Lausanne, 16.08.2003
La bibliothèque est fermée. Le BFSH2, lui, est ouvert. Je flâne dans les couloirs déserts, m’attardant devant les panneaux d’affichage des différentes sections. Je vais en sciences des religions bien entendu, puis en philo, et encore un étage plus bas, pour la première fois depuis longtemps, je fais un détour par la section de français.
Devant le secrétariat des étudiants, je trouve les heures des séances d’information destinées aux nouveaux étudiants…
Je me souviens de ce long été, il y a sept ans de cela. J’avais tourné le dos à la chimie en échouant mes examens et emménagé dans mon premier appartement, un joli une-pièce au centre-ville. Il y avait un placard immense dans lequel j’avais rangé tous mes habits, une cuisine séparée dans laquelle on pouvait se tenir confortablement, et une baignoire dans la salle de bains.
Je m’étais entraînée tout l’été, entre mes lectures et l’épluchage des fiches que m’avait données l’office d’orientation. Il y avait cette odeur de liberté dans l’air, parce que tout était possible. J’étais chez moi et mon avenir était entre mes mains. J’ai choisi les lettres.
Sept ans plus tard, il me reste deux travaux à rendre avant de quitter l’université. En traversant le campus pour retrouver ma voiture, je réalise avec tristesse qu’il est peut-être temps de faire une sorte de bilan de toutes ces années. Je n’aime pas les bilans, les fins, les au revoir. J’ai tendance à évacuer mon passé au lieu de l’intégrer. Peut-être qu’aujourd’hui il est temps de faire autrement. De regarder avec lucidité cette période de ma vie qui s’achève afin de pouvoir découvrir la suite avec sérénité.
1996-1997, première année de lettres. Choisir mes branches. Une semaine avant le début des cours, je décide de laisser tomber l’ethnologie à Neuchâtel pour étudier l’histoire des religions à la place. J’ignore à l’époque que ce choix m’amènera, un peu moins de trois années plus tard, à faire mes valises pour l’Inde.
Composer mon horaire, aussi. Quelle excitation devant la richesse des cours proposés ! Je n’ai que l’embarras du choix. Près de trente heures de cours par semaine. Mon intellect prend son pied. Cinq entraînements de judo par semaine également, une saison de compétition qui débute par une médaille de bronze aux championnats suisses. Je donne des cours privés de maths — à une époque, j’en donnerai près de dix par semaine. Première année devient deuxième. Toujours beaucoup de cours et de judo. Je commence à apprendre le sanskrit, je décide que mon année à l’étranger se déroulera en Inde. Il y a cet homme que j’aime et qui me le rend parfois.
Premiers examens, premiers résultats. Je n’en reviens pas. Un été sur la terrasse du Millepasti à préparer mon examen d’histoire littéraire. C’est quelque part entre la deuxième et la troisième que ça devient difficile. Pas les études, mais la vie. Oh, tout n’était sans doute pas rose avant, mais l’excitation de ma « nouvelle vie » (comme je l’appelais) suffisait amplement à me garder la tête hors de l’eau.
Le début de l’année 1999 a comme un goût de nausée et de dépression. Je ne suis plus capable de me souvenir si j’ai fait ma demi-licence de philo avant de partir en Inde ou non. Ça se perd dans le brouillard. Peu avant mon départ, l’école de judo « explose », et avec elle, une partie importante ma vie sociale.
Quatrième année, l’Inde. J’en ai déjà tant parlé mais pourtant pas assez. C’était dur. C’était une expérience extraordinaire. C’est une année dont je ne sais toujours pas trop quoi faire. Tellement importante, tellement marquante, elle a contribué à faire de moi qui je suis aujourd’hui, mais reste d’une certaine façon irréconciliable avec le reste de ma vie. J’y ai rencontré Aleika et Akirno. J’ai décidé que je voulais un jour avoir des enfants, et qu’il me fallait dès mon retour un appartement assez grand pour pouvoir y inviter des gens. Je suis rentrée dans les larmes avec plus de 150 kg de bagages, 40 CDs de musique hindie, et un chat.
Retour en Suisse difficile. Il me faudra longtemps pour me sentir de nouveau chez moi ici. Première véritable expérience professionnelle. Difficulté à réintégrer le monde académique. Une quinzaine d’heures de cours, quand même, et des enseignants qui m’enthousiasment. Je garde Cali pendant qu’Aleika s’installe en Angleterre avec sa famille. Entre la cinquième et la sixième, je commence à travailler chez Orange, je fais trois commotions cérébrales, je retourne en Inde, je boucle mes licences de français et de philo, je commence une psychothérapie.
Quelque part autour de cette époque, le « stress du mémoire » commence ; il ne sera résolu que quelques semaines avant mon 29e anniversaire. Ma sixième année de lettres, six heures de cours par semaine, sera placée sous le signe de la procrastination. J’obtiens un délai, je respire. J’aime mon travail mais je ne vis plus : d’abord finir les études, d’abord finir les études. Ma vie affective, je n’y pense même pas — parce qu’il y a tellement de choses plus importantes à régler avant.
Comme le temps file ! C’est déjà l’été passé. On peut dire que ma vie s’arrange un peu. TMS. Un semestre de plus, mais le mémoire n’avance pas pour autant. Il me faudra un bon coup de pied aux fesses pour que je m’y mette enfin.
Sept ans. Certains disent qu’un cycle de vie a cette durée. L’été de mes 22, l’été de mes 29. D’un appartement à l’autre, avec droit au milieu un hiatus à des milliers de kilomètres. J’ai l’impression un peu nostalgique que la vie du début de mes études, celle qui sentait l’excitation, l’ouverture, le futur, m’a échappé des mains à un moment que je n’identifie pas bien.
Quand je me promène dans les couloirs vides du BFSH2, je sens cette partie de moi qui aimerait se retrouver au début de l’histoire, avec des cours à choisir et tout à apprendre, sans inquiétude de n’avoir pas de plans précis pour son futur parce que le futur est encore loin, caché derrière sept années bien au chaud dans le ventre de l’université.
C’est dur de finir.
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