Nager contre le courant [fr]

[en] Some musings on thinking about salaried employment when so many people around me are dreaming of quitting their day jobs to go freelance: freedom, safety, constraints, money. It's complicated.

C’est marrant d’être en train de prendre de la distance avec mon identité d’indépendante (12 ans quand même!) et de trouver plein d’avantages au salariat, alors que nombre de mes pairs sont en train de faire le chemin inverse: ils ou elles sont salarié(e)s depuis une ou deux décennies, ils ne voient plus que les contraintes du salariat, et l’indépendance les fait rêver (je ne critique pas, hein).

Ah, l’indépendance professionnelle, le nirvana de la carrière, la liberté, l’autonomie, vivre de sa passion… Partout où l’on regarde, on nous fait miroiter cet “idéal indépendant” comme une espèce de consécration: la vie de celui ou celle qui a “réussi”, car finalement, quel plus grand succès que de ne plus avoir besoin que de faire ce qu’on aime? (Elle est moche cette phrase, mais je la garde. Si ça se trouve il y a même des fautes dedans. Ouille.)

L’herbe est toujours plus verte de l’autre côté…

J’ai adoré ma vie d’indépendante. J’ai eu une qualité de vie incroyable. J’ai eu la liberté de travailler sur des projets passionnants, d’inventer des métiers qui n’existaient pas, de côtoyer des gens fascinants. Mais j’avoue qu’il y a depuis quelques années un truc qui me turlupine. Ne rendre de comptes qu’à soi-même, c’est merveilleux, sauf quand ça ne l’est pas. Être libre d’organiser son temps comme on le souhaite, aussi. Choisir sur quoi on veut travailler? Idem. Vous connaissez le cliché des relations amoureuses: c’est ce qui nous attire chez l’autre qui finit par nous en éloigner. Eh bien là aussi.

Je rêve de structure extérieure à moi. De ne pas avoir à tout décider. De ne pas avoir à me poser la question de l’heure du début de ma journée de travail. D’avoir des collègues. D’avoir des comptes à rendre, et de véritables retours sur la qualité de mon travail. D’être extraite de ma zone de confort. Même, oui, de faire des choses qui ne me plaisent pas, parce qu’il faut, parce que je ne peux pas y échapper.

J’en vois qui rigolent, là au fond, et d’autres qui sourient avec indulgence. Oh, je sais bien que tout ça va me rattraper un jour. Mais comme ceux qui regardent avec envie la vie indépendante, et qui savent bien que tout n’est pas rose, moi aussi je sais que j’idéalise un peu.

Employé ou indépendant: je ne pense pas que l’un soit mieux que l’autre. Je pense, surtout, qu’on a probablement besoin de changement, de variété. Qu’au bout de dix ou quinze ans du même genre de soucis, on est prêt à les troquer pour d’autres. Je peux vous dire, par exemple, que de là où je suis assise, un peu de sécurité financière, ça commence à paraître vachement attractif. Et la liberté, c’est cool, mais la liberté sans argent, c’est tout de même limitant.

Dix ans, c’est l’heure des bilans (quarante ans aussi). Et laissez-moi vous dire qu’être indépendant en Suisse, c’est facile (il suffit de pondre des factures et de s’affilier à une caisse AVS), et c’est génial, que ce soit si facile – mais on n’est pas protégé contre soi-même. Gagner de quoi payer les factures et mettre un peu de côté, c’est une chose. Mais quand on prend le grand angle et qu’on regarde côté prévoyance vieillesse (je parle même pas de perte de gain), on se rend compte que si on ne veut pas finir au social quand on arrête de travailler (et le jour viendra, même quand on aime ce qu’on fait: un jour on ne veut plus, et un jour on ne peut plus) il faut gagner sacrément plus que ce qu’il faut pour payer les factures.

Tout le monde le sait. On sait, on sait. Mais c’est facultatif. Chacun fait comme il veut. Les indépendants, on est adultes de chez les adultes. Personne ne nous prend la main. Un employé est protégé contre lui-même et son employeur: le deuxième pilier est obligatoire, et c’est un montant non négligeable; mais l’indépendant peut faire l’autruche et se dire “qu’il gagnera plus après”, se contentant d’alimenter un troisième pilier maigrichon. Lancez le sujet de la prévoyance vieillesse à une tablée d’indépendants, ou pire, sortez les calculatrices, mentionnez le montant d’une rente AVS, et regardez les gens se recroqueviller, devenir verts, ou blancs, à choix, voire éluder la question.

Tout est une question de concessions, et de compromis. Quel prix est-on prêt à payer pour sa liberté? Et pour sa sécurité? Quand est-ce qu’on dit stop? C’est fascinant, ces transitions de vie.

La pile de livres aspirationnelle: se construire un champ des possibles [fr]

[en] About the aspirational pile of books that I brought to the chalet with me.

Note: comme la plupart des billets que je publie ces jours, celui-ci a été écrit hors ligne durant ma petite retraite à la montagne.

Je suis au chalet, avec deux chats et une pile de livres, de quoi lire pendant probablement un mois. Une bonne douzaine. OK, un mois en ne faisant que lire.

J’en suis au premier bouquin que j’ai pris sur la pile. Entre-temps, j’ai quand même passé une demi-journée à trier/organiser mes photos (j’ai pris mon disque dur externe exprès) et je suis maintenant en train de rédiger mon 7e (septième!) article pour Climb to the Stars en quelques heures.

Pourquoi diable monter tant de livres pour quelques jours seulement? Je me suis posé la question. Je me la suis d’autant plus posé qu’on a abordé récemment avec Evren la question de la pile aspirationnelle de “choses à lire plus tard”. Je ne me leurre pas: cette pile de livres est totalement aspirationnelle.

Précisons tout de même que j’ai loué une voiture pour ma petite retraite à la montagne, ce qui me permet de ne pas trop me soucier du poids excédentaire de mes aspirations.

En fait, ce à quoi j’aspire, avec cette pile de livres, mon ordi plein de photos à trier, et mes doigts pleins d’articles à taper, c’est aussi le choix, le possible. Je veux être ici au chalet avec le choix de mes lectures, et non pas limitée et contrainte par un choix fait avant de venir.

Alors j’amène plus de livres que je ne peux lire. J’élargis un peu le choix. Je me laisse la liberté de suivre mon humeur. De butiner. C’est ce que je cherche un peu, ici loin de tout.

Chez moi, c’est un peu la même chose. Il y a dans ma bibliothèque plein de livres que je n’ai pas vus. Dans ma DVD-thèque (oui, encore, je sais) plein de films et de séries à regarder encore. Dans mon étagère vitrée, une bonne trentaine de thés.

Je veux être dans un contexte où j’ai le choix. Je peux sur un coup de tête lire ceci ou cela. Les habits et les chaussures, c’est sans doute la même chose — et les réserves dans le garde-manger.

Mais si on a lu The Paradox of Choice, on sait que cette liberté, ce choix ouvert auquel on aspire, eh bien il peut aussi être contre-productif. A trop devoir choisir on se fatigue. Trop de possibilités, ça angoisse.

On n’utilise qu’une petite partie des choix à notre disposition, et le reste pèse sur notre conscience. Ça me fait penser à cette étude où l’on demandait aux gens de planifier leurs menus sur un mois, et on comparait ensuite avec ce qu’ils mangeaient réellement. Pas trop de surprise: les menus “réels” étaient bien plus répétitifs que les menus théoriques. On croit qu’on va vouloir de la variété, mais en réalité, on aime aussi la répétition.

L’autre chose à laquelle ça me fait penser, cette histoire de pile aspirationnelle, c’est la bibliothèque d’Umberto Eco, dont il est question si ma mémoire ne me fait pas défaut dans “A Perfect Mess“, le parfait livre-compagnon à The Paradox of Choice cité plus haut. (Si c’est pas dans A Perfect Mess, c’est peut-être dans The Black Swan, autre livre indispensable.)

La bibliothèque la plus intéressante, c’est celle qui regorge de livres encore-non-lus. C’est elle qui contient peut-être le livre qui va bouleverser notre vie, mais qu’on n’a pas encore lu. (Plus j’y pense, plus il me semble que ça vient de The Black Swan, ce que je raconte.) Le potentiel pour le changement radical réside dans ce que l’on ne connaît pas encore.

Bon, ça rime à quoi, tout ça? Dans cette pile aspirationnelle, il y a plusieurs niveaux:

  • on aspire à un état où l’on aurait lu tout ça
  • on aspire à une liberté de choix qui, poussée à l’extrême, serait paralysante
  • on aspire à une vie où on aurait le temps de lire tout ça (le livre comme métaphore du temps de libre — même si on sait qu’on se prive activement d’avoir le temps de faire tout ce qu’on ferait si seulement on avait plus de temps)

En résumé: quatre jours au chalet, ce n’est pas assez!

Liberté d'écrire [fr]

[en] I've been feeling increasingly less free to write here (that's not new, can't remember when I first said it). Maybe the huge category list is guilty.

Je crois que ça m’est déjà arrivé de dire ça ici, mais j’ai la flemme de rechercher le billet. Je me suis rendue compte (e ou pas de e à rendue? j’oublie toujours) en écrivant des “bêtises” dans mon BleuBlog que je limite mon expression sur CTTS. Trop peur d’écrire des banalités. Pression que je me mets d’être à la hauteur. Je suis en train de devenir une de ces horribles personnes dont je me suis parfois moquée qui “écrivent pour leurs lecteurs” avant tout.

Eh bien mince. Je veux récupérer le droit d’écrire des articles moins longs (car je tartine, n’est-ce pas) et des critiques pas forcément fouillées jusqu’à la dernière virgule.

Je sais, j’ai “tous les droits” ici — ce n’est que de moi-même à moi-même que ça coince un peu.

Je crois que la monstrueuse liste de catégories dans ce blog n’aide pas. Allez savoir pourquoi, mais ça me bloque. Il faut vraiment que je fasse du triage. Mettre à jour Batch Categories par exemple.