Noël du cerveau pas si joyeux [en]

Je cherche des métaphores. Je cherche une façon fait ressentir clairement à autrui ce qui se passe pour moi quand j’en fais « trop », neuf mois après mon accident, même après tout ce temps.

Ce ne sont que des métaphores. Aucune ne fonctionne vraiment comme il faudrait. Je n’ai pas de point de référence « avant accident » pour décrire cet état. Ce n’est pas la même chose que « être épuisée », « avoir mal à la tête », « être au bout du rouleau ». Ce n’est pas la même chose non plus qu’un burnout. Peut-être que ça se rapproche un tout petit peu de mon état après une nuit blanche, exercice que j’ai évité comme la peste tout au long de ma vie vu ce que ça me faisait. Sauf qu’il faudrait imaginer plusieurs nuits blanches à la suite, alors que là, c’est avec « de bonnes nuits de sommeil ».

Donc, les métaphores.

C’est comme quand tu as marché toute la journée, fait une randonnée de 8 ou 10 heures bien exigeante alors que tu n’es pas particulièrement entraînée, tu as fait le dernier kilomètre ou deux par la seule force de ta volonté, tes jambes sont en feu ou alors tu ne les sens plus, mais une chose est sûre en tout cas : tu t’es arrêtée, tu aimerais repartir, mais tu as beau donner l’ordre à tes jambes, elles refusent de marcher. Ou alors, si tu parviens malgré tout à les faire obéir, chaque pas est une torture qui te demande un effort surhumain.

Tes jambes, c’est mon cerveau.

Une autre.

C’est comme quand la batterie de ton téléphone est presque à plat. Cinq pour-cent, 4%, 3%… ça fonctionne encore, tout semble normal. Mais quand tu arrives à zéro, tout s’éteint. Alors tu mets le téléphone à charger, mais il y a un problème. Le chargeur charge lentement, très lentement, et le téléphone, juste pour rester allumé, vide la batterie presque aussi vite que le chargeur arrive à la recharger. Et dès que tu ouvres la moindre application, là, le téléphone vide carrément la batterie plus vite que le pauvre chargeur n’est capable de la charger.

Alors tu attends, patiemment. Le lendemain matin, la batterie est à 10%, 12% ! Tout va bien ! Tu démarres la journée, tout est normal, mets très vite, tu vois que ta batterie est déjà à 2%. Vite, vite, le chargeur ! À coups d’usage stratégique du chargeur, en faisant bien attention à quelles applications tu utilises, tu arrives miraculeusement au bout de la journée.

Le lendemain matin, après avoir chargé ton téléphone autant que possible, la batterie n’indique que 7%.

Sauf que le cerveau, il n’indique pas des pourcentages.

Elle est pas mal cette métaphore. On pourrait lui rajouter l’espace disque saturé, pendant qu’on est, parce que pour préserver la batterie tu avais mis la synchronisation vers le cloud sur pause. Et la bande passante qui se réduit à un petit filet, parce que le téléphone qui étouffe avec son disque dur plein, il faut quand même le laisser synchroniser un peu pour faire de la place…

Les applications?

Tout. On utilise notre cerveau pour tout. S’organiser. Écouter ce qu’on nous dit. Parler. Faire la vaisselle. Prendre des décisions. Écouter de la musique. Écrire. Faire un puzzle. Traiter toutes les stimulations externes, quand on va faire des courses, par exemple. Verser quelque chose dans une tasse sans mettre à côté. Bouger son corps, que ce soit pour marcher ou faire du judo. Gérer ses émotions. Interagir avec autrui.

Tout ça, et j’en passe.

Certains apps sont plus gourmandes que d’autres. Pour moi, interagir (surtout par oral), même si j’aime ça, ça bouffe vite de la batterie quand elle est deja bien vide. Décider, planifier aussi. Écouter de la musique (un podcast c’est plus facile… ce sont des sons plus… simples?) Être dans un endroit bruyant ou animé. Faire des tâches ménagères.

Moins gourmandes: écrire (des choses « faciles », comme cet article où il me suffit en somme de « penser à haute voix »), lire des messages (nettement moins coûteux qu’écouter un message vocal, généralement un calvaire), faire un puzzle, regarder une série TV divertissante, faire la sieste, me promener, parler d’un sujet que je maîtrise bien.

Aujourd’hui: la batterie est tellement à plat que j’ai du mal à faire tourner même les applications peu gourmandes.

Concrètement: hier j’ai dû abandonner mes invités lors du réveillon de Noël. Aujourd’hui, au lieu d’aller au Noël familial, je reste chez moi, et j’ai annulé un petit Noël entre amis que j’avais organisé pour le 26 et dont je me réjouissais vraiment. J’espère réussir à sauver mes vacances à la montagne la semaine prochaine, mais ce n’est pas garanti.

Comment j’en suis arrivée là? Ah, si seulement on pouvait être aussi intelligent avant qu’on ne l’est après!

Vendredi, examen médical de routine sous propofol (tout est en ordre, rien à signaler). Je pense que j’ai largement sous-estimé l’impact pouvait avoir cette sédation, sur fond de petite nuit et de semaine un peu stressante. Dans ma vie pré-accident, j’ai toujours récupéré très bien, je m’attendais donc pas à grand-chose, ou peut-être juste un peu plus de fatigue que d’habitude le jour même.

Samedi, j’avais une grosse journée de prévue, avec entre autres un aller-retour à Genève en voiture, qui a été compliqué par des bouchons importants sur le chemin du retour. Je suis arrivée au terme de cette journée complètement hors service. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille, mais je me suis dit « une bonne nuit de sommeil, tranquille demain, ça va passer ».

Dimanche au réveil, mal à la tête, assommée, donc journée peinard, une copine qui passe boire le thé l’après-midi, ça me fait plaisir, tranquille… mais le soir c’est encore pire.

Le mercredi je reçois la famille pour le 24. Alors lundi et mardi, j’essaie tant bien que mal, élaguant au fur et à mesure pour ne garder que le minimum vital de ce qui doit être fait, avec ma batterie entre 2 et 5%, les cadeaux, les quelques autres choses que seule moi puis faire, déléguer le reste ou faire passer à la trappe. Malgré ces efforts, je n’ai pas réussi à récupérer— chaque jour à même été pire que le précédent.

En fait, j’aurais tout dû annuler lundi, avec le recul. Ou même dimanche. Mais qui a envie d’annuler Noël, à part le Sheriff de Nottingham? J’ai tenté de ménager la chèvre et le chou, de m’accrocher tout en étant raisonnable, de faire des compromis. Mais ça n’a pas suffi.

Résultat: je ne pense pas m’être retrouvée aussi hors service depuis des mois. Je ne sais pas combien de temps il va me falloir pour reprendre pied. C’est décourageant, vraiment, de se « planter » encore aussi magistralement après tant de temps, alors même qu’on fait justement de gros efforts pour ne pas. Réussir l’équilibre entre être assez prudent et se laisser quand même de la place pour vivre, c’est loin d’être simple.

One thought on “Noël du cerveau pas si joyeux [en]

  1. Je t’envoie une brassée d’ondes positives. La période des Fêtes est stressante même si on ne s’en aperçoit pas forcément. La charge qui va avec est masquée. Ton texte le rappelle. Prends bien soin de toi. Je t’embrasse.

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