J'ai refusé mon premier interview [fr]

[en] I just refused my first interview. It was on a topic I knew nothing about until the journalist's phone call, roughly twenty minutes before the show (live). It's not that they shouldn't have contacted me, but the fact I knew nothing of the story (leak of music festival programs through blogs) and that it brought along the hairy "blogs vs. journalism" issue (I'm no means a specialist on that question) made me feel really uncomfortable about speaking up as the "bloggy specialist". The journalist understood my concerns, and I'm grateful to her for that. You'll just have to be a bit more patient until the next interview!

Eh oui. Il n’y a pas plus tard que quelques minutes. Produit de toutes mes réflexions, prises de tête et discussions au sujet de mon statut de Madame Blogs ces derniers mois.

On ne pourra cependant pas dire que j’ai refusé net. J’ai hésité. J’ai réfléchi (autant que je pouvais, pendant que je discutais au téléphone avec la journaliste et que je voyais passer les minutes). C’était pour un direct à  la RSR, vers 18h00, sur le sujet des fuites du programme de Paléo (et du Montreux Jazz) via les blogs, ce qui a eu pour conséquence (me dit-on) l’annulation de la conférence de presse qui était prévue pour aujourd’hui. Problématique: blogs et médias traditionnels (terrain ô combien glissant), motivation de ceux qui contribuent à  faire circuler des infos qui sont “sous embargo” pour la presse traditionnelle, à  qui profite le crime…

Ce n’est pas qu’on tenait à  me faire dire des choses avec lesquelles je n’étais pas d’accord. C’était surtout parce que je ne savais rien de l’histoire en question avant que la journaliste ne m’en parle (j’ai téléchargé le programme de Paléo cet après-midi sur leur site comme “tout le monde” avant d’y commander mes billets). Donc, en gros, j’allais m’exprimer en direct sur un sujet dont j’avais entendu parler pour la première fois une vingtaine de minutes auparavant. Pas très confortable pour le moins, et surtout, pas très déontologique de ma part, puisque ma présence dans cette interview sous-entendrait tout de même pour les auditeurs que je savais de quoi il en retournait.

Une autre source de mon malaise est le sentiment qu’on glisse vers une tendance où il suffit de mettre le mot “blog” dans un reportage pour accrocher le lecteur ou l’auditeur. “Le programme de Paléo circule sur les blogs” — ça donne le sentiment que la blogosphère entière se refile le programme, mais qu’en est-il en réalité? De combien de blogs s’agit-il? Je n’en sais rien. Une poignée, plus que probablement. Peut-être plus? De nouveau, je débarque, aucune idée de l’ampleur du phénomène.

Ce ne sont pas les blogs qui sont importants en tant que tel. Avec l’apparition d’internet, les médias traditionnels ont perdu l’exclusivité de la diffusion publique de l’information. Ce qu’ont fait les blogs, c’est (pardonnez-moi, mais j’aime bien cette formule) actualiser la promesse d’internet et rendre effectivement possible au plus grand nombre de s’exprimer sur la toile.

Les blogs sont aussi des machines à  conversation, ils sont un média social, et fonctionnent comme du bouche à  oreille, mais avec le pouvoir de diffusion d’internet. Alors, les programmes de festival qui circulent, ça n’a rien de bien extraordinaire, à  mon humble avis.

Quand vous préparez un festival, il y a des tas de gens “à  l’intérieur” qui connaissent le programme ou une partie de celui-ci. Il y a des fuites. Il y a toujours des fuites. Et maintenant, au lieu de juste parler de ce que l’on sait à  ses voisins, collègues, et amis, on le colle sur son blog. Des inconnus le lisent. L’information se diffuse. Et les pauvres médias traditionnels qui respectaient l’embargo se posent des colles: les blogueurs en parlent, pourquoi pas nous? Mais les blogueurs, eux, se contentent de parler de ce qui les intéresse, avec plus ou moins de sérieux, plus ou moins de compétence, sans se préoccuper de questions d’exclusivité ou d’embargos.

Quant à  la fameuse “opposition” entre blogs et médias traditionnels qui plaît à  certains (on peut mettre en avant le manque de crédibilité des blogs — mais franchement, qui est plus crédible, le patron d’entreprise qui vous parle directement de ses produits, ou bien un resucé de communiqué de presse rédigé par l’agence de communication engagée spécialement pour l’occasion?), je pense qu’il n’y a pas de réponses simples à  apporter. En tous cas moi, je n’en ai pas, et surtout pas hors contexte, en deux minutes de direct, sans préparation. Ce que je sais cependant, c’est que je vois une cohabitation plutôt qu’une opposition. C’est clair que l’évolution d’internet force la presse traditionnelle à  se remettre en question. Mais je ne suis pas une spécialiste de la presse 🙂

Qu’il soit bien clair: je ne jette nullement la pierre à  la RSR pour m’avoir contacté. Si j’avais suivi l’affaire, j’aurais volontiers fait la spécialiste et tenté d’apporter un modeste éclairage à  l’histoire. Mais là , ça me mettait dans une situation vraiment trop inconfortable. La journaliste (avec qui j’ai parlé près d’un quart d’heure au téléphone) a tout à  fait accepté mes réticences et je l’en remercie.

Je crois juste qu’il est grand temps que je commence à  faire attention à  n’intervenir dans les médias traditionnels que lorsque je me sens réellement compétente pour le sujet, et pas juste parce qu’il s’agit de blogs, et qu’en blogs de manière générale, je sais plus ou moins de quoi je parle.

Le reportage peut être écouté ici.

Etre Madame Blogs [fr]

[en] You may or may not know that I've become the person journalists contact around here when they have an article to write about blogs. Not always, but often. Media fame is neat, but can be tiring when it becomes routine, and you're filled with self-doubts on the part you're playing in giving the public a biased vision of what blogs and blogging are. A bit of history, some thoughts, and a little rant. If you don't read French, you're lucky -- you can come back later when I have more constructive things to say.

Je me souviens du tout premier téléphone que j’ai reçu de la part d’un journaliste. J’allais sur mes 19 ans, j’étais cheftaine scoute, et il s’agissait d’une sombre histoire concernant le terrain que nous désirions occuper durant notre camp d’été. J’ai bredouillé quelques réponses à  des questions dont je ne comprenais pas vraiment l’objet, sans même saisir que j’allais être citée dans un article.

Plusieurs années passent. Je suis en Inde. Je suis en train de marcher vers l’arrêt des taxis lorsqu’un homme à  scooter s’arrête à  ma hauteur et propose de me prendre en stop. J’accepte. Nous échangeons quelques banalités sur les raisons de ma présence en Inde. Il est journaliste. Il désire m’interviewer. Contre toute attente, l’interview se fait, et l’article paraît.

On est en Inde, le pays des aventures extraordinaires. Je rentre donc en Suisse avec l’article sous le bras, des tirages des photos, et une promesse morte-née de rôle dans un film hindi qui perdra son financement lors des événements du 11 septembre 2001. Je n’en reviens pas, je n’y crois qu’à  moitié, mais en Inde, tout peut arriver : il y a eu un article à  mon sujet dans le Pune Times.

Entre 2002 et 2004, je compte cinq interviews, dont quatre sur les blogs. C’est très excitant, je me sens tout à  fait honorée d’être digne de l’attention de ces Messieurs-Dames journalistes. C’est même assez incroyable de penser que ma petite activité sur Internet a une répercussion dans « le vrai monde ». Je passe à  la radio pour la première fois de ma vie, et je découpe quelques articles dans lesquels apparaissent mon nom.

Début 2005. Là , tout s’accélère : dès la publication de « Née pour bloguer » dans Migros Magazine, les interviews s’enchaînent. Le 20 février, je suis l’invitée du plateau de Mise au Point à  la Télévision Suisse Romande : 10 minutes de direct. Pour un baptême-télé, c’est énorme. Ça continue.

Pourquoi diable est-ce que je vous raconte tout ça ? Il y a deux raisons. La première, c’est qu’il y a depuis quelque temps des petites voix (dans mon entourage et ailleurs) qui chuchotent que je prends un peu trop de place dans la presse romande, et qu’il y a en Romandie des tas d’autres personnes aussi (voire plus) compétentes que moi en matière de blogs. La deuxième, c’est que je commence à  me sentir passablement blasée face à  toute cette attention médiatique, même si je l’apprécie, et que donner des interviews et voir mon nom dans la presse a perdu l’attrait de la nouveauté.

Je ressens ces temps le besoin de me situer un peu par rapport à  l’attention que portent les médias, et au statut de « Madame Blogs » qui semble être devenu le mien. je me pose beaucoup de questions. Est-ce que je fais du tort « aux blogs » en étant un peu l’interlocutrice privilégiée des médias sur le sujet ? Est-ce un peu de ce ma faute si maintenant, un blog est en Romandie un « journal intime d’adolescent plein de photos », à  l’exclusion de toute autre chose ? Est-ce que je sais vraiment de quoi je parle ? Devrais-je refuser des interviews ? Est-ce que je pourrais faire encore plus pour envoyer les journalistes qui me contactent vers d’autres blogueurs compétents que je connais ? Est-ce que je fais preuve de complaisance envers la presse ? Est-ce que la célébrité me monte à  la tête et m’aveugle…?

Pour commencer, disons-le haut et fort, je ne m’imagine nullement être l’autorité ultime en matière de blogs. Certes, j’ai des tas de choses à  dire sur le sujet, je connais la blogosphère (non ! une petite partie de la blogosphère !) de l’intérieur et depuis belle lurette, et je porte sur elle un regard doublement double : technique et humain, francophone et anglophone. Je sais bien qu’il y a des tas d’aspects des blogs et de l’Internet social qui m’échappent. Je ne peux pas tout suivre !

Mon métier principal n’a rien à  voir avec Internet et les blogs : il consiste à  enseigner l’anglais et le français à  des adolescents. Internet bouge vite, la blogosphère aussi, et de plus en plus de personnes travaillent dans le domaine. Il est normal que je paraisse « larguée » sur certains points : je suis une généraliste du blog, avec, un peu à  mon corps défendant au départ, une petite spécialisation dans les affaires adolescentes. Les généralistes en savent toujours moins que les spécialistes, c’est bien connu.

Plus j’y réfléchis, plus je me dis que ma principale qualité d’interviewée, avant ma « connaissance de la blogosphère », c’est peut-être simplement mon talent de vulgarisation. Je sais généralement expliquer les choses de façon à  ce que les gens comprennent. Je n’éprouve aucune difficulté à  mettre mes idées en mots. Je m’exprime plutôt bien, que ce soit par oral ou par écrit. Une journaliste avec laquelle j’avais sympathisé m’a dit une fois : « Tu te demandes pourquoi on t’appelle autant ? Mais c’est parce que tu nous mâches le travail ! »

Donc, voilà . Les journalistes romands ont leur « spécialiste-généraliste du blog » qui est plutôt bavarde (un ami journaliste m’a raconté son interview-cauchemar : un interviewé qui répondait à  ses questions par un grognement à  mi-chemin entre le oui et le non), qui leur facilite la tâche… et qui en plus est photogénique. Moi, je réponds aux interviews, qui se suivent et commencent à  se ressembler, je me creuse la tête (je vous promets !) pour leur proposer d’autres noms lorsqu’ils en cherchent ou lorsque leurs questions nouvelles dans des domaines qui me paraissent mieux maîtrisés par d’autres.

Souvent, je suis un peu empruntée : qui est la bonne personne à  interviewer sur tel ou tel aspect des blogs ? Je ne sais pas toujours… De loin pas. Je songe parfois à  mettre sur pied une liste de blogueurs romands avec leurs compétences. Mais par où commencer ? Qui inclure, qui exclure ? Je ne connais pas tout le monde ! Si je cite Untel mais que j’oublie Teltel, on va m’en vouloir, surtout si les personnes concernées gagnent leur vie (ou une partie) avec les blogs… C’est bête, mais je commence à  avoir peur du poids de mes mots.

Je trouve d’autant plus difficile de déterminer quelle est « l’attitude juste » à  avoir face aux médias que je suis bien consciente d’avoir des intérêts personnels en jeu. D’une part, les blogs me permettent également de gagner une partie de ma vie (enfin, j’essaye). D’autre part (pour des raisons bassement psychologiques que vous pouvez vous amuser à  interpréter si ça vous chante), je trouve du plaisir à  être sous l’oeil du public, tant que cela reste à  doses raisonnables, bien sûr : j’ai adoré passer à  la télé, j’aime parler en public, être prise en photo, voir mon nom écrit ailleurs que sur un écran… Vous voyez le topo. À quel moment ces intérêts personnels risquent-ils de prendre le pas sur mon ambition d’être une informatrice fiable et consciente de ses limites ? Mon rôle d’interprète de la blogosphère, pour les personnes qui m’interviewent, peut-il être corrompu par ma recherche d’attention ou des considérations pécuniaires, malgré la lucidité que j’essaie d’avoir à  leur sujet ? Au cas où vous en douteriez, je suis quelqu’un qui se pose beaucoup (trop) de questions.

Pour tenter de clore ce trop long billet, je reviens sur la situation concrète qui m’a incitée à  le rédiger : l’effet de nouveauté des interviews est passé. Ça me met un peu mal à  l’aise de dire ça, mais c’est devenu un peu la routine. Bien sûr, je réponds encore volontiers aux questions des journalistes, et ça me fait toujours plaisir que l’on s’adresse à  moi. Cependant (et là , je vous volontiers que ce sont les motivations pécuniaires qui me poussent), les interviews, cela prend du temps. Or les interviews (une amie à  moi était fort surprise de l’apprendre l’autre jour) ne sont pas rémunérées, et le temps est une denrée précieuse qui me manque toujours, même si je n’ai pas mon pareil pour le gaspiller. (Je vous épargne le triste récit de ma situation financière.)

Donc, je disais que je prenais volontiers de mon temps pour accorder des interviews. Mais. S’il vous plaît, Mesdames et Messieurs les journalistes, faites vos devoirs avant de m’interviewer. Allez visiter quelques blogs. Mettez les pieds sur le mien, c’est la moindre des choses. Allez jeter un coup d’oeil aux articles de vos collègues, afin de ne pas me faire répéter ce que j’ai déjà  dit trois fois. Il se trouve que j’ai écrit un article (bien modeste) sur les blogs, intitulé Les blogs : au-delà  du phénomène de mode. Allez au moins y jeter un coup d’oeil, cela vous donnera une petite idée de ce que je pense des blogs, en plus de quelques points de départ pour vous faire une idée par vous-même. Et, s’il vous plaît, évitez de me dire : « Donc, un blog, c’est un journal intime d’adolescent, c’est bien juste…? »