, no, that’s not going to happen today.” We’ll see what tomorrow brings. But I’m not happy about it.

After so many years trying to fight procrastination, and these last few years which felt like I finally had a go at beating it (thanks methylphenidate), it feels very strange to willingly give in to the underlying discouragement that has always accompanied facing something to accomplish, and say “if it feels like too much effort, I’ll just not do it now”.

I’m realising how much I have learned to push and push myself, power through, and how instead of learning to listen to what my tiredness and discouragement could be telling me, I learned to beat myself up and feel like a failure for not managing to push them aside yet again.

It’s very strange to be allowed to allow (!) myself to be tired or not have the energy for something. And it’s scary, because the amount I feel able to do if I really listen to myself is not very much.

I know I’m still in recovery. Things will improve, I’ll have more energy, I’ll be less tired, doing will cost me less. But I can see, very clearly, that even once I’m back on my pre-accident feet, as I will not go back to pushing myself as I did before, I will do less. Hard choices will have to be made.

Or, with a bit of luck, if I have managed to grieve the unrealistic expectations I place upon myself enough, maybe they won’t be that hard.

Tartine du jour entre fatigue, judo, ménage et planning [en]

Aujourd’hui le moral bat un peu de l’aile. Parce qu’encore une fois je me retrouve HS, à plat, raide, et avec le petit mal de tête en prime, alors que ce qui a mené à cet état représente pour moi assez peu d’activité. Encore une fois, j’ai surestimé ce que je pouvais faire. Et ça me déprime de voir “combien peu” je peux me permettre de faire, juste là.

Je cogite beaucoup à comment gérer ça. Oui, oui, il faut réduire les attentes et ambitions. Croyez-moi, j’y travaille. J’essaie de lire tranquillement alors que l’armée de paparazzis tambourine à la porte, menaçant de la défoncer, qu’il y a des fuites d’eau au plafond et que des bombes tombent sur les immeubles d’à côté. Pas littéralement, vous m’aurez comprise. Les paparazzis, ce sont mes envies, mes obligations, mes responsabilités, mes projets, mes “ah oui je pourrais faire xyz”.

Concrètement, que faire? Quelques réflexions en vrac. On verra où ça me mène. Merci à toi, cher lecteur, chère lectrice, de faire ce bout de chemin avec moi.

Les “choses à faire”, elles sont à différents niveaux. Il y a les obligations plus ou moins obligatoires, les envies plus ou moins utiles, les choses qui nous font du bien et nous satisfont, les choses qui font plaisir, les choses qui font qu’on se sent moins coupable. Les choses qui nous coûtent et les choses qui nous ressourcent. Les choses qu’on doit et les choses qu’on veut, avec une frontière pas toujours très nette entre les deux.

Tâches au fil des jours et des semaines

Tout à l’heure, avant d’aller chercher mon ordi pour commencer à écrire ici, j’ai pris mon cahier et tenté de faire l’inventaire de mes tâches quotidiennes et hebdomadaires “obligatoires”. Pour l’exercice, on va éviter de débattre sur la signification de ce mot.

Chaque jour par exemple, il y a des choses comme:

  • préparer les repas
  • faire la vaisselle
  • donner les médics au(x) chat(s), prendre les miens
  • nettoyer la litière
  • arroser les plantes du balcon
  • relever le courrier
  • faire du petit rangement courant, au fur et à mesure
  • théoriquement, faire des exercices pour la physio (j’arrive quasi jamais)

Et puis à un rythme plus hebdomadaire (pour certaines tâches deux fois par semaine, d’autres toutes les deux semaines ou plus, ça varie):

  • faire les courses
  • faire la lessive
  • changer le capteur d’Oscar
  • divers rendez-vous médicaux et paramédicaux, véto y compris (à la louche, j’en ai minimum 5 de fixe, donc généralement 6, et parfois jusqu’à 8)
  • arroser les plantes d’intérieur
  • changer les draps
  • vider les poubelles diverses et variées
  • superviser le robot pendant qu’il fait le ménage
  • tenter d’aller au judo et (j’espère toujours) au chant

Et là, il n’y a vraiment que les choses de base. Ecrire, voir du monde et rester en contact avec mon cercle social (conséquent), rempoter les plantes, tenter d’améliorer l’entente entre les deux chats pour pouvoir descendre Oscar plus souvent, m’occuper de DF, boutiquer avec ChatGPT et autres LLM, gérer mon admin perso (citoyen et digital), rendre quelques menus services à mes proches… Sans compter que les choses comme la vaisselle, les paiements et le petit rangement, les habits propres sortant de la lessive, si on n’a pas pu faire à mesure, ça s’accumule.

On est d’accord que ce n’est pas un problème nouveau chez moi, la gestion du quotidien et des affaires domestiques. Mais depuis mon diagnostic et mon traitement, c’était quand même assez sous contrôle. Alors que je travaillais! Et là, avec traitement, j’ai l’impression d’être de retour à la case départ. Pas toujours bien sûr, et au moins je comprends ce qu’il se passe et je me blâme moins, mais c’est vraiment frustrant de voir combien “juste vivre” me prend à peu près toute mon énergie.

Jeudi

J’ai fait quoi, là, pour me retrouver HS? J’ai tenté d’y aller mollo cette semaine. Et j’ai mieux réussi que celle d’avant. J’avais des journées “vides” dans le calendrier – mais que je me suis bien entendu pressée de remplir malgré ma ferme intention de les maintenir en mode “repos”. Jeudi par exemple, journée “repos” après ma séance d’entrainement cognitif de la veille (je confirme, l’entrainement cognitif ça me met HS pour 24-48h). J’ai écrit un article, reçu une livraison de puzzles qui m’a lancée dans une analyse des différentes versions des puzzles Heye des oeuvres de Rosina Wachtmeister, réfléchi à un escalier plus adapté pour qu’Oscar puisse monter et descendre du canapé du balcon en sécurité, après l’avoir vu “ripper” à la descente sur les marches de l’escalier zooplus en place, nettoyé une plante envahie de bestioles que j’avais mise en quarantaine la veille dans la baignoire (les deux autres attendent toujours), dépendu la lessive, fait un saut chez le véto pour chercher du matériel pour perf sous-cutanée pour Oscar, importé les photos de mes dernières sorties dans Lightroom, appelé une copine (long téléphone), reçu la visite (courte) d’une autre, supervisé Oscar et Juju ensemble à l’eclau durant un petit moment. J’avais prévu de faire des courses à la Migros, et j’ai sagement renoncé.

Vendredi

Ça vous fatigue? Moi aussi. Et honnêtement, c’était une journée plutôt light. La preuve, le lendemain je me suis réveillée sans mal de tête. Le lendemain, donc, vendredi, avant-hier, j’ai pris le train pour aller à Berne et manger avec une collègue – rendez-vous prévu de longue date et que j’ai choisi de maintenir, avec raison, c’était vraiment très chouette. Avant de partir j’ai changé le capteur d’Oscar et eu la présence d’esprit de faire ma vaisselle du matin. Dans le train à l’aller, j’ai fait un premier jet d’un document que je dois pondre. A mon retour, j’ai réussi à bouquiner dans le train – j’avais un léger mal de tête arrivé en fin de repas de midi, comme quoi déjà 1h et quelque de discussion intense et sympathique ça fait déjà surchauffer mes neurones.

De retour à la maison j’ai réussi à me poser. J’ai mis le ventilateur sur le balcon, bouquiné un peu, et fait une sieste. Puis j’ai réalisé que j’avais de quoi “bricoler” un meilleur escalier pour Oscar à la cave, et je suis descendue chercher le matériel pour l’installer. J’ai mangé un truc en vitesse, et je suis partie à mon stage de judo, malgré la fatigue. Parce que ça faisait plusieurs semaines que je me réjouissais d’aller à ce stage. Pas pour pratiquer, mais pour assister mon prof et enseigner un peu, ce que j’aime bien faire. Et du coup je me sens un peu utile, aussi. Je suis rentrée du stage bien fatiguée. J’ai aussi vu combien c’est limitant de ne pas pouvoir démontrer beaucoup de ce qu’on explique – que ce soit à cause de mon épaule ou ma tête (pas de chocs!) J’ai quand même montré un peu, ce qui me semblait faisable, et évidemment, il y a 2-3 trucs que je n’aurais pas dû faire. Je suis rentrée, j’ai mangé, je me suis couchée trop tard parce que je suis restée coincée sur facebook (récurrent ces temps, oui oui “je sais” qu’il faut pas, merci de l’info). J’ai quand même eu un nombre d’heures de sommeil correctes.

Samedi

Réveil hier avec un petit mal de tête. Surprise? non. Embêtée? oui. Parce que je sais ce que ça veut dire et je veux pas. Allez, matinée tranquille. Installé une caméra de surveillance sur le balcon pour voir si Oscar gère bien son nouvel escalier. Trainouillé en ligne et avec les chats. Midi. Ouille! Le stage commence à 14h, et il faut vraiment que je fasse des courses. Je file à la Migros. Je fais les grosses courses, j’en ai pour une heure, je rentre avec un sacré mal de caillou (pour moi, hein, mes maux de tête sont pas “horribles” sur une échelle absolue). Je sais que je ne devrais pas aller au stage, c’est pas raisonnable, mais j’ai envie. Et hier je me suis proposée pour gérer la caisse et les inscriptions, donc je me sens responsable. Pas le temps de ranger les courses, je mets en catastrophe ce qui doit aller au frigo au frigo, je bricole une salade de pâtes que j’avale vite fait, je saute sur mon vélo et je vais au dojo.

Je suis contente d’être au stage, je travaille avec deux jeunes motivés et adorables (j’espère qu’ils ne liront jamais ça parce qu’ils vont sûrement trouver extrêmement “cringe”). J’ai quand même prévu un filet de sécurité: je me suis dit (et j’ai prévenu) que suivant l’état je partirai à la pause. Ça ne pose aucun souci, hein, sauf à moi. J’ai toujours mal à la tête, donc à la pause je prends mon medikinet et un ibuprofen (on sait jamais). Je devrais peut-être rentrer, mais je veux rester pour continuer le travail commencé avec “mes” deux jeunes. Eh oui, voyez, je me sens de nouveau “responsable“. Alors que, c’est juste moi, hein. Je précise. Personne ne me fait ça que moi-même. Pas le temps de vraiment décider, une discussion sympa plus tard autour d’un thé froid, le cours reprend et moi je reprends ma place sur les tapis. Contente d’être là! Mais c’est pas raisonnable. Il me faudra une bonne quinzaine minutes de tergiversations internes, le constat que ni medikinet ni ibuprofen ne font quoi que ce soit à mon mal de tête, quelques brefs échanges avec une copine pour lui confier la caisse si je ne viens pas demain et les jeunes pour la suite du cours, et quelques larmes difficilement retenues pour me décider à faire ce que je sais très bien que j’aurais déjà dû faire: rentrer.

Qu’est-ce que ça me coûte, ce genre de chose.

Je pleure un coup en me changeant, je rentre, j’essaie très fort de voir ça comme une victoire (car je sais que c’en est une) et non un échec (c’est ainsi que je le ressens au fond de moi). Je me pose sur le balcon, je reste tranquille, je me félicite d’avoir levé le pied. Je passe du temps à gratouiller Juju, je traine sur le balcon avec Oscar et en profite pour lui faire sa perf, je me mets en mode “off”. Je suis trop raide pour faire la vaisselle, trop raide pour ranger les courses. Je me dis que je vais tester une recette de blancs de poulet farcis que m’a donnée une copine, pour le souper. Mais en fait non, je suis trop raide, et la cuisine est en chaos. Allez, repas facile. Le soir, pour la première fois depuis plusieurs jours, j’arrive à me mettre au lit et à lâcher mon tél assez tôt pour pouvoir lire plus que deux paragraphes avant de m’effondrer.

Dimanche

Ce matin, je me réveille à nouveau avec mal à la tête. J’ai “bien” dormi. Je vais y aller mollo. Objectif: la vaisselle et les courses à ranger, parce que là ça commence vraiment à me tomber sur le moral. Mais je suis HS, déjà. Je descends, je fais un peu de puzzle. Je suis lancée, et je sens que même ça, ça me demande un petit effort. Un puzzle, normalement, c’est le truc qui me repose le cerveau. Ça se fait tout seul. Là, je sens que c’est moins fluide. Je ne me force pas, hein. Mais je sens ce signal de fatigue. Donc la vaisselle attendra. Les courses aussi. Et vers 13h, quand je lâche le puzzle et que je remonte pour me faire à manger, je réalise que les poitrines de poulet farcies attendront aussi.

Il est 15h30, et je ne suis pas au stage de judo, alors qu’aujourd’hui c’est le sol, ma discipline favorite. Et j’ai un mal fou à ne pas ressentir ça comme un échec.

Comment faire mieux?

Leçons de vie de judoka

Le judo, ça fait 30 ans que j’en fais. Et indépendamment des techniques, de la condition physique, et de ce qui va avec, le judo a ancré en moi une certaine vision du monde, une certaine attitude face au monde. Par exemple:

  • essayer quelque chose, observer le résultat, essayer de nouveau, observer le résultat, ajuster notre quelque chose et ressayer, observer le résultat…
  • tomber huit fois, se relever neuf fois
  • quand on croit qu’on peut plus, on peut encore.

Tiens, c’est marrant, j’avais fait un exercice un peu similaire sur les leçons du judo pour la vie il y a 10 ans.

Le premier point, j’en ai pris conscience récemment, c’est une vision profondément interactionnelle des rapports entre les gens. Au cours de ma formation en systémique, je me suis souvent demandée pourquoi cette façon de voir les choses m’est si naturelle alors que pour beaucoup de gens, elle ne va pas de soi. Que ce soit clair, ce n’est pas la seule raison (je pourrais faire un article à ce sujet, tiens), mais le fait de pratiquer depuis aussi longtemps une discipline où on ressent directement dans son corps que action => réaction, ça fait quelque chose.

Le deuxième, c’est la ténacité. On essaie encore. Une défaite ou un échec, ce n’est jamais final. On se relève et on repart au combat. Une chute, ce n’est pas la fin du monde.

Le troisième, il rejoint un peu le deuxième, mais pas que. Il nous dit que nos limites ne sont pas ce qu’on croit. Quand on est immobilisé au milieu d’un combat, en compétition, et qu’on n’a plus de jus, qu’on n’en peut plus, qu’on est cuit, qu’on commence à accepter que c’est fini, qu’on a perdu… on découvre parfois qu’on peut encore. Je me souviens très bien de ce moment. J’ai entendu mon prof, qui me coachait du bord du tapis, me dire “allez sors! ne perds pas maintenant!” – je n’y croyais pas, j’ai donné tout ce que j’avais et même ce que je ne savais pas que j’avais, et je suis sortie de l’immobilisation où l’autre me tenait. Ça ne vous surprendra pas, je pense, d’entendre que c’est une de mes forces en combat, de dépasser mes limites.

Mais ça, ça va un moment.

Ça va quand on est jeune. Ça va quand on est en forme. Ça va quand il s’agit d’effort physique et de force, de résistance et d’endurance. Ça va quand c’est ponctuel.

Avec les décennies, j’ai dû apprendre à les écouter, mes limites, plutôt que les dépasser. Pour éviter de me blesser. Le corps, c’est facile. J’ai appris aussi que ce n’est pas parce que je peux porter de lourdes charges que c’est une bonne idée de le faire. Après, j’ai mal au dos. Ce n’est pas parce que je peux chuter des dizaines de fois que c’est une bonne idée de le faire.

Cette leçon inverse est beaucoup plus difficile pour moi à intégrer pour ce qui est de l’effort cognitif ou de la fatigue mentale. Pas de surprise, hein.

Donc, comment faire mieux?

Je sais, ça devient long. Merci si vous êtes encore là à lire. Moi, en tous cas, je suis encore là à écrire. Et je me demande comment faire mieux avec mes journées, mes tâches et mon énergie. Et même si en ce moment j’ai un coup de mou, je vais me relever, et essayer encore une fois de passer cette satanée technique qui me résiste. Sans me blesser.

Je pense qu’il y a deux clés:

  1. la priorisation
  2. la flexibilité

Le premier point a toujours été une grande difficulté pour moi (merci TDAH). Quant au deuxième, je crois que j’ai récemment fait de gros progrès: je me dis “tout est annulable, si je ne suis pas en état”. Je préviens les gens avec qui je conviens de projets et de rendez-vous. Une copine m’a donné un bon truc pour les “tâches à faire”: ne pas juste prévoir une plage, mais prévoir une fenêtre de temps (entre mardi et jeudi par exemple) avec une plage plan A, une plage plan B, plan C. L’idée étant que cela ôte la pression de “faire quand même” si je n’ai pas l’énergie quand arrive la plage choisie, vu qu’il y a un plan B et un plan C derrière pour me rattraper.

Pour les priorités, je vois les choses comme ça, actuellement. La base, c’est la gestion de mon ménage, de ma santé, de mon administratif. L’administratif, c’est pour ne pas avoir de problèmes de sous (ou pire). La santé, c’est pour se remettre sur pied et ne pas tomber malade (sans blague). Et le ménage, c’est parce que l’état de mon environnement a un très gros impact sur mon moral. Surtout dans cette période où par la force des choses je passe beaucoup de temps à la maison, m’installer jour après jour sur un balcon en désordre, ça finit par me miner.

Santé

La santé, ce sont surtout des rendez-vous. Ils sont là. Je pense que je ne les répartis pas bien sur la semaine, parce que je me retrouve avec des jours à 4 rendez-vous, et ça c’est trop. Mais ça, c’est aussi parce que je ne veux pas “bloquer” toutes mes journées avec des rendez-vous. J’espère encore pouvoir me dire “oh, je vais faire une randonnée”, ou bien sortir le bateau, ou bien pourquoi pas, avoir une journée toute libre pour trier des affaires. Donc, la répartition optimale des rendez-vous médicaux (rappel: 5 récurrents, souvent 6 ou 7) c’est encore à travailler. Et peut-être, parmi ces rendez-vous, il y a des choses à reprioriser. Je vais y réfléchir…

La santé, c’est aussi “bien dormir, bien manger, bien s’entrainer”, comme disait mon prof de judo. Dormir, ça va, une fois que je suis dans mon lit avec mon bouquin. Le problème c’est d’y arriver. Premièrement dans le lit, deuxièmement avec le bouquin. Là, clairement, il y a une marge d’amélioration. J’ai besoin de trouver une stratégie qui fonctionne pour moi par rapport à ça. Réflexion en cours. Manger, ça va, même s’il y a des jours un peu bof, globalement je mange équilibré (et je mange tout court, ça c’est sûr, je ne suis pas du genre à être capable de sauter un repas, j’ai trop la dalle). S’entraîner, faire de l’exercice physique, donc, c’est moins simple, parce que mon épaule est encore convalescente, mon cerveau doit éviter les chocs, et ma fatigabilité est grande. Donc, me pointer au cours de judo pour bouger un peu, comme je l’ai fait ces derniers temps, c’est bien. La physio, c’est bien. Me déplacer à vélo, même si c’est un peu court, c’est bien aussi. Ce qui manque là-dedans c’est peut-être sortir marcher – sauf si ça se confirme que l’impact répété de la marche ne fait pas de bien à ma tête. Malheureusement je n’aime pas nager (au-delà de barboter) et je n’ai plus de vélo d’appartement (c’est quand même vachement bien pour transpirer sans impact). Roller peut-être?

Admin

Ah, l’administratif. Il y a des choses que je fais à mesure: payer les factures quand elles arrivent (merci l’app Postfinance et les QR-codes), et souvent, envoyer les demandes de remboursement (frais médicaux des chats, par exemple). Mais pas toujours et pas tout. Et il y a de l’admin “non trivial”, qui traine et s’accumule, auquel on repense toujours au mauvais moment et avec une culpabilité croissante. Moi en tous cas. En 2019, quand je récupérais de mon burnout, j’avais fait quelque chose qui marchait assez bien: j’avais prévu une plage hebdomadaire pour ça. Si je reprendre cette idée aujourd’hui, ce n’est pas juste une plage que je devrais prévoir, mais aussi la plage plan B ou plan C. Peut-être que plan B suffit, parce qu’au train où ça va, si je saute une semaine d’admin de temps en temps ce sera pas pire que maintenant. Donc voilà l’idée: deux plages de deux heures dans la semaine pour faire mon admin. Et si je le fais lors de la première, la deuxième se libère. Reste à voir quand, et si j’arrive à mettre une plage stable avec la valse des rendez-vous.

Ménage

Nous y sommes. Dans ma vie idéale, mon ménage est fait à mesure et mon appart est sous contrôle. Je ne me suis jamais mise une pression de dingue pour ça, parce que vraiment, les tâches ménagères c’est pas ce que je préfère. Mais le résultat c’est que je vis souvent dans un appart qui me “stresse” car partout autour de moi il y a les rappels visibles des choses à faire. Les plantes à rempoter, le rideau de balcon à trouver, le coin vide-sacs à ranger, etc.

Quand on fait ce qu’on peut faire à mesure, tout va mieux. La vaisselle, la lessive… un brin de ménage. Ça fonctionnait plutôt bien avant mon accident. J’avais même radicalement changé ma façon de voir le ménage et réussi à lancer une grande opération “rangements de fond, réaménagement et déco“. Mais maintenant c’est le débandade. Je pense que je sais pourquoi: je n’ai plus la structure que donnent les horaires de travail à la vie, tout flotte un peu, et en plus, je fonctionne globalement moins bien et suis plus fatiguée. Il est certainement temps, pour ce type de chose en tous cas, de reprendre la pratique de planifier le déroulement de mes journées. Ça ne veut pas dire les remplir, car on peut planifier du vide ou du libre. Mais je pense qu’en l’état, les choses comme la vaisselle et le ménage, c’est peut-être pas inutile que je me rappelle que ce n’est pas trivial pour moi, et que ça prend du temps, et de l’énergie. Et peut-être que je peux faire ça en appliquant aussi la méthode “plan A, plan B”. Je prévois 15 minutes après le repas pour faire la vaisselle. Et je prévois aussi 15 minutes avant le repas d’après pour si je ne l’ai pas faite. Ou alors, une plage large d’une heure de rattrapage vaisselle tous les deux jours? Idem avec la lessive. Je sais quand est mon jour de lessive, mais je retombe dans ma pratique ancienne d’improviser cette tâche (cette collection de tâches, en fait, depuis mettre en route la première machine jusqu’à ranger les habits dans l’armoire le lendemain). Et le ménage proprement dit, idem. Quand je travaillais, j’avais des samedis bloqués pour ça.

Le thème qui semble se dégager de tout ça, à ce stade, c’est structure.

Et le reste, alors?

Le reste, ça vient après. Ecrire, trier les cartons, voir les copines, rempoter les plantes, optimiser ma maison connectée, jouer avec ChatGPT pour classer mes clips vidéos des aventures de Juju à l’eclau, sortir faire du bateau… tout ça vient après la base, et en fonction de l’énergie qui me restera. Qui ne sera pas assez d’énergie, je le sais déjà. Et peut-être que parmi le reste, il faudra prioriser. Combien de rencontres avec interaction sociale intense est-ce que je m’autorise dans la semaine? Est-ce que je range ou bien j’écris? Je sors faire du bateau ou bien je trie mes habits? J’amène la voiture au garage pour changer les pneus ou bien je vais chez IKEA? Tout ceci en tenant compte de la nécessité des plages de repos et de la flexibilité “plage plan A, plage plan B, plan C”.

Franchement la perspective de tout ça me tord le bide. Mais j’ai bien compris: plus je fais d’excès maintenant (les “excès” qui me laissent à plat et avec mal au crâne), plus cette période où je suis limitée va se prolonger. Et je sais déjà qu’une fois dans la semaine, j’ai une séance d’entrainement cognitif qui me pousse à mes limites (c’est voulu).

Bon honnêtement, je ne sais pas si qui que ce soit va lire ça en entier (ni même si moi je me lirais), mais réfléchir à haute voix par écrit m’a beaucoup aidée, encore une fois.

Je vais manger un snack et sortir mon calendrier pour voir ce que j’arrive à commencer à mettre en place de tout ça!

Bon allez, je me lance [en]

Je pense qu’il faut que j’écrive. Que ça va m’aider. Ça fait des semaines que je me dis ça, et que je veux écrire, et que je n’écris pas. M’organiser c’est compliqué, certes. Mais il n’y a pas que ça. J’ai peur de découvrir des choses qui ne marchent pas. Depuis mon accident – je sais, il manque des épisodes, on y reviendra – je pense à Agatha Christie, dont les écrits révèlent, après coup, qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Alors moi je n’ai “que” un syndrome post-commotionnel après un trauma crânien mineur. On adore l’attribut “mineur”, qui signifie qu’il n’y a rien de visible à l’imagerie, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas “grave”, même si bien sûr c’est moins grave qu’un trauma crânien pas mineur (on s’entend). Et en effet, ça fait maintenant bientôt 3 mois que par moments, mon cerveau ne fait pas ce qu’il devrait. Enfin, qu’il ne se comporte pas comme d’habitude. Que je ne le reconnais pas.

C’est flippant mine de rien, d’être blessé au cerveau. Surtout quand c’est une “petite blessure”. Si on en est à ne plus pouvoir s’habiller ou parler, le problème est bien évident. Mais quand c’est la concentration qui est en PLS, que la fatigue débarque alors qu’elle n’a pas été invitée, qu’il y a des petits signes “anodins” qu’on remarque de l’intérieur parce qu’on se connaît bien mais qui ne se voient pas de l’extérieur, on se retrouve dans le terrain des maladies ou handicaps invisibles que tant de nous connaissons bien. (Evidemment, je ne dis pas que je souhaiterais avoir plus de problèmes plus visibles que ceux que j’ai!)

Donc le flip, il est double: je vois bien que mon cerveau est abîmé en ce moment, première chose flippante, mais aussi, est-ce que le monde extérieur et en particulier les soignants (au sens large) vont prendre ce problème au sérieux? Et jusqu’où? Les difficultés de concentration, la fatigue et les maux de tête qui m’empêchent encore de travailler, c’est une chose. Et déjà ça c’était pas forcément gagné, à un moment donné. Mais quid des “petites choses” plus subtiles, mais qui touchent à des capacités importantes pour moi – que ce soit pour ce qui est de mon rapport au monde, ou en tant qu’elles participent à mon identité?

Les mots, c’est un peu mon super-pouvoir. Et j’ai peur d’avoir perdu quelque chose, quelque chose de difficile à voir, et dont je ne sais pas si je le récupérerai. Et j’ai peur qu’en me confrontant à l’exercice de l’écriture, ça se révèle – comme l’écriture a révélé la maladie d’Agatha. Ce n’est pas par rapport au regard des autres que j’ai peur. C’est par rapport à moi. J’ai peur de découvrir des choses que je n’avais pas vues. Parce que mon cerveau qui boîte, c’est comme ça que ça se passe. Je découvre avec étonnement qu’il a fait un truc inhabituel, ou pas fait un truc habituel. Ou n’arrive pas à faire un truc auquel je m’attendrais. Je sais, c’est pas très précis. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il m’arrive des trucs que je ne vois pas venir. Pas des trucs graves hein. Mais pour moi qui suis une plutôt (très) bonne observatrice de moi-même et de mon fonctionnement, c’est très déroutant.

Donc écrire, d’un côté je me dis que c’est un bon exercice, et de l’autre j’appréhende ce que ça va me révéler.

Un de ces “petits soucis” que j’ai remarqués depuis mon accident, c’est que j’ai parfois de la peine à “sortir” un mot. (“Recall” en anglais.) Le mot est bien là, je sais qu’il est là et que c’est celui que je veux (ou un bon candidat), mais il ne vient pas. Je tends mon bras mental vers ma bibliothèque de mots, et il n’est pas là sur l’étagère là où il devrait être. Alors bon, c’est pas dramatique. Je pense que la seule personne qui remarque, c’est moi – et maintenant, mes interlocuteurs à qui je dis de temps en temps “zut, attends, je trouve pas le mot, me dis pas! … Laisse-moi chercher, attends!” – et je cherche, et au bout d’un moment, généralement je le trouve, et je suis contente. Ça n’arrivait pas avant, ou du moins pas autant. Et pas avec autant de difficulté à rapercher le mot si jamais il s’était égaré.

Un autre, sur lequel je viens de réussir à mettre des mots: je remarque parfois que mes souvenirs sont un peu lacunaires. Je sais que j’ai parlé de ceci ou cela à quelqu’un, mais je ne sais plus à qui. Ou je ne sais plus si j’ai fait quelque chose ou pas. Ou alors, je me replonge dans un épisode passé pour tenter d’en récupérer une impression, un sentiment, une idée, et ça ne vient pas. Clairement, ça pouvait m’arriver avant, ça. Mais post-accident, c’est bien plus fréquent. Est-ce que ça concerne les souvenirs post-accident, ou aussi les plus anciens? Je ne sais pas encore. Mais c’est comme s’il manquait des dimensions à ces souvenirs, des métadonnées, comme s’ils étaient un peu appauvris. A nouveau, pas quelque chose que qui que ce soit va remarquer, probablement, sauf moi. Mais pour moi c’est vraiment enquiquinant. J’ai l’habitude de pouvoir me reposer sur cette fonctionnalité de mon cerveau. Et là… y’a du sable dans les rouages.

Alors bon, vous avez lu jusqu’ici, et vous allez me dire “t’inquiète, tout parait normal, tu écris comme d’habitude!” – j’en suis sûre, que ça ressemble à ça. J’ai d’ailleurs pas l’impression que c’est très différent d’avant, d’écrire ça. Sauf que là je sens bien que je fatigue et que le mal de tête revient et qu’il faut que j’arrête. Bon, ça c’est l’histoire de la fatigue et de la concentration. Et hier j’ai eu ma première séance d’entrainement cognitif. Pas très long, mais on m’a prévenue que je pouvais avoir des répercussions. Honnêtement, je ne pensais pas. Oui, j’ai dû faire un peu des efforts, mais la séance n’était pas très longue. pas de l’ampleur des “efforts cognitifs” dont j’ai maintenant compris qu’ils étaient trop importants à ce stade de ma convalescence. Donc j’écris ça un jour où je me suis trainée un petit mal de tête post-effort et où je suis bien à plat (je suis même allée me mettre au lit à un moment, ça ne m’était pas arrivé depuis un moment).

Je retourne à mon puzzle, on verra ce que raconte mon cerveau. Et quand c’est la prochaine fois que j’écris (bientôt j’espère mais j’ai appris à revoir à la baisse mes attentes de “follow-through” quand je me dis “yes, je vais faire xyz!”)