A la fois plus et moins qu’une semaine [fr]

[en] A week. More if you look at when I dropped Tounsi off at the Tierspital and understood how bad things were. A few hours less, if you look at his last breath in my arms. The unending flow of tears has given way to a heavy stone in my chest which slows me down, and breaks my heart in two when I look at my darling Quintus. I will write about how special Tounsi was to me, as I did for Bagha. But another day, when I have more words left.

Mon Tounsi… Une semaine. Un clin d’oeil, une éternité. Je suis perdue dans le temps sans toi. Tes entrées et sorties, tes allées et venues, tes expéditions gastronomiques: tout ça rythmait nos journées, à Quintus et moi.

Absence

Mon Tou-touns’ que je n’appellerai plus jamais, pour le voir arriver en trottinant, les coudes un peu à l’extérieur, la bouche rose en sourire. Tounsi qui m’appelait, parfois, dehors, quand je ne l’avais pas vu et que lui se sentait un petit peu perdu. Attends-moi! J’arrive! Je répondais, il arrivait en bondissant à travers les buissons.

Aujourd’hui était un jour de peu de larmes. Un jour presque normal, si je fais abstraction du gros caillou au fond de mon coeur, qui me ralentit parfois tant que je m’arrête, qui m’empêche de voir ne serait-ce que jusqu’à demain, qui me prive d’une partie de ma tête. C’est le caillou de la révolte, celui que je pourrais lancer pour briser les fenêtres de l’injustice, l’injustice de cette mort “trop tôt”, de la maladie qui ne laisse pas de chance, de ce diagnostic à côté duquel on a passé mais qui n’aurait probablement finalement rien changé, ou si, ou pas, mais qu’importe, car Tounsi est mort et rien ne le ramènera.

Sad Steph and Quintus

C’est le caillou de la peine qu’il me peine d’admettre, quand je regarde mon vieux Quintus, qui est encore là, lui, alors que Tounsi ne l’est plus. Le contraire n’aurait sans doute pas été moins douloureux (j’ai encore au ventre mon désespoir quand j’ai cru perdre Quintus), mais aurait au moins donné la consolation d’être dans l’ordre des choses. Voir partir Tounsi avant Quintus, c’est très dur à accepter.

Avec ces jours de moins de larmes à travers lesquels je traine mon coeur et mon caillou, Tounsi me manque. Le choc s’atténue, la séparation se fait plus sentir. La douceur extraordinaire de sa fourrure. Sa bouche un peu ouverte alors qu’il dormait. Ses petits bruits, gémissements ou proto-ronronnements, quand on le caressait. Le petit spasme de sa patte quand la main passait sur son épaule. Son regard rond de billes aux aguets, son adorable truffe rose, qui pouvait passer de pastel à fraise tagada suivant son état. Sa queue longue et élégante, souvent dressée au ciel durant ses déplacements, sagement rangée entre ses pattes arrières durant la sieste, ou enroulée en colimaçon tout serré sur une cuisse. Queue expressive, dont le bout s’agitait facilement, à la différence de celle de Bagha ou de Quintus, se contentant de battre les grands tempos.

Tounsi attitude

Tounsi était un chat spécial, particulier, même, a dit une fois sa vétérinaire. Pas tout à fait aussi par-ti-cu-lier que Zad, mais pas mal dans son genre quand même. Ma peine me dit que jamais je ne croiserai de chat aussi extraordinaire. Ce sentiment, je le connais. Il m’a habitée très fortement après la mort de Bagha. Et pourtant Tounsi a croisé mon chemin. Est-ce que je collectionne les chats extra-ordinaires, ou est-ce donc une caractéristique qui vient habiller tout chat récemment décédé? Avec l’absence, c’est l’irremplaçable, l’individualité, ce qui rend ce chat différent, qui ressort. Différent en tant que chat, différent dans sa relation avec moi.

Alors je vais vous raconter Tounsi. Et vous raconter notre histoire, parce que c’est un peu dur de faire l’un sans l’autre. Mais ce sera pour un autre jour, parce qu’aujourd’hui je crois que j’ai utilisé tous mes mots.

Les jours passent sans Tounsi [fr]

[en] Days without Tounsi are going by. Less tears by the day. I learned a lot about grief when Bagha died, and I am reaping the benefits today. I think we should be able to wish each other "good grieving", when the time comes. Because knowing how to grieve is such an important skill.

Tounsi en hautUn jour il y aura un jour sans larmes. C’est bête, mais je le redoute. Chaque matin passe un peu plus de temps avant que je pleure mon chat. Je suis en train de me faire à son absence. Et alors que je sais bien que c’est nécessaire, me faire à son absence signifie l’accepter – et je ne suis pas encore prête. Alors je pleure encore.

Je vais bien, compte tenu des circonstances. Vous êtes nombreux, nombreux, à m’avoir fait part de votre sympathie, sur Facebook et ailleurs. Je l’apprécie infiniment. C’est con, hein, mais je vais m’en rappeler: en temps de deuil, ce ne sont pas vraiment les mots qui comptent, mais le fait qu’il y ait des mots. Même les formules convenues font du bien.

Mon appartement est plein de rappels de Tounsi. Je n’ai pas touché à grand chose. J’ai ôté l’élastique qui l’empêchait d’ouvrir le frigo. Petit à petit, je rangerai. Le carton au milieu du salon disparaîtra. Les perchoirs d’observation se rempliront de plantes. Les taches laissées par sa truffe sur la fenêtre seront nettoyées. Les derniers marquages aussi. Je trouverai quoi faire de ses croquettes, des médicaments qui restent, des jouets. Quintus et moi retrouverons un nouvel équilibre, pour le temps qu’il nous reste ensemble.

Avec la mort de Tounsi, je me prépare aussi à me retrouver “sans chat” quand ce sera au tour de Quintus. Le plus tard possible, j’espère. Mais il a quand même 16 ans.

Tounsi et Quintus

Quintus ne semble pas souffrir outre mesure de la disparition de Tounsi, si ce n’est que son absence change le déroulement de son quotidien. Je crois que la présence de Tounsi le stimulait à bouger – je dois donc prendre plus sur moi.

Je repense à Bagha, ces jours. Et je me retrouve parfois à vouloir dire Bagha pour Tounsi. Bagha était jusqu’ici mon chat mort. Maintenant j’en ai deux. Comme je l’avais fait pour Bagha, je veux raconter Tounsi. Mettre par écrit qui il était, ce qui le rendait si spécial pour moi. A la mort de Bagha j’avais un gros regret: ne pas avoir plus de vidéos de lui. C’était en 2010. Avec Tounsi, c’est presque le contraire. J’ai des milliers de photos et certainement des heures de vidéo. Le temps du deuil, pour moi, c’est aussi le temps de prendre le temps d’en faire quelque chose. On verra quelle forme ça prend.

J’avais prévu de monter au chalet lundi. Je vais retarder de quelques jours, histoire d’avoir retrouvé un peu de stabilité ici avant de partir. Ça va être dur à nouveau quand je serai là-haut sans Tounsi.

tounsi au chalet

Bien entendu, ces jours, je réfléchis beaucoup au deuil. Le grand cadeau de la mort de Bagha avait été de pouvoir vivre pleinement son deuil – si vous connaissez mon histoire personnelle vous saisirez l’importance que ça a pu avoir. Maintenant, le deuil me fait moins peur, et c’est peut-être aussi pour ça que j’ai l’impression que ça va “vite” pour Tounsi. C’est un peu déstabilisant.

Je regrette qu’on ne souhaite pas “bon deuil” aux gens. On devrait. Il faut arrêter de voir le deuil comme quelque chose à éviter, dont il faut sortir le plus vite possible, voire fuir en se perdant dans autre chose. Alors certes, c’est nécessaire parfois par moments pour continuer de fonctionner, mais mon expérience est que plus on accepte de s’y plonger, et de sentir les émotions que le deuil nous amène, plus on est justement capable de fonctionner en dehors de ces “montées de peine”, et plus celles-ci sont gérables.

On peut choisir ces moments pour se laisser sentir. J’ai dû le faire ce week-end, totalisant passé 8 heures de route en moins de 48 heures. On ne peut pas conduire quand on est pris par le chagrin. Mais on peut s’arrêter, le temps qu’il faut, s’abandonner au chagrin, et ensuite vient un moment de répit où l’on peut fonctionner. Si on accepte de pleurer, vient un moment où ça se calme.

A l’époque de la mort de Bagha, mon psy m’avait dit qu’une bonne crise de larmes, où l’on pleure sans retenue à grands sanglots, ça dure (physiologiquement) max 20 minutes. En cherchant une source pour ce chiffre, je suis tombée sur cette page “comment pleurer pour vous soulager” qui semble plutôt bien faite (ça me fait un peu mal de mettre en avant une page de WikiHow mais elle me paraît utile). J’avais trouvé rassurant de savoir que ça s’arrête, parce que quand on est au fond de notre peine, on a le sentiment que ça ne va jamais s’arrêter.

sleepy tounsi

Le deuil fait partie de la vie. C’est quelque chose qu’on traverse tous à un moment ou un autre. Lorsque j’ai lu “Apprendre à vivre”, de Luc Ferry, un livre qui m’a beaucoup aidée par rapport à ma quête de sens dans la vie à la lumière de l’inévitabilité de la mort, l’essentiel que j’en avais retiré était qu’apprivoiser le deuil, pouvoir accepter les “jamais plus” de la vie, petits ou grands, était le travail d’une vie. Le sens, c’est ça.

On devrait se souhaiter bon deuil. Car le deuil peut être bon, ou moins bon. Et on le souhaite bon pour ceux qu’on aime.