Anonymat et blog intime [fr]

[en] My reaction to a new French-speaking blogger who desires to remain anonymous because he will be dealing with private stuff on his blog.

I consider that it is not possible to blog anonymously in the long run. As you create relationships with readers, temptation to let out your real name to some of them will be great, and at some point somebody may let your name slip. Or if that doesn't happen, somebody who knows you might come upon your blog by chance and recognize you through the contents of your writing.

Writing with a pseudonym to keep oneself from unknown stalkers is fine. But when the pseudonym is there to keep people who know you from recognizing you, the consequences to face when it does happen may be very uncomfortable

Saturnin says his "blogging rule" is to not write anything he wouldn't be willing to stand up for if he was discovered. I ask him, then, what his anonymity adds to his blogging enterprise, apart from the fact he won't be easily googled for. If being anonymous helps him write more freely then if he was signing with, say, his first name, then maybe being anonymous is a trick he's playing on himself, and he might be brought to regretting it someday.

Saturnin entre en blogosphère il y a dix jours, avec un billet dont le contenu m’interpelle. Il nous annonce un blog intime, anonyme, et il nous en donne les raisons:

La condition : l’anonymat, quoi qu’on en pense. Impossible en effet de m’attacher à exprimer mes pensées et mes sentiments les plus secrets, impossible de livrer ma vie intérieure profonde sous mon vrai nom. Je suis enseignant. J’ai des élèves et des étudiants, que je vois chaque jour. Imagine, mon lecteur, que mes étudiants lisent mon blogue quotidiennement et sachent, avant même que j’entre en classe, dans quel état j’erre. Impossible.

Saturnin fait référence dans son billet à ma théorie des deux anonymats, et je sens justement dans son dernier billet, intitulé le droit à l’anonymat, un mélange un peu flou entre les deux.

Là où je rejoins entièrement Saturnin, c’est sur le fait que l’anonymat n’est pas mauvais en soi. Edicter une règle du style “Tu ne blogueras point anonymement” est inévitablement réducteur et ne tiens pas comptes des motivations du blogueur qui cherche à protéger son identité. Dans le passage reproduit ci-dessus, Saturnin nous dit clairement pourquoi la solution de l’anonymat s’est imposée à lui. Il désire parler de choses privées, intimes même, et ne désire pas être reconnu par un partie de son entourage (ses élèves en particulier — comme je le comprends).

Ma mise en garde contre l’anonymat qui cherche à préserver une intimité, c’est-à -dire à cacher ses écrits de personnes que l’on connaît, provient du fait que celui-ci peut s’écrouler. Sur le web, deux phénomènes peuvent précipiter cet écroulement (ou cet éclatement, suivant comment les choses se vivent).

  1. Le blog crée des conversations (comme celle-ci!) puis des liens entre le blogueur et ses lecteurs. Ces liens peuvent être forts, surtout dans le cas d’écrits intimes qui risquent de toucher profondément les lecteurs. Des correspondances par e-mail sont à prévoir. A un moment donné, le blogueur va peut-être donner sa véritable identité à quelqu’un dont il se sent proche. Des fuites sont alors possibles.

    J’ai vécu cela lorsque j’ai commencé à chatter en 1998. Mon identité véritable était un secret d’état. Assez rapidement cependant, je me suis fait des amis proches via le chat. On a échangé des mails. Vient un moment où l’on désire dire qui l’on est et ne plus se cacher derrière un pseudonyme. On résiste beaucoup la première fois, moins les suivantes. Un jour, par pure maladresse et sans aucune mauvaise intention, sans réaliser que c’était un problème pour moi, une fille avec qui je correspondais lâche mon nom complet en public, dans le chat. Bingo.

  2. Lorsque l’on écrit sur le web, les écrits ont tendance à s’accumuler. Il peut arriver, un jour, par hasard (et cela arrive!) que quelqu’un de notre entourage tombe sur nos écrits. Là , c’est le contenu de nos écrits qui nous trahit. Un billet ne trahira personne. Dix-huit mois de récit de vie, de cogitations, et d’états d’âme, oui.

Conclusion: l’anonymat sur le web n’est pas une chose sur laquelle on peut véritablement compter à long terme. Se pose alors la question de ce qui arriverait (les conséquences) s’il devenait connu publiquement que nos écrits précédemment anonymes nous appartiennent.

Quand je m’adresse à un public d’adolescents, clairement, il s’agit de prévenir des délits punissables par la loi ou des indiscrétions graves qui pourraient leur faire du tort. Beaucoup d’adolescents se sentent véritablement protégés par leur “anonymat” sur le web, qui est au fond très fragile.

Saturnin n’est plus un adolescent, par contre 😉 et ne va donc pas se croire “tout permis” parce qu’il ne signe pas de son nom. Même caché, il veut écrire de façon responsable:

Ma règle, c’est de fausser les noms et de ne rien publier que je ne pourrais assumer si j’étais découvert.

C’est fort bien. Assumer n’a ici pas une consonnance juridique, mais personnelle. Si Saturnin parle de sa vie sentimentale sur son blog, et que par un concours de circonstances encore inconnu, son nom devient public, alors il devra assumer face à son entourage ce dont il a parlé. Entourage qui inclut ses élèves.

Ma question à Saturnin: si ton anonymat “responsable et lucide”, comme j’ai envie de l’appeler, te fait choisir de n’écrire que des choses que tu es prêt à assumer face au monde, connu et inconnu, ton anonymat t’apporte-t-il réellement autre chose que la certitude qu’on n’aterrira pas sur ton blog lorsque l’on jette ton nom en pâture à Google? S’il te permet de te livrer plus qu’un simple “anonymat-discrétion” ou qu’une signature de ton simple prénom, n’est-il pas en train de te jouer un tour?

Bloguer anonymement [fr]

On peut vouloir l’anonymat sur son weblog pour deux raisons: (a) de peur que notre entourage ne découvre notre weblog, et (b) afin d’éviter d’être contacté nominalement par les inconnus.

[en] Two reasons, in my opinion, explain why people might want to blog anonymously: (a) to prevent people they know from reading what they write on their blog; (b) to prevent unknown people who read the blog from tracking them down. In both cases, there is a desire to create some kind of barrier between online and offline. In the first case, the aim is to prevent offline from penetrating online. In the second one, it is to prevent online from penetrating offline.

I think people who "go anonymous" for the first reason are those who are at risk of losing their jobs, falling out with family and friends, or at best, spend a few embarrassing moments if they are "outed". I personally think it's a pretty risky thing to do. On the other hand, I think the second reason can make sense, and even be a sensible choice in some cases -- for example, in the case of a lawyer who would not want to be contacted for professional reasons by people who know him through his weblog.

Lors de la première séance du “projet weblogs” avec les élèves (plus de détails prochainement, et un weblog séparé pour traiter de tout ça), nous avons discuté du fait que nous ne les laissons pas publier de manière “anonyme”. Bien sûr, leur nom de famille n’est pas révélé, mais leur véritable prénom l’est.

J’ai mis en avant ce que je considère depuis longtemps être les dangers du pseudonymat sur le web (je ne vais pas m’étaler, je l’ai fait bien assez déjà ): on risque de se permettre d’écrire des choses que l’on serait bien embarrasé d’assumer devant son employeur, ses grands-parents, ses copains ou la voisine du dessus.

En lisant Eolas, j’ai eu une soudaine illumination. En effet, je vois maintenant deux grandes familles de raisons pour lesquelles on pourrait vouloir ne pas révéler son identité sur son weblog:

  1. on ne désire pas que les gens qui nous connaissent puissent avoir accès à  ce que l’on écrit en ligne (on cache ce qu’on écrit)
  2. on ne désire pas que des inconnus puissent accéder à  son identité (on se cache).

La première est bien entendu celle qui peut nous valoir un jour ou l’autre de nous brouiller avec famille et amis, de perdre notre emploi, ou de subir encore d’autres conséquences désagreables.

La seconde raison est celle qu’invoque Eolas. Il est avocat, et ne désire certainement pas être contacté par le biais de son weblog pour des raisons professionnelles ou paraprofessionnelles. Je n’ai pas l’impression en le lisant, cependant, (qu’il me corrige si je me trompe, mais dans tous les cas, c’est un cas de figure que l’on pourrait imaginer) qu’il se retrouverait embarrassé d’une façon ou d’une autre si son entourage apprenait l’existence de ce weblog. Il serait même tout à  fait possible que les personnes qu’il connaît soient parfaitement au courant de ses écrits en ligne, sans que cela pose problème.

Si l’on choisit l’anonymat (ou le pseudonymat) pour son weblog, c’est qu’on est à  la recherche d’une certaine étanchéité entre sa vie d’auteur de weblog, et sa vie “tout court”. Dans le premier cas de figure, on cherche à  empêcher les gens faisant partie de notre vie hors-ligne de pénétrer dans la sphère du weblog; dans le deuxième cas, on cherche à  empêcher la sphère du weblog de déborder dans notre vie “tout court”.

Si je décourage fortement tout weblogueur de choisir l’anonymat pour la première raison évoquée ci-dessus (je pense, par exemple, que le “journal intime sur internet” que personne ne connaît est un leurre à  long terme), je suis nettement moins catégorique si les motivations sont de l’ordre de la seconde raison, et je pense que dans certains cas (celui d’Eolas par exemple), elle est même un choix raisonnable. Néanmoins, il faut garder à  l’esprit que l’anonymat ne dure que tant qu’il dure: que quelqu’un découvre l’identité d’Eolas et la mentionne ailleurs sur le web, et sa “couverture” s’en retrouvera affaiblie.