J’étais au chalet à l’Ascension. Mon dos va suffisamment mieux pour que je sois allée faire une petite randonnée, à Nant. C’était bien, de marcher. Franchement, pour moi en tous cas, rien n’arrive à la cheville de la marche ou de l’activité physique pour mettre ma tête sur pause. C’est ressourçant.
Et du coup, j’ai pensé à des tas de choses. A écrire. Et j’ai hésité, un peu. Ecrire ou ne pas écrire? Faut-il vouloir tout écrire? Tout comme: faut-il vouloir tout photographier? C’est important de pouvoir vivre sans arrière-pensée, sans se demander comment on va parler de ce moment. En fait, je n’étais pas partie sur l’idée d’en parler. C’est à la fin de la balade que je me suis dit, ah, mais, ça je pourrais dire.
J’ai même sorti mon dictaphone (tu en as un aussi, cher lecteur, sur ton smartphone) et déversé dedans mes idées en vrac. Ce n’est pas quelque chose que je fais habituellement. J’ai pensé à Kevin J. Anderson, prolifique auteur de science-fiction, qui dicte ses livres. Il part faire de longues balades et il raconte en marchant. Puis il a quelqu’un qui tape le tout. Ça m’avait fascinée, l’idée qu’un auteur/écrivain puisse fonctionner comme ça. Mais moi aussi j’ai dicté, durant près d’un an, quand je ne pouvais plus taper, sauf que moi je dictais directement à l’ordinateur et je voyais mes mots apparaître instantanément à l’écran.
A quelques reprises par le passé, donc, j’ai mis des choses dans mon dictaphone. Mais je les en ai rarement sorties. On verra si cette fois c’est différent, ou si les ranger là était juste un autre moyen de les sortir de ma tête pour les oublier ensuite, en me racontant qu’en fait je les garde précieusement. Ça me fait penser à cet article que j’ai lu sur le fait que déclarer ses intentions diminue en fait la probabilité qu’on les accomplisse. Dans le même ordre d’idées, à une époque je préparais des brouillons des articles que je n’arrivais pas à écrire “maintenant”, souvent avec juste le titre. Mais je n’avais jamais le désir de les écrire, après. Je devais me forcer. Et souvent je ne le faisais pas.
L’écriture reste, pour moi, une histoire d’impulsion. Un moyen d’expression, quand j’ai quelque chose à dire. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé le rédactionnel sur commande. J’ai bien fait de ne pas partir dans le journalisme, quand j’étais à la croisée des chemins, en 2004. Il y avait besoin d’enseignants, j’ai enseigné. La suite, vous la connaissez… ou pas.
La marche, donc, ou l’activité physique, c’est ressourçant. J’ai déjà exprimé à plusieurs reprises que j’étais vraiment en train d’intégrer l’importance de donner à mon cerveau du temps en standby. Ce n’est pas étonnant, que c’est important, non?
Culturellement, on le sait. On promeut le sport, pas juste pour les bienfaits physiques, mais aussi mentaux. On part en vacances “faire rien” à la plage. On pratique une activité artistique.
Mais dans nos vies ultra-connectées, un smartphone à la main, je crois qu’on l’oublie. En tous cas, moi, j’ai dû le redécouvrir. Je vois, depuis quelques années, chez mes pairs “toujours connectés” et “toujours actifs”, qu’on en revient. Je vois de plus en plus d’articles sur les bienfaits de l’ennui, de la méditation, de l’inactivité, de la non-productivité. Rien de nouveau, mais quand même. Je crois qu’on est en train, en tant que collectivité, de réaliser que ce sont des choses qu’il faut défendre.
On se rend compte que des outils créés pour garder notre attention captive doivent se poser des questions éthiques: jusqu’où faut-il être attractif? Si on l’est trop, on finit par risquer le rejet, parce que l’individu ne veut pas se sentir esclave. C’est une réflexion que je me faisais au sujet de Seesmic, oui, il y a dix ans, bon sang, dix ans, dix ans hier que la conférence Going Solo a eu lieu. Dix ans. Dix ans. Un hier si lointain.
Donc, Seesmic, c’était génial, mais c’était tellement accaparant que je pensais que risquait de porter préjudice à son adoption. Je ne dis pas que j’avais raison, mais que je pensais ça à l’époque. Il y a dix ans…
Je n’ai pas assez de recul et je n’ai pas assez fait mes devoirs pour pouvoir affirmer avec certitude que ma petite analyse de notre attitude collective face à la problématique “connexion/déconnexion” est autre chose qu’un reflet de mon propre parcours.
Peut-être aussi que c’est une question d’âges de la vie. Pour les romains, il y avait un âge pour être actif dans sa vie, un âge pour l’engagement politique, un âge pour philosopher… (je cite de tête, mes cours de latin du collège). J’ai recroisé cette notion dans un livre que j’ai lu sur le burn-out: la trentaine, ce n’est pas la cinquantaine, et ce n’est pas non plus la quarantaine. L’âge n’est pas juste un nombre, je l’ai toujours pensé. L’âge, c’est tout de même le reflet du nombre d’années de vie qu’on a vécues. On se situe dans un parcours: études/formation, optionnellement fonder une famille, trouver sa voie professionnelle, se stabiliser, arrêter de travailler… C’est lacunaire et simpliste, ce que je présente là, mais c’est très clair pour moi que la façon dont je vis mon “retour à l’emploi salarié” est fortement lié à ma quarantaine.
Je regarde les 20 ans passés et les 20 ans à venir, et je me pose des questions. Le temps où l’on ne pourra ou voudra plus travailler, même s’il reste dans un avenir un peu flou, est quand même vachement plus concret à 45 qu’à 25. A 25 ans, entre dans l’inconnu, professionnellement. On est peut-être même bloqué sur le pas de la porte. A 45, c’est bon, on a compris un peu comment ça marche. On se cherche, encore, certainement, parce qu’on ne cesse probablement jamais de se chercher, mais on est “en plein dedans” pour ce qui est de la vie active. Et quand on regarde le début, la fin ne semble pas si impossible que ça.
Donc j’ai marché, samedi passé, et il y a plein de choses qui se bousculent dans ma tête, parce que la marche a fait de la place pour elles. Je n’ai pas écouté mon dictaphone, là. On verra si je le fais. Si je prends le temps pour ça, ou si les jours qui passent rendent caduques mes projets d’écriture.
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