J’ai toujours vu dans mon rapport au corps et au mouvement un paradoxe: autant je suis parfaitement à l’aise dans le sport, autant quand il s’agit de danser ou de marcher en rythme, c’est une toute autre histoire.
Ça ne se résume pas juste à la question de “sentir”, comme on pourrait croire. Quand on dévale une piste de ski à toute allure, ou qu’on est dans un combat de judo, on n’a pas d’autre choix que de sentir le mouvement. Le sien, celui de l’autre.
J’adore la musique, j’adore chanter, mais il y a quelque chose du registre de “sentir le rythme” et le manifester à travers mon corps qui m’est très difficile.
Ce soir, lors d’une discussion de fin de cours avec ma prof de chant (on avait justement fait un exercice très difficile pour moi, bouger et chanter en même temps), j’ai mis le doigt sur une caractéristique qui distingue ces deux sortes de mouvements, ceux qui me sont faciles et ceux qui me rendent toute pataude. Dans le mouvement sportif, ou le mouvement de tous les jours, on est dans du mouvement “intentionnel”. On cherche à faire quelque chose. Une action. A amener notre corps ailleurs ou autrement dans l’espace. C’est, d’une certaine façon utilitaire.
Quand on danse ou qu’on marque un rythme avec ses pieds et ses mains (une forme de danse, en fait?), on est dans un mouvement qui est plutôt expressif, je dirais. On ne cherche pas à accomplir quelque chose, on cherche à accompagner, soutenir ou marquer quelque chose d’intérieur.
Tiens, je me dis que ça doit sûrement exister, des typologies du mouvement.
Je me demande aussi s’il y a un élément “neuropsy” dans mon rapport très différent à ces deux familles de mouvements. Je sais, par exemple, qu’un exercice particulièrement difficile pour moi est de maintenir ma vigilance durant des temps morts de longueur variable, et d’agir ou non ensuite en fonction d’un stimulus (une lettre apparaît à l’écran: appuie sur la barre d’espace; si c’est un X, n’appuie pas). Je me suis demandé si ça pouvait avoir un lien avec ma difficulté de sens du rythme.
Par exemple, quand je chante une chanson, à moins d’être très entrainée, je rate tous les départs. Une fois dans la phrase, le rythme ça va. Mais savoir quand commencer, c’est toujours un problème. Si je tape des mains et que je chante en même temps je perds très vite le rythme des mains – ou alors je me concentre sur les mains et j’oublie de chanter.
Voilà. quelques réflexions que je voulais capturer. Si c’est un sujet que vous connaissez, je serais ravie d’en apprendre plus, j’avoue.
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Hello Steph, plaisir de lire tes interrogations sur ce sujet.
Pour les typologies de mouvement, je pense que les travaux de Laban peuvent t’intéresser (https://en.wikipedia.org/wiki/Laban_movement_analysis).
Pour la coordination chant/rythme, j’interviens en tant que formateur dans des troupes d’impro théâtrales multi-niveaux. Ce que j’ai constaté, c’est que les gens qui n’ont pas “le rythme” représentent une très faible proportion (ou alors ils évitaient ces formations – biais du survivant). Je ramène les problèmes des personnes prétendument “arythmiques” à :
– C’est normal de galérer à coordonner le tempo du corps et celui de la voix; ça s’apprend; souvent, ces personnes se découragent trop rapidement et renoncent. Et on ne naît pas avec les mêmes prédispositions et la même culture du rythme.
– Il y a l’effet “L’été Indien”. Dans ce titre de Joe Dassin, il faut compter beaucoup de temps “à vide”; souvent les “arythmiques” sont impatientes et ne comprennent pas qu’il faut compter ces temps à vide, du coup, elles sortent de la carrure rythmique et en déduisent que c’est ingérable.
– Enfin, il peut y avoir une confusion corporelle entre le tempo (des impacts sonores équidistants dans le temps) et le rythme (des impacts plus complexes). On peut commencer par marcher au pas (puisque la marche est naturellement basée sur un tempo relativement régulier) ou danser sur un tempo bien marqué, pour améliorer son “sens du tempo”.
Pour poursuivre, je t’encourage à chercher du côté des méthodes Dalcroze ou Willems, qui ont exploré la relation corps-solfège.
merci beaucoup, c’est intéressant! je me faisais justement la réflexion en chantant dans la voiture l’autre jour que je ne “compte” pas les silences, en fait, j’attends, et je ne sais pas comment attendre ni combien… tant qu’il y a des paroles j’arrive bien à suivre le rythme, mais dès qu’il faut tenir une note ou laisser un silence je perds le fil. Et je me suis dit que d’une façon ou une autre il fallait que je continue à “chanter dans ma tête” pendant ces moments, en utilisant par exemple l’accompagnement instrumental.
je pense que tu as tout à fait raison qu’il y a un cercle vicieux: si on n’est “pas très bon”, on fait moins, donc évidemment on a moins d’entrainement, etc etc.
Je n’ai pas bien compris ta remarque sur confusion corporelle entre tempo et rythme, tu peux expliquer un peu plus? De mon côté j’arrive assez facilement à taper du pied ou du doigt, mais typiquement marcher en rythme c’est loin d’être évident.
Article intéressant! https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4966945/
autre article intéressant https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6043674/