Lausanne, 2 mars 2003
Introduction
Je pense qu’il faut distinguer deux façons de promouvoir le français :
- promouvoir l’utilisation du français plutôt que l’anglais, par exemple (dans un monde où l’anglais occupe de plus en plus une place de lingua franca, pour le meilleur et pour le pire)
- promouvoir l’utilisation d’une certaine qualité de français, notamment en réduisant le nombre de mots et de structures d’importation étrangère (provenant de l’anglais en particulier)
Peut-être faudrait-il parler de degrés de promotion de la langue, l’un plus poussé que l’autre.
Au risque de faire dans la simplification, lorsque je m’attache à promouvoir le français, j’opte pour la première approche. Ce qui compte pour moi, c’est que les gens écrivent en français, peu importe que celui-ci soit helvétique, québécois, académicien, ou matinée d’anglicismes. Cela reste du français tant qu’il nous permet de communiquer.
Les Québécois (généralisation peut-être abusive, et Dieu sait que comme vous je déteste les catégorisations et les étiquettes que l’on pose sur des petites boîtes bien étanches) tendent à accorder beaucoup d’importance au deuxième point dans ma liste. Le Québec a sa problématique linguistique particulière, ancrée dans son histoire que je ne connais d’ailleurs pour ainsi dire point. Je ne me permettrai donc pas de juger du bien-fondé ou de la pertinence de cette deuxième approche dans le contexte québécois, mais ce n’est pas mon combat.
Voici quelques réflexions sur les langues, le français, et ma position là -dedans.
Je suis bilingue
Comme vous le savez certainement tous depuis le temps, je suis bilingue. Depuis toujours. Quand j’étais petite, je commençais mes phrases en anglais et je les finissais en français (et vice versa). Encore aujourd’hui, j’ai tendance à mélanger mes deux langues. J’importe librement des mots et expressions de l’une à l’autre, au risque de voir poindre parfois un point d’interrogation sur le visage de mes interlocuteurs moins bilingues que moi—le même point d’interrogation qui apparaît d’ailleurs chez mes interlocuteurs non helvètes lorsqu’il m’arrive (plus souvent que je ne le pense et parfois bien malgré moi) d’utiliser un mot ou une expression « bien de chez nous ».
Bref, tout cela pour vous dire qu’un de mes plus grands plaisirs linguistiques et de me retrouver avec d’autres personnes suffisamment bilingues pour que l’on n’ait pas besoin de faire attention quelle langue on parle. C’est bien sûr une préférence tout à fait personnelle et étroitement liée à mon histoire.
Régionalismes : la langue n’est pas homogène
Sans aller jusqu’à dire que seul l’usage fait foi, je considère que les normes d’une langue ne sont qu’une formalisation de ce qui est devenu « usage accepté ». Lors d’un cours que j’ai suivi sur le français oral, l’enseignante avait introduit la notion de « faute perçue », que j’avais trouvée fascinante. En effet, les règles de grammaire de syntaxe de l’écrit ne peuvent certainement pas être appliquées telles quelles à l’oral. L’idée de la « faute perçue » est la suivante : est-ce que « ça se dit » ou pas ? On prend un échantillon de la population dans une région donnée, et on regarde le résultat. On s’aperçoit que certaines choses sont perçues comme faute par une portion importante de la population locale, alors que ce n’est pas le cas ailleurs. Je ne vous apprends rien, il y a des variations régionales (et même pire).
L’écrit est plus figé que l’oral, la faute à l’imprimerie. Cependant, on y retrouve également ces variations : on appelle ça des « régionalismes », j’imagine que je ne vous l’apprends pas non plus. Une même langue se décline en différentes variantes, et si on va jusque dans les détails, on a chacun « sa » langue.
Prenez deux groupes parlant la même « version » d’une langue, isolez-les géographiquement et regardez le résultat. Lisez à ce propos l’excellent livre de Bill Bryson Mother Tongue, qui explore entre autres les origines historiques des différences linguistiques entre l’anglais d’Angleterre et celui des États-Unis.
Les langues se mélangent
Je considère qu’une langue est en perpétuel développement. Certains mots tombent en désuétude, d’autres apparaissent. On perd de la richesse sur certains plans, on en gagne sur d’autres. De nouvelles langues prennent forme alors que d’autres meurent. Pour que le français prenne la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, il a fallu entre autres choses que le latin meure.
Les langues se développent au contact les unes des autres. Les mots voyagent, véhiculant avec eux des concepts peut-être nouveaux. Bill Bryson fait dans le livre cité plus haut une brillante démonstration des interactions entre l’anglais et le français au cours de l’histoire. Le français que nous connaissons (même le plus « pur ») contient beaucoup d’anglais, et l’anglais contient beaucoup de français. Certains anglicismes sont en fait des mots qui proviennent à la base du français.
Je vis dans un pays quadrilingue. On pourrait même dire « quintilingue » si l’on ajoutait à ces quatre l’anglais, souvent utilisé (dans le monde de l’entreprise notamment) pour surmonter les barrières linguistiques. Le français de ma région est très tolérant des importations étrangères, que ce soit de l’anglais ou de l’allemand. Certaines importations sont « perçues comme faute », d’autres pas. Ici, on aime le mélange. Au Québec, on s’attache plutôt à préserver une certaine étanchéité entre l’anglais et le français (encore généralisation sans doute abusive).
Le mélange de langues ne me dérange donc absolument pas. Je l’aime même. La question de la « pureté » de la langue ne me tracasse pas trop, même si (et je comprendrais que cela puisse sembler paradoxal) j’attache de l’importance à une grammaire, une orthographe une syntaxe correctes à l’écrit. (Mon point de référence pour ce qui est « correct » est peut-être un petit peu spécial. Dans tous les cas, il ne se limite pas à ce qu’édite l’Académie française.)
En guise de conclusion…
Bon, ça part un peu dans tous les sens. Essayons de tirer quelques conclusions et de vous offrir un résumé de mes positions.
Ce qui est important pour moi, c’est que les gens écrivent sur Internet en français. Lorsque l’on maîtrise un tant soit peu l’anglais, il est plus que tentant de se limiter à produire du contenu en anglais, susceptible de toucher un plus grand nombre de personnes. À tant vivre avec l’anglais, on en oublie qu’il y a des gens qui ne maîtrisent pas cette langue. Du coup, si toutes les personnes qui ont accès au « web anglophone » ne font plus que contribuer à celui-ci, on risque très réellement un appauvrissement du « web francophone ». Pompage.net a été créé pour injecter dans un milieu francophone un savoir élaboré et publié dans un milieu anglophone.
Je ne pense pas qu’il faille s’acharner à éradiquer du français toute présence anglaise. Dans les limites du raisonnable, bien sûr, on peut s’élever contre l’utilisation gratuite d’un terme anglais alors qu’un équivalent français parfaitement usité existe déjà . Mais il ne faut pas se leurrer : les langues ne sont pas des systèmes étanches, et l’anglais est très présent dans le monde d’aujourd’hui—surtout sur le web.
Je crois également que l’usage est plus fort que les normes. Ce sont ces dernières qui s’adaptent, et non le contraire. Si les gens utilisent le mot « weblog », un mot anglais importé en même temps que l’objet qu’il décrit, il n’est pas très utile à mon sens de tenter à tout prix de le traduire (encore moins en inventant un nouveau mot).
Chers amis, écrivez donc en français. Je me fiche de savoir si vous y glissez de l’anglais, tant que vous soignez votre orthographe !
Je suis heureux que je ne sois pas la seule personne qui pense comme vous. Il y a beacoup de langues dans le monde et le français est l’une de ça. Le français que j’entends ici en Belgique est aussi un peu différent qu’ailleurs. Moi je suis un peu trilingue, parce que j’habite en Flandre. Ici on parle le néerlandais qui est aussi un peu différent que le néerlandais aux Pays-Bas. Avec mes parents je parle le Turc et j’ai des amis à Liège avec qui je parle en français.
J’espère que le français restera une langue ouverte et pas comme le latin qui ne progrèsse plus.
Merci et au revoir
… salutations d’un Suisse qui tient son blog en français!
Petite nuance cependant: le latin évolue encore et toujours, mais pas forcément dans le sens qu’on croit. Il me paraît difficile de le considérer comme mort, dans la mesure où il est toujours écrit (bandes dessinées traduites!) et parlé (il existe çà et là des exemples de journaux radiophoniques en latin, particulièrement en Finlande), et son lexique a été adapté au monde moderne et à toutes ces choses que nous avons et que les Romains n’avaient pas. Et on estime à 14 millions, si je me souviens bien, le nombre de personnes aptes à comprendre le latin en Europe. Enfin, certains verraient d’un bon oeil son imposition comme langue officielle de travail dans l’Union européenne, à la place d’un anglais trop envahissant et qui, finalement, n’est la langue maternelle que d’une minorité d’Européens.