Je pense qu’il faut que j’écrive. Que ça va m’aider. Ça fait des semaines que je me dis ça, et que je veux écrire, et que je n’écris pas. M’organiser c’est compliqué, certes. Mais il n’y a pas que ça. J’ai peur de découvrir des choses qui ne marchent pas. Depuis mon accident – je sais, il manque des épisodes, on y reviendra – je pense à Agatha Christie, dont les écrits révèlent, après coup, qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Alors moi je n’ai “que” un syndrome post-commotionnel après un trauma crânien mineur. On adore l’attribut “mineur”, qui signifie qu’il n’y a rien de visible à l’imagerie, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas “grave”, même si bien sûr c’est moins grave qu’un trauma crânien pas mineur (on s’entend). Et en effet, ça fait maintenant bientôt 3 mois que par moments, mon cerveau ne fait pas ce qu’il devrait. Enfin, qu’il ne se comporte pas comme d’habitude. Que je ne le reconnais pas.
C’est flippant mine de rien, d’être blessé au cerveau. Surtout quand c’est une “petite blessure”. Si on en est à ne plus pouvoir s’habiller ou parler, le problème est bien évident. Mais quand c’est la concentration qui est en PLS, que la fatigue débarque alors qu’elle n’a pas été invitée, qu’il y a des petits signes “anodins” qu’on remarque de l’intérieur parce qu’on se connaît bien mais qui ne se voient pas de l’extérieur, on se retrouve dans le terrain des maladies ou handicaps invisibles que tant de nous connaissons bien. (Evidemment, je ne dis pas que je souhaiterais avoir plus de problèmes plus visibles que ceux que j’ai!)
Donc le flip, il est double: je vois bien que mon cerveau est abîmé en ce moment, première chose flippante, mais aussi, est-ce que le monde extérieur et en particulier les soignants (au sens large) vont prendre ce problème au sérieux? Et jusqu’où? Les difficultés de concentration, la fatigue et les maux de tête qui m’empêchent encore de travailler, c’est une chose. Et déjà ça c’était pas forcément gagné, à un moment donné. Mais quid des “petites choses” plus subtiles, mais qui touchent à des capacités importantes pour moi – que ce soit pour ce qui est de mon rapport au monde, ou en tant qu’elles participent à mon identité?
Les mots, c’est un peu mon super-pouvoir. Et j’ai peur d’avoir perdu quelque chose, quelque chose de difficile à voir, et dont je ne sais pas si je le récupérerai. Et j’ai peur qu’en me confrontant à l’exercice de l’écriture, ça se révèle – comme l’écriture a révélé la maladie d’Agatha. Ce n’est pas par rapport au regard des autres que j’ai peur. C’est par rapport à moi. J’ai peur de découvrir des choses que je n’avais pas vues. Parce que mon cerveau qui boîte, c’est comme ça que ça se passe. Je découvre avec étonnement qu’il a fait un truc inhabituel, ou pas fait un truc habituel. Ou n’arrive pas à faire un truc auquel je m’attendrais. Je sais, c’est pas très précis. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il m’arrive des trucs que je ne vois pas venir. Pas des trucs graves hein. Mais pour moi qui suis une plutôt (très) bonne observatrice de moi-même et de mon fonctionnement, c’est très déroutant.
Donc écrire, d’un côté je me dis que c’est un bon exercice, et de l’autre j’appréhende ce que ça va me révéler.
Un de ces “petits soucis” que j’ai remarqués depuis mon accident, c’est que j’ai parfois de la peine à “sortir” un mot. (“Recall” en anglais.) Le mot est bien là, je sais qu’il est là et que c’est celui que je veux (ou un bon candidat), mais il ne vient pas. Je tends mon bras mental vers ma bibliothèque de mots, et il n’est pas là sur l’étagère là où il devrait être. Alors bon, c’est pas dramatique. Je pense que la seule personne qui remarque, c’est moi – et maintenant, mes interlocuteurs à qui je dis de temps en temps “zut, attends, je trouve pas le mot, me dis pas! … Laisse-moi chercher, attends!” – et je cherche, et au bout d’un moment, généralement je le trouve, et je suis contente. Ça n’arrivait pas avant, ou du moins pas autant. Et pas avec autant de difficulté à rapercher le mot si jamais il s’était égaré.
Un autre, sur lequel je viens de réussir à mettre des mots: je remarque parfois que mes souvenirs sont un peu lacunaires. Je sais que j’ai parlé de ceci ou cela à quelqu’un, mais je ne sais plus à qui. Ou je ne sais plus si j’ai fait quelque chose ou pas. Ou alors, je me replonge dans un épisode passé pour tenter d’en récupérer une impression, un sentiment, une idée, et ça ne vient pas. Clairement, ça pouvait m’arriver avant, ça. Mais post-accident, c’est bien plus fréquent. Est-ce que ça concerne les souvenirs post-accident, ou aussi les plus anciens? Je ne sais pas encore. Mais c’est comme s’il manquait des dimensions à ces souvenirs, des métadonnées, comme s’ils étaient un peu appauvris. A nouveau, pas quelque chose que qui que ce soit va remarquer, probablement, sauf moi. Mais pour moi c’est vraiment enquiquinant. J’ai l’habitude de pouvoir me reposer sur cette fonctionnalité de mon cerveau. Et là… y’a du sable dans les rouages.
Alors bon, vous avez lu jusqu’ici, et vous allez me dire “t’inquiète, tout parait normal, tu écris comme d’habitude!” – j’en suis sûre, que ça ressemble à ça. J’ai d’ailleurs pas l’impression que c’est très différent d’avant, d’écrire ça. Sauf que là je sens bien que je fatigue et que le mal de tête revient et qu’il faut que j’arrête. Bon, ça c’est l’histoire de la fatigue et de la concentration. Et hier j’ai eu ma première séance d’entrainement cognitif. Pas très long, mais on m’a prévenue que je pouvais avoir des répercussions. Honnêtement, je ne pensais pas. Oui, j’ai dû faire un peu des efforts, mais la séance n’était pas très longue. pas de l’ampleur des “efforts cognitifs” dont j’ai maintenant compris qu’ils étaient trop importants à ce stade de ma convalescence. Donc j’écris ça un jour où je me suis trainée un petit mal de tête post-effort et où je suis bien à plat (je suis même allée me mettre au lit à un moment, ça ne m’était pas arrivé depuis un moment).
Je retourne à mon puzzle, on verra ce que raconte mon cerveau. Et quand c’est la prochaine fois que j’écris (bientôt j’espère mais j’ai appris à revoir à la baisse mes attentes de “follow-through” quand je me dis “yes, je vais faire xyz!”)
Tous mes vœux de bon rétablissement! Qu’il soit complet et le plus aisé possible ❤️ Et tous mes vœux de patience et de courage!
Courage à toi. Je comprends bien comment ces “petites choses” peuvent être angoissantes. Elles le sont pour tout le monde, quand on s’en rend compte, et l’accélération liée à l’accident est surement très stressante. Je te souhaite toute l’amélioration possible.