Je viens de faire un petit tour dans le quartier avec mes jambes et mes bâtons. Peu de monde, beaucoup de calme. J’ai toujours aimé les dimanches et les jours fériés, ici, où tout est fermé et rien ne bouge.
Cette période c’est comme un dimanche, mais tous les jours.
C’est trompeur, pourtant. En fait, cette crise n’est pas également distribuée. Elle nous touche tous, nous bouleverse tous, mais alors que certains se trouvent ralentis voire arrêtés, d’autres ne savent plus où donner de la tête. Je pense aux soignants évidemment, mais aussi aux parents télétravailleurs, aux employés des supermarchés, aux profs qui doivent du jour au lendemain apprendre à enseigner à distance (si possible autrement que “je donne des exercices, ils font, je corriger”), à tous ceux dont le revenu est en train de s’évaporer et qui doivent dare-dare trouver des solutions pour payer les employés et les charges, ou simplement remplir le frigo.
On commence à le lire, femmes et hommes ne sont pas non plus frappés équitablement. Les femmes assument la plus grande part des soins et de l’aide à autrui. (Oui je sais qu’il y a des hommes aidants, mais regardons les choses à l’échelle de la population.)
La maladie non plus ne frappe pas équitablement: ça va de rien du tout à la mort, en passant par la petite toux, la vilaine pneumonie et les soins intensifs. Les seniors, les jeunes.
Je vous préviens, je risque de répéter des choses que j’ai déjà dites. Parce que là, j’écris parce que ça me fait du bien d’écrire.
Donc, je reviens de ma petite promenade sous un soleil radieux, sans croiser personne. Paradisiaque pour moi, mais avec un arrière-goût amer parce que je ne peux pas oublier pourquoi la rue est si calme. J’avoue avoir du mal avec ceux qui se réjouissent du confinement ou des conséquences de l’arrêt global de notre monde. Je trouve qu’il y a là quelque chose d’indécent.
Qu’on cherche pour soi du positif, par contre, évidemment qu’il faut. Pour moi, j’avoue que le ralentissement dans lequel on est plongés (tant qu’on ne bosse pas dans un hôpital ou un supermarché ou un service de distribution) m’aide à mieux supporter l’inactivité et “l’inutilité” qui m’accompagne depuis des mois. Donc moi, je le vis assez bien. Et les oiseaux chantent, même si les dauphins ne sont pas en train de se balader dans les canaux de Venise.
Je suis en train de réussir à prendre un peu de distance avec l’océan d’informations dans lequel nous baignons en ligne. J’ai fait du rangement, hier. J’ai décrété que le matin serait consacré autant que possible aux activités hors ligne. J’essaie de me poser la question “qu’est-ce que j’ai envie de faire?” même si ça ne donne généralement pas grand-chose. Je reste fatiguée, et je me demande au bout de combien de doses matinales de 2000UI de vitamine D celle-ci commencera à sortir de ses chaussettes. (Oui, bilan sanguin il y a quelque temps, vitamine D dans les chaussettes, ce qui explique probablement la fatigue que je traine… depuis loooooongtemps.)
Je me demande évidemment quel rôle je joue dans cet écosystème de partages et de communication frénétique. Je lis beaucoup, je partage beaucoup, je commente beaucoup… je me rends bien compte que si pour moi, être informée au max me rassure, pour d’autres, trop d’information est anxiogène. En fait, j’ai aussi mes “infos anxiogènes”: j’évite d’aller lire les récits de gens malades, les témoignages “première personne”… les chiffres, les analyses, les faits scientifiques, voilà ce qui me convient. La détresse à la première personne, j’en reste bien loin. Je sais qu’elle est là et ça m’est déjà assez difficile.
Ces jours j’aime lire Thierry Crouzet, un “énervé” (ses mots) qui écrit et pense bien. Je vous recommande aussi d’écouter les podcasts “Radiographies du coronavirus” (France Culture), un bel exemple de journalisme scientifique avec les pieds sur terre, et “La vie aux temps du coronavirus” (RTS, oui le “aux” me dérange mais c’est comme ça), un peu plus narratif-première-personne, mais qui donne la parole à des spécialistes divers, chaque fois sur une thématique différente. En anglais, il y a “Coronavirus Daily” (NPR), une dizaine de minutes chaque jour pour être à la page.
J’essaie de lâcher face à la chloroquine, à Raoult, aux gants, aux masques portés de travers dans les magasins, aux appels aux tests généralisés alors que c’est juste pas possible. J’essaie de ne pas trop penser aux “anti-vaccins” et à ce qu’on va entendre quand on aura enfin un vaccin contre ce virus. Je n’arrive pas toujours bien. Je me demande comment être utile au-delà de mon entourage immédiat pour notre petit monde romand qui se retrouve trainé de force dans le numérique, bon gré, mal gré. Je découvre le plaisir des appels vidéo, moi qui les snobais plutôt (je préfère mille fois mieux “voir en vrai” les gens). Je m’inquiète un peu pour mon vieux chat qui n’a plus ses traitements “doux” pour son arthrose et commence à peiner en montant et descendant son petit escalier pour accéder au lit.
Mais dans l’ensemble ma vie s’est simplifiée, juste là. C’est comme si la pression de me conformer à certaines attentes concernant comment je devrais vivre ma vie s’étaient envolées. Parce que tout le monde maintenant est en train de faire du mieux qu’il peut, le fait que moi aussi, je suis juste en train d’essayer de faire du mieux que je peux avec ce que j’ai, eh bien ça me pèse beaucoup moins. J’ai plus d’indulgence avec moi-même.
Restez dedans, sauf quand il faut. Restez loin des gens que vous voyez, même si vous les connaissez. Il me semble avoir constaté que les gens restent bien loin des étrangers, mais que cette détermination à maintenir la distanciation sociale se ramollit un peu quand la personne à garder à distance est un proche. Je vois des gens qui se baladent ensemble à moins de 2m, et qui certainement ne vivent pas ensemble. N’oublions pas que chaque “contact” relie non seulement deux personnes, mais toutes les personnes avec qui ces deux personnes sont en contact. L’enfant qui a le droit de jouer avec “un unique copain” et qui ne reste pas assez à distance, eh bien ce sont les deux familles qu’il relie. Ayons conscience de qui on “porte” avec nous dans nos interactions, et de qui ces personnes-là “portent”. Rester dedans règle toutes ces questions.
Also published on Medium.
Des caresses au vieux chat, en espérant que tout cela ne l’atteigne pas ! Et des caresses au moins vieux chat, pour qu’il ne soit pas jaloux. Et des pensées amicales pour la deux pattes !
Ici, les chats de rue ont moins de nourriture à disposition, mais il y a encore des gens qui leur laissent de quoi manger.
Une très bonne journée
Merci et bonne journée à toi! Caresses distribuées 🙂