Larmes virtuelles [fr]

Aujourd’hui j’ai de nouveau pleuré devant mon écran pour la mort d’un chat que je n’avais jamais rencontré. Je pleure parce que je me projette dans la peine de sa maîtresse effondrée et inconsolable, et aussi parce que je sais que tôt ou tard ce sera mon tour.

J’en ai vu mourir, des chats, depuis deux ans et demi. Dans un groupe de chats diabétiques qui approche maintenant les 900 membres, ça fait beaucoup de chats, tous avec au moins une maladie chronique, et souvent plus, vu que beaucoup des chats du groupe sont des chats seniors, ou des diabétiques difficiles à réguler et dont on découvre par la suite un autre souci de santé.

Dans le groupe Diabète Félin, nous avons une véritable communauté. Il y a des liens forts qui se créent. On se connaît, on se suit, on est inévitablement embarqué dans les espoirs et les désespoirs des uns et des autres. On partage un souci commun, on se serre les coudes, on trouve du soutien auprès d’autres “comme soi” quand on n’a pas la chance d’avoir un entourage qui comprend l’attachement qu’on peut avoir pour un petit animal qui ronronne, ou l’investissement auquel on est prêt pour le soigner et lui offrir une bonne vie.

Mais bon, me direz-vous, tous ces petits chats croisés sur Facebook ne sont que des chats “virtuels”. Je ne les ai jamais vus, jamais caressés, ils n’ont jamais ronronné dans mes bras. Certes. Mais j’ose espérer qu’en 2020, on a compris que le lien pouvait se créer sans présence physique. Le lien avec les humains, que l’on apprend à connaître dans un contexte pas toujours facile, et indirectement, à travers une photo par-ci par-là, une anecdote, et surtout l’amour que leur témoigne leur maître, le lien avec ces chats que l’on n’a jamais rencontrés. Et tout ceci se fait d’autant plus facilement et naturellement qu’on a aussi un chat malade qu’on aime et qu’on soigne.

Ce lien n’est pas le même pour chacun de ces “chats des autres“. Il y a des histoires qui nous touchent particulièrement, des humains avec qui on a des atomes crochus, certains qui sont plus présents, d’autres pas. Chaque chat qui meurt est une perte immense pour son maître ou sa maîtresse, et leur douleur m’atteint toujours. Je me dois pourtant d’essayer de garder un peu de distance, simplement parce que c’est trop dur, autrement. Samedi passé, trois chats sont morts coup sur coup. C’est un exercice difficile, la distance juste. Il m’importe d’être “émotionnellement honnête” dans mes rapports avec les gens, en ligne également. Ça a un coût. Et il m’importe aussi de me ménager suffisamment pour pouvoir continuer à être là, à faire ce que je fais. Donc je m’adonne à cet exercice (le travail d’une vie!), avec plus ou moins de succès suivant les jours.

Certains décès me tourneboulent plus que d’autres, parce qu’au-delà de la douleur visible de celui ou celle qui vient de voir mourir son chat, et qui fait inévitablement écho à la mienne, passée et future, je suis touchée plus personnellement. Souvent, c’est simplement que je connais particulièrement bien le chat en question et son histoire, ou l’humain ou l’humaine qui partage sa vie. Quand on s’implique pour aider quelqu’un, qu’on y met de l’énergie, on s’attache. C’est aussi bête que ça.

Aujourd’hui, je pleure parce que je sais que l’heure de Quintus se rapproche, même s’il s’est miraculeusement stabilisé ces dernières semaines. La profonde peine et la détresse de quelqu’un d’autre est venue réveiller la mienne, dormante et enfouie, pour me rappeler qu’elle m’attend au contour. Je pleure aussi parce que j’y croyais, pour cette minette. J’espérais qu’on allait pouvoir faire quelque chose pour elle. Et enfin, je pleure car je suis triste pour cette femme qui vient de perdre son chat qui comptait tant pour elle, et pour lequel elle a tant fait. Sans la connaître vraiment, je la connais quand même un peu, et je souhaitais du fond du coeur une autre issue pour elle.

Tous nos chats vont mourir. Chaque fois que l’on est témoin de la grande tristesse que cet état de fait amène inexorablement, on a le choix. On peut fuir, on peut se laisser emporter par le désespoir, ou on peut remercier de nos larmes, avec conscience, le petit être qui partage encore notre vie.

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One thought on “Larmes virtuelles [fr]

  1. Merci pour ce message qui me parle tant.

    Surtout en ce moment. 😥

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