Le Mont, 27.08.92
This text was my first and only 10 (out of 10!) in French composition.
Ce texte a été mon premier et dernier 10 (sur 10!) en composition française.
Jusque là , elle avait flotté dans un nuage de petites bulles cotonneuses, sans se soucier d’où pouvaient bien être le bas et le haut. Tout lui était agréable: elle ne pesait rien, elle ne sentait rien.
Puis, lentement, très très lentement, elle avait perdu un peu de sa légèreté. Un “dessous” et un “dessus” existaient à présent: ses yeux fermés regardaient vers le bas.
Et puis la sensation de quelque chose contre elle, à peine une carese pour commencer, comme un drap de soie sur le devant de son corps: elle se posait en douceur, les yeux toujours clos.
Le drap s’était ensuite tendu sous elle, tandis qu’elle avait continué à descendre petit à petit, lourde, toujours plus lourde…
Maintenant son drap a une épaisseur, une consistance. Ses membres de plomb sont encastrés dans ce matelas de sable et se figure se noie dans l’oreiller.
Une force énorme l’écrase, elle doit soulever des tonnes à chaque fois qu’elle respire; mais ce n’est pas désagréable. Cela lui donne un sentiment de matérialité.
Son bras bouge légèrement et frôle sa tête. Elle remue imperceptiblement, pour redevenir complètement immobile. Tout est sombre à nouveau.
Quelques bulles floconneuses viennent se poser près d’elle sur le lit, mais le poids de son corps la retient au sol. Plus question de se laisser emporter.
Elle remue de nouveau un peu, ses bras, sa tête. Impossible de bouger ses jambes. Elles sont comme paralysées, comprimées par une force plus grand encore que celle qui l’attache à sa couche. Elles sont chaudes, chaudes et mortes. La brume dans sa tête se dissipe légèrement. Elle tente de rouler sur le dos. Vainement.
Elle entrouvre prudemment ses yeux encore ensommeillés; la lumière qui inonde son coussin est trop violente et elle les referme aussitôt. Elle reste un moment ainsi, tranquille, sans trop penser. Son esprit vagabonde un peu. Sensation plaisante. Elle se moque de l’heure, elle a toute une longue éternité devant elle sans rien à faire.
La brume a complètement disparu à présent. Elle soulève une paupière, doucement. Puis l’autre. Elle cligne des yeux plusieurs fois, éblouie; le soleil l’éclaire. Sans changer encore de position, elle fixe le mur devant elle. Blanc constellé de bleu. L’oreiller. Bleu plus clair, avec une tache sombre là où le soleil n’a pas réussi à l’atteindre.
Elle déplie un bras, puis l’autre, et plonge sa tête dans l’oreiller. Le tissu est chaud. Il sent bon, aussi.
Elle se soulève à moitié et se met sur le côté, mais ses jambes refusent de suivre. Elle a conscience d’un poids posé derrière ses genoux, mou, et assez pesant pour gêner ses mouvements. Elle remue encore, avec plus d’insistance cette fois. Ses jambes s’allègent et semblent s’envoler.
Le chat s’étire paresseusement et saute du lit. Il s’en va tranquillement, son long panache s’étirant derrière lui.
Libre enfin de plier ses jambes et de se retourner comme il lui plaît, elle tend tous ses membres et contracte ses muscles. Un long tremblement l’envahit. Elle se relâche, puis s’étire une nouvelle fois.
Totalement détendue et plus légère qu’avant, elle referme les yeux et écoute le silence. Un silence immobile et calme, total. Même pas le son de sa respiration ou de son coeur qui bat… A mesure qu’elle écoute, le silence s’épaissit, il devient lourd, gênant, il l’empêche de respirer et la remplit toute entière.
Son doigt trouve le bouton de la radio. Musique de discothèque. Un rythme effréné lui martèle les oreilles, son coeur se met à frapper fort dans sa poitrine. Pas de mélodie, rien que des coups, ça fait mal, c’est pire que ce silence, arrêtez ça! Elle éteint.
Mais cette immobilité oppressante et silencieuse reprend de l’ampleur, la laissant totalement solitaire et asphyxiée. Ses yeux fixent le plafond, blanc éclatant et dure comme de l’émail. Menaçant. Elle s’assied d’un coup et se met à fouiller frénétiquement dans sa collection de cassettes. Enfin. Elle a trouvé. Une mélodie douce flotte à travers la pièce, chassant ce silence empoisonnant. Elle se laisse bercer. La musique l’emplit sans l’étouffer, elle la réconforte, la rassérène. Elle se sent toute calme et sombre dans un demi-sommeil, tout en gardant conscience d’elle-même. La musique est toujours là , le soleil aussi qui chauffe son visage. Ils sont une partie d’elle, ils ne sont rien sans elle, ils n’existent même pas.
Lorsqu’elle ouvre les yeux, la musique a disparu et la lumière a changé. Elle s’étire en un frémissement; son bras retombe à côté du lit, sur son livre de chevet. Elle le ramasse et l’ouvre là où elle l’avait abandonné.
Elle a un joli marque-pages, un de ceux qui inciteraient à lire rien que par leur seule beauté. Couleurs harmonieuses toutes mélangées les unes autour des autres en une tornade lumineuse et douce, et petites franges à une extrémité. Ils sentent aussi la bonne odeur de tous ces livres qu’ils ont connus, les vieux aristocrates reliés cuir, qui gardent toujours jalousement un morceau du passé, ou bien les livres de poche bien neufs, sentant encore l’encre de la presse.
Ceux qui font rire et ceux qui font pleurer, parfois.
Elle reprend sa lecture à la page précédente, pour ne pas manquer ce qu’elle a lu quand elle était trop fatiguée, lorsque ses yeux déchiffraient sans cesse la même ligne sans parvenir à en saisir le sens.
C’est facile de lire; ses yeux voient les lettres et les tranforment en images et paroles qu’elle peut comprendre. Ce n’est pas elle qui lit. Ce sont ses yeux.
Un bruit la tire de sa lecture; c’est le chat.
Il a faim.