Il y a quelques temps, genre avant l’été je crois, on me suggérait, pour certaines choses que j’avais du mal à faire, de me récompenser. Ma réaction classique devant ce genre de proposition a fusé: pas question, avec moi ça ne marche pas, parce que la récompense, si j’en ai envie, je me l’octroie d’office, que j’ai fait ou pas, que je “mérite” ou pas, et les carottes ça tue la motivation intrinsèque, de toute façon.
Mais ça m’a trotté dans la tête, cet échange, durant les semaines qui ont suivi. Et un jour, face à une de ces tâches pour lesquelles j’aurais pu imaginer tenter de me “récompenser”, j’ai réalisé que je regardais cette histoire de récompense par le faux bout. Il ne s’agit pas de me récompenser si je fais la chose, mais parce que je l’ai faite.
Deux choses ont alimenté cette prise de conscience:
- en training avec des animaux, on récompense les comportements désirés pour les renforcer
- Dan Pink, dans son livre Drive, que j’avais lu avec grand intérêt à l’époque, racontait qu’il fallait utiliser des récompenses “parce que… donc” au lieu de “si… alors” pour motiver les gens (au lieu de “si on bosse bien alors on fera une fête”, tenter “on a bien bossé donc on va faire une fête” – vous sentez la différence immédiate que ça fait?)
Tout ça est venu ensemble: si la récompense est brandie comme une carotte, là clairement pour moi ça ne marche pas. “Allez, si tu fais xyz alors je te donnerai la jolie carotte.” Ça ne marche pas, parce que moi si je veux la carotte je vais la prendre toute seule, condition ou pas.
Ce qui me rebrousse-poile dans ce scénario c’est la condition, qui implique une menace de rétribution/privation/punition en cas de non-compliance, en fait: si tu fais pas xyz alors je ne te donnerai pas la jolie carotte, tant pis pour toi!
Et moi, là, je prends la carotte et je la mange ostensiblement sans avoir fait xyz, majeur en l’air.
Donc me dire, allez, si je fais ça je m’octroie un truc sympa, c’est limite comme si je préparais un moyen de me punir quand j’échouerai à le faire.
Par contre, l’idée de rajouter un truc sympa après avoir fait un truc un peu chiant pour me féliciter/récompenser de l’avoir fait, après coup, ça me parle. Eh, j’ai fait xyz! Allez, pour marquer le coup, renforcement positif, je vais manger une bonne petite carotte. Et en faisant ça, mon cerveau fait une association “xyz => carotte” qui rend xyz plus agréable et moins aversif, et augmente mes chances de refaire xyz à l’avenir.
Tout comme, si le chat reçoit une friandise alors qu’il est monté sur la table, on augmente les chances qu’il monte à la table à nouveau.
J’ai fait ça avant-hier. J’avais fini de manger, et j’avais envie de taper dans les excellents caramels à la crème (fleur de sel des Alpes, siouplaît) qui attendaient au fond de mon tiroir. Mais je n’avais pas fait la vaisselle. Donc je me suis dit, allez hop, je fais vite la vaisselle, et après je vais savourer mes trois petits caramels, avec une tasse de thé en bonus. J’ai vite fait ma vaisselle, puis savouré tranquillement mes caramels et mon thé.
Ce qui est clair par contre, c’est que si je n’avais pas du tout envie de faire ma vaisselle, et que je m’étais dit “hmmm, qu’est-ce que je pourrais m’offrir de sympa pour me motiver à faire ma vaisselle?” (état d’esprit: comment je me corromps, quelle carotte je brandis), ça n’aurait pas marché. Ça aurait même été contre-productif, l’idée qu’il faut “mériter” son plaisir me rendant très grinche.
Et aujourd’hui, il se passe un truc intéressant. Je lorgne sur les trois derniers caramels du paquet. J’ai failli tendre la main et les prendre. Puis je me suis dit, me souvenant de mon agréable moment thé-caramels: ok, en fait je vais d’abord écrire l’article de blog que je procrastine depuis hier, je vais faire la vaisselle, faire un saut au magasin pour faire les courses de la semaine, faire quelques pas dehors comme me l’a ordonné la médecin, puis je m’installerai sous une couverture avec un thé, les caramels, et un podcast…