Je refuse de me réjouir [fr]

Je refuse de me réjouir. Je refuse de me réjouir de l’air plus clair, des animaux plus libres, du silence et du calme, du rythme de vie moins frénétique, des changements que vit notre société, des remises en question de nos décisions politiques.

Je refuse de me réjouir de ce “positif” que l’on paie de tant d’angoisse, de détresse, et de mort.

Nous sommes en crise. Evidemment, en crise, il y a des changements radicaux. Evidemment, le soleil continue à briller à travers les nuages, et il y a des bonnes choses à regarder pour nous aider à supporter la réalité du monde.

Mais comment peut-on se réjouir de la baisse de la pollution alors que des économies entières sont mises à genoux, des populations entières sont paralysées, les morts se comptent (pour le moment encore) en dizaines de milliers? Il faut aimer bien peu l’humanité pour se réjouir ainsi du désastre qui nous frappe.

Oui, résolvons les problèmes du monde en stoppant toute l’industrie, en plongeant dans la récession tête la première! Les gens qui tiennent ce genre de discours “positif” comprennent-ils vers quoi nous nous dirigeons? C’est bien une planète plus verte, je suis à 100% pour, mais quel prix sommes-nous prêts à payer? Faisons mourir de faim et de maladie les gens, ralentissons l’économie, ça fera moins de monde sur notre planète et moins d’émissions, c’est super.

Alors non, je refuse de me réjouir. Je trouve ça indécent.

Quand l’immeuble qui me bouchait la vue brûle et s’effondre, je ne vais pas crier de joie parce que je revois enfin les montagnes.


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10 thoughts on “Je refuse de me réjouir [fr]

  1. Hello

    je vais essayer de t’expliquer ce que je ressens. Dans des moments très difficiles de ma vie, j’ai tenu grâce à ce que j’appelle les “petits bonheurs”. C’est à dire, chaque jour, tous les soirs, faire la liste des petites choses bien qui m’étaient arrivées dans la journée, une belle lumière, un sourire dans la rue, etc.

    Pour moi, mais de l’extérieur ça ne se voit pas 🙂 , il y a une énorme différence entre profiter du chant d’un oiseau (ce que je fais régulièrement en ce moment), et me réjouir du fait de pouvoir l’entendre grâce à une baisse de l’activité humaine liée à une situation dramatique.

    Ce sont bien sûr deux événements qui sont liés, mais profiter du second ne veut pas dire que je trouve un aspect positif au premier. Est-ce que j’échangerais la situation avant le covid contre mon chant d’oiseau ? Mille fois oui.
    Est-ce que profiter de mon chant d’oiseau va changer quoi que ce soit à la situation ? Absolument pas.

    De la même façon, j’espère – et ce serait une chose positive – qu’on puisse tirer les leçons de ce qui nous arrive, et avancer vers un mode de développement autre (sans trop y croire), mais jamais je n’aurais souhaité ce qui arrive.

    Par contre, je voyais depuis longtemps venir une énorme crise. J’avoue que je la voyais plutôt violente, entre autres, à cause d’un bellicisme américain marqué (relire Chomsky, par exemple, qui montre comment les américains se sont toujours sortis de leurs crises économiques par la guerre), et là, oui, j’avoue sans aucune honte que je préfère ce qui nous arrive maintenant à l’horreur de la guerre.

    En ce sens, et en ce sens seulement, je me réjouis que cette épidémie ne soit “que cela”, c’est-à-dire que – pour nous – elle arrive en temps de paix, qu’elle arrive à un moment où on n’a pas d’énorme catastrophe naturelle à gérer en même temps (ah, le charme d’une grosse explosion volcanique avec son nuage de cendres qui tourne autour de la terre… ou d’un mega tremblement de terre), que nous vivions à une époque de progrès technique qui permet à beaucoup de gens de continuer à travailler sans risquer leur vie.

    Philosophiquement (ou spirituellement, ou religieusement, comme tu veux l’appeler), j’ai un idéal proche de celui décrit par Hermann Hesse dans Siddhartha. Ou, dans les termes d’une autre religion, je crois qu’on peut “être heureux au milieu de ses (propres) tribulations” (j’ai rajouté le “propre” qui est important).
    En pratique, nous sommes tous heureux au milieu des tribulations des autres, du moment qu’elles sont un peu éloignées, et c’est une bonne chose. La misère du monde est telle que si on n’avait pas cette capacité de bonheur, d’oubli de nos micro-responsabilités dans le malheur des autres, on deviendrait totalement fous.

    Donc si je pouvais résumer mon arbre de décision 🙂

    est-ce que je suis dans la merde ? Oui, mais pas trop
    est-ce les autres sont dans la merde ? Oui, certains beaucoup plus, d’autres moins
    est-ce que je peux y faire quelque chose ? Non (sauf à respecter les consignes de confinement)
    est-ce que ce chant d’oiseau me plait ? Oui
    est-ce qu’en profiter change quoi que ce soit aux trois premières questions ? Non
    est-ce que je suis capable d’en profiter ? ça c’est une réponse individuelle, pour chacun, et je comprends très bien qu’on ne puisse pas le faire

    Cette focalisation, ce recentrement sur soi, peut sembler égoïste. Mais, étant donné que je ne peux rien faire concrètement, je le perçois comme l’équivalent moral des gestes barrières : maintenir mon état d’esprit et mon moral en bonne santé.

    Les gens qui tiennent le discours positif qui te hérissent le font peut-être aussi, simplement, pour se rassurer. Moi, ma première réaction dans la thématique “planète plus verte” a été au contraire “on voit le prix énorme de la transition écologique”.
    Surtout, je crains qu’ils aient tort : la production, la consommation vont repartir de plus belle, pour soutenir l’économie, rattraper le temps perdu… comme on l’a toujours fait après chaque catastrophe, chaque conflit.

    Finalement, voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ne change pas la quantité d’eau 🙂 Je crois que, sur le fond, on pense la même chose, mais en l’exprimant très différemment

    Je te remercie de m’avoir donné l’occasion de clarifier (pour moi) ce que je pense et te souhaite une belle journée.

  2. Alors en fait je suis complètement d’accord avec toi. Focaliser sur les “bonnes petites choses” est quelque chose qui me parle depuis longtemps. https://climbtothestars.org/archives/2013/08/30/three-good-things/

    Je me dis que j’ai du mal m’exprimer, car je n’essayais pas de dire que je me refusais à prendre plaisir dans le chant de l’oiseau car mon quartier est tranquille. Ce que je refuse de faire c’est dire “regardez ce qui est possible!” en montrant du doigt la carte de la pollution sur le globe. Ou de dire: “regardez comme c’est mieux avec moins d’activité humaine”.

    Je pense comme toi que cette crise sera suivie d’un “boum” d’activité, je pense aussi que pour l’essentiel ça reprendra comme avant, si ce n’est que nous garderons peut-être des “outils” au sens large que nous aurons dû développer pour survivre à la crise. La crise force à faire les choses différemment, et parmi ces choses qu’on apprend à faire autrement, il y en aura peut-être qui resteront. Ou nous feront repenser notre façon de faire “d’avant” quand on la reprendra.

    Bon pis toi, quand est-ce que tu te remets à bloguer? 🙂

  3. Non, tu ne t’es pas mal exprimée, c’était très clair 🙂 c’est pour ça que j’ai dit qu’on pensait la même chose.

    Tu n’étais pas la première à dire “je refuse de me réjouir”, et d’une certaine façon, chez d’autres qui étaient très normatifs, j’ai pris ça comme une agression de mon bonheur du ciel bleu et de la pluie. Et puis j’ai un côté très “essayons de voir le positif de toute chose, quasiment rien n’est totalement noir” qui peut être assez exaspérant. Donc te répondre m’a vraiment aidée à faire le tri dans ma tête.

    Moi j’aurais tendance à dire : “là vous avez vu l’impact de l’activité humaine, donc comment on arrive à retrouver cet état en préservant le bien-être des gens ? mais n’oubliez pas tout ce que vous aviez totalement perdu et oublié, comme la grenouille qui meurt peu à peu dans la casserole”.

    On verra bien…

    Je continue à bloguer 🙂 je publie de temps en temps sur o-maroc.com (je suis en train de faire une V2, une activité de confinement parfaite). J’en prépare un dédié à mes aventures culinaires. Mais mon blog perso, c’est mort pour l’instant, trop lié à une époque. Et surtout, je n’ai plus envie de discuter avec des inconnus, en plus en ce moment tout le monde est à cran. Je préfère commenter chez les ami.e.s

    Simplement, pour moi, en ce moment, me réjouir est essentiel. Je gère mon

  4. Ne pas avoir envie de discuter avec des inconnus, je comprends bien! Ces jours même les connus je ne suis pas sûre 😉

    Tu sais, moi aussi, je cherche toujours à voir le positif dans une situation. Enfin je crois. Mais je me prépare aussi toujours au pire (hope for the best, prepare for the worst). Se préparer au pire ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour l’espoir, et pas de place pour regarder le soleil et le ciel bleu. Ah, des fois j’ai l’impression d’être compliquée!

    Continue à commenter ici, ça me fait plaisir. (Je pense en passant que ta dernière phrase s’est perdue en route…)

  5. Elle s’est perdue effectivement, et je l’ai perdue aussi. Ce n’était pas une pensée essentielle 🙂

    Se préparer pour le pire est une bonne chose, quand on peut le faire. En ce moment, j’imagine que les survivalistes et les mormons doivent bicher mais à moins d’être sur ses terres, avec ses sources d’énergie autonomes, sa propre production de nourriture et ses armes pour se défendre, on ne peut rien contre un certain niveau de “pire”. Par contre, on peut voir jusqu’où on est capable de tenir.

    Bonne nuit 🙂

  6. Alors j’écoutais justement un podcast sur la question qui disait que les survivalistes étaient pas forcément les mieux “préparés” à faire face à la situation actuelle, parce que ce à quoi ils se préparent est un peu de l’ordre du fantasme et ne ressemble pas vraiment à notre réalité. Je peux retrouver si ça t’intéresse!

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