Quand tu marches dans la montagne, tout ce que tu as part dans tes jambes, tes jambes qui te portent un pas après l’autre, sur le chemin, un pas, un pas, un pas, plein de pas.
Il n’y a plus rien pour ton cerveau, dont le mouvement devient inversément proportionnel à celui de ton corps. Tu marches.
Autour de toi des millénaires de roche t’observent. L’espace immense te fait rétrécir. Réfléchir aussi parfois, en tâche de fond, sans même que tu ne t’en rendes compte. Toujours ces pieds qui marchent, le souffle court, allez, un pas, un pas, un autre pas encore, l’odeur du sol sous tes pas.
Ce n’est pas toujours confortable, ce corps qui grimpe et avance tant bien que mal.
Des fois il n’y a plus que lui, même le paysage disparaît – que dire donc des pensées. Mettre un pied devant l’autre, inspirer, expirer, poser le pied ici, le suivant là, ne pas glisser, assurer le pas sur le sol, la tête remplie du bruit des muscles fatigués et de la peau qui chauffe.
Être étrange parmi les arbres quand il y en a encore, parmi les sommets quand ils sont en vue, tu as laissé en bas tracas et peines, fardeaux inutiles pour aller disparaître sur les chemins.
Peut-être, si tu as de la chance, tu ne feras qu’un avec le chemin. Tu sentiras ton âme se dissoudre dans le monde qui t’entoure – ce monde sauvage qui n’a aucun besoin de toi.
Je me demande souvent ce qui fait que la randonnées en montagne est à la fois très désagréable (transpiration, rythmes cardiaque et respiratoire élevés, parfois douleurs musculaires, etc.) et l’une des choses qui me fait le plus de bien au monde. Je ne suis pas religieux, mais il y a probablement quelque chose de l’ordre de la beauté, de la transcendance et, comme tu le dis (?), de l’insignifiance (“ce monde sauvage qui n’a aucun besoin de toi”).