De la dégradation de la langue [fr]

[en] About my French spelling being worse than it was 15 years ago (is it the keyboard? is it something else?) and the terrifying experience of "losing my French" while I was in India 10 years ago.

La mienne, en l’occurence.

Plus de 15 ans que j’ai passé mon bac (XB, s’il vous plaît). Plus de 10 ans que j’écris sur le web. Quelque part en chemin, j’ai fait une licence en français.

Et parfois, quand je me relis, je suis horrifiée par les fautes que je trouve dans mes textes.

J’ai toujours été bonne (allons, n’ayons pas peur des mots — excellente) en orthographe et grammaire. Au gymnase, franchement, je crois pouvoir dire que j’avais un français écrit irréprochable.

Ça s’est gâté, ensuite. Dix ans à prendre des notes à l’uni, d’une part ça vous fiche en l’air la calligraphie (qui ne fut d’ailleurs jamais mon fort) et d’autre part, ça vous ramollit les règles de la langue.

Je me demande aussi parfois quel rôle joue le clavier dans tout cela. Je me retrouve à faire des fautes de “frappe” inimaginables lorsque j’écrivais à la main. Une terminaison en “-é” au lieu de “-er” par exemple, qui vient se glisser là, mine de rien, au milieu d’une phrase. Je l’attrape au passage si je prends la peine de me relire, bien entendu, mais le drame est que la faute ait simplement jailli de mes doigts. Ça n’arrivait jamais, “avant”.

(D’ailleurs, je tiens à le préciser, je ne me relis que très rarement. Oui, je sais, ça va faire des jaloux — chacun sa croix: mes compétences dans le graphisme frisent le zéro absolu et je suis tellement peu physionomiste que c’en est régulièrement embarrassant.)

Qu’est-ce qui a donc changé?

  • Est-ce le clavier au lieu du stylo?
  • Est-ce l’absence de correction en rouge pour me rappeler de temps en temps mes manquements à la perfection de la forme?
  • Est-ce l’âge?
  • Est-ce la proportion moindre de français par rapport à l’anglais, dans ce que j’écris aujourd’hui?
  • Est-ce la plus grande quantité de texte écrit que je produis?

Allez savoir.

J’ai vécu une autre expérience de dégradation de la langue, orale celle-ci, qui m’a profondément marquée. En 1999-2000, comme vous le savez, j’ai passé une année en Inde (le cas échéant, chers lecteurs, relisez vos classiques).

Bilingue déjà à l’époque, mais avec un anglais passablement rouillé, je me retrouvais pour la première fois depuis ma petite enfance à communiquer exclusivement en anglais, durant des mois — à l’exception de l’occasionnel e-mail qui, m’avouera-t-on plus tard, arborait des tournures de phrase de plus en plus étranges à mesure que passait le temps.

Après 6-8 mois, une amie de Suisse est venue me rendre visite. Et là, catastrophe. Je cherche mes mots. Je suis maladroite. Je construis mes phrases à tort et à travers. J’étais en train de perdre mon français! Il avait suffi de si peu de temps…

Je savais que j’avais pas mal perdu de mon anglais durant mon adolescence, au point qu’il m’était devenu pénible de le parler. Il revenait après quelque temps, bien sûr, mais c’était depuis longtemps ma deuxième langue. Jamais je n’aurais imaginé que je pourrais (aussi vite!) perdre mon français.

Je vous rassure, il est bien revenu. Et mon anglais est resté — j’avoue qu’il est rare que je passe une journée sans utiliser mes deux langues à présent (et internet joue très clairement un rôle là-dedans).

Mais même sa langue maternelle, quand on ne la pratique pas, se dégrade.

6 thoughts on “De la dégradation de la langue [fr]

  1. Je fais aussi d’horribles fautes à l’écrit alors que je ne me relisais jamais. Peut-être que c’est à force de voir des fautes sur internet, dans les journaux, même dans les bouquins, notre cerveau les enregistre en traître ? Peut-être que la technologie nous rend intellectuellement plus paresseux ?

  2. Illustration intentionnelle de cette dégradation – “Il avait suffit” au lieu de “Il avait suffi” ?… 😉 Du coup, j’ai moi aussi un doute (et en plus il est tard…)!
    Quoi qu’il en soit – keep up the good work!

  3. Il y a sans doute aussi un critère de concentration : le crayon depuis qu’on sait en tenir un est devenu transparent et ne vient pas (ou très peu) se mettre entre nous et le message produit. Nous sommes donc complètement concentrés sur ce que nous écrivons.

    En revanche un clavier, même avec une fieffée bonne pratique (mon mot du jour : “fieffé”), reste un artefact technique, mécanique, et nous sommes un peu détachés de la production du message parce que concentrés en partie sur l’outil de production du message (position des touches sur le clavier, balade de l’oeil entre le clavier et l’écran, etc.).

  4. PS : Raph a raison aussi sur la technologie qui nous rend paresseux… le correcteur orthographique fait une grosse part du travail à notre place, voire il va jusqu’à remplacer les erreurs sans que nous y prenions attention (une apprentie à qui je faisais remarquer ses faiblesses : “ah mais c’est que d’habitude j’ai [tel logiciel] qui fait tout pour moi et au bureau il n’est pas installé”).

    Et peut-être bien aussi qu’on enregistre insidieusement les fautes des autres. (“il a suffit” est un de ces exemples qui abondent, en ligne)

    Le bon point de tout ça, c’est que ça signifie que nous lisons beaucoup, beaucoup plus que les générations précédentes, tous milieux confondus 🙂

    PPS : et puis du coup j’apprends le suisse : “le gymnase”, en France, c’est l’endroit où on fait du sport 🙂

  5. Pour moi, il est devenu plus naturel d’écrire au clavier qu’au stylo. Je tape à l’aveugle, les mots passent directement de mon cerveau à l’écran. Avec un style, maintenant, d’une part je ne tiens pas longtemps (TMS) et d’autre part je fais des tas de ratures, c’est une lettre qui sort à la place d’une autre, etc. Manque de pratique, certainement — comme j’ai perdu mon français en Inde, je perds mon écriture à la main à force de ne plus l’utiliser.

    Je n’utilise pas de correcteur orthographique. Il m’indique plus de fausses fautes que de vraies, en général (ou bien alors j’écris carrément dans la fausse langue et tout est souligné de rouge), donc je le désactive dès que j’y pense.

    Enregistrer les fautes des autres, par contre, j’y pense. Nous lisons beaucoup de choses qui n’ont pas passé par l’éditeur, de nos jours. En plus, ils ont viré les correcteurs des journaux, et ceux-ci sont truffés de fautes (au point que ça me scandalise, vraiment). Je faisais la réflexion il y a quelques années, au sujet de la dégradation (?) du français chez les ados, que ceux-ci sont plus actifs à l’ecrit que nous ne l’étions, mais dans des espaces non normés — où la “justesse” de la langue n’est pas valorisée ou encouragée. Donc je pense que c’est assez pertinent, comme idée.

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