Témoignage musical [fr]

En 2005, j’avais fait un long chemin entre “je ne sais pas chanter” et “en fait, j’adore chanter”. Ça avait bien dû prendre une décennie. On m’a parlé d’un choeur sympa où chantait une collègue. C’était Café-Café.

J’ai été gâtée pour mon premier concert, à Chéserex. Quatre soirs de suite. C’était magique.

Les concerts se sont enchaînés, les années aussi, et j’ai eu un plaisir fou non seulement à chanter, mais aussi à côtoyer toutes ces belles personnes qui, au milieu des notes de musique, respiraient avec moi en harmonie.

En 2013, j’ai dû prendre la décision déchirante d’arrêter Café-Café. J’avais d’autres activités qui me tenaient très à coeur, une vie professionnelle complexe, et l’incapacité fondamentale et malheureuse d’être à plusieurs endroits en même temps.

Il n’y avait pas de bonne solution. Durant quelques années, j’ai tenté de mener tout de front, à grands coups de compromis, jusqu’à ce que ça devienne intenable. Mon départ s’est fait dans les larmes, et pas comme j’aurais voulu. La faute à personne, juste à la vie et au temps.

Je suis allée revoir mes camarades de choeur en concert après ça. Une fois, peut-être deux. Mais c’était trop dur. J’en pleure encore aujourd’hui.

S’en est suivi une période de plusieurs années où je n’écoutais presque plus de musique – entre autres parce qu’elle me faisait quasi systématiquement fondre en larmes. C’était plus facile d’éviter.

‘2019. J’avais peut-être vaguement vu sur facebook que Pierre avait eu “un souci de santé”, mais cela ne m’avait pas interpellé plus que ça. J’ignorais qu’il était malade. J’ai appris son décès, je ne sais plus ni quand ni comment, et à son enterrement, dans la peine des derniers adieux, j’ai retrouvé mes amis de Café-Café. Et aussi une évidence: tout cela m’avait bien trop manqué.

Quand j’ai su qu’un spectacle serait en préparation pour rendre hommage à Pierre, je n’ai pas hésité très longtemps. Je sortais d’une opération qui avait élagué mon agenda pour l’année à venir et je ne travaillais pas: j’allais donc en profiter pour chanter.

Une pandémie et presque deux années plus tard, nous y voilà: nous sortons d’un week-end incroyable d’émotions, de musique et d’amitié. Une célébration de Pierre et de son oeuvre, et aussi de tous ces liens qui se sont tissés autour de lui, entre nous, et qui lui survivent.

Ces dix derniers jours ont été éprouvants. La musique, et ça je l’ai bien compris maintenant, elle vient chercher directement nos émotions. Impossible de se cacher. Et depuis le week-end dernier où nous avons commencé à mettre ensemble choeur, orchestre et solistes, c’est le raz-de-marée qui n’est allé que crescendo, jusqu’au dernier accord majeur de “Sang pour sang” dimanche soir.

Pour moi il y avait, en plus de tout ce que charriait cet hommage, l’émotion de me retrouver sur scène avec Café-Café après presque 10 ans d’absence. Egalement, la perspective d’un nouveau choix “impossible” entre ma famille musicale et les vents du Léman, puisqu’un avenir se dessine, sous une forme ou une autre, avec Elodie, qui a brillamment relevé le défi de nous diriger jusqu’à cet hommage. Elle l’a fait avec humanité, humour et humilité, nous offrant ainsi l’espace de guérison dont avaient tant besoin nos âmes musicales après les épreuves traversées. Je sais que je ne suis pas la seule à avoir été conquise et à vouloir continuer la route avec elle.
Ma décision restera difficile, mais peut-être que cette fois, je choisirai le chemin de la musique… et de l’amitié.

Ce billet a été initialement publié sur facebook

Crédit photo Ariane Dorsaz

Crédit photo François Clair

The Right to Grieve — And That Means Being Sad [en]

[fr] Avez-vous remarqué comme personne ne veut qu'on soit triste? La tristesse est néanmoins une émotion nécessaire, celle qui nous permet d'accepter une perte, d'en faire le deuil, et de pouvoir continuer à avancer à travers et au-delà de la peine.

Have you noticed how nobody wants you to be sad? Tell people around you that you’re sad, and immediately they’ll want to cheer you up.

Sadness is not bad. Sadness is necessary. It is through being sad that we are able to accept our losses and move on. That is what grieving is.

Our friends don’t want us to feel sad, because they don’t want us to suffer. But refusing to be sad and to grieve brings along a lot of suffering — certainly more, in the long run, than the pain of sadness.

Sadness is not depression. Unprocessed grief can lead to depression, though.

Sadness is the feeling of loss.

A person who is experiencing loss needs the courage to feel sad, and in a world which wants to shove sad under the carpet at the first opportunity, that can be far from easy.

What is valued is staying strong in the face of loss, grief, catastrophe. Not collapsing. Not showing how much pain we’re in.

But what we need when we’re sad and in pain, most of the time, is support so we can dare to feel all this. A safe place to be heard, recognised, and not judged. Love and acceptance that does not desperately want to save us from our emotions, but on the contrary, regard them as part of ourselves and our journey through life.

To grieve and to move on from all the various losses in our lives, all the nevermores, we need to be able to be sad. It is a good thing.

Moment fort [fr]

[en] In Geneva Saturday night, I came upon an actress who played in Rester Partir, the play my brother and I had a small part in twenty years ago, just after our mother died. We talked a few minutes -- a very emotional moment for me -- and I left her my number. We'll meet again, hopefully.

Le moment le plus fort de cette soirée à  Genève était totalement imprévu. J’avais vu dans la liste de lecteurs le nom de Caroline Gasser. Je ne suis pas très physionomiste (ce qui peut être embarrassant par moments) mais j’ai une mémoire un peu effrayante pour les noms (en général).

Caroline est comédienne. Elle jouait dans Rester Partir, il y a plus de vingt ans. Mon frère et moi avions eu un petit rôle dans la pièce. Ma maîtresse d’école de l’époque était une amie de l’assistante du metteur en scène Hervé Loichemol, et ils avaient besoin d’enfants pour quelques scènes. Je me souviens d’ailleurs que j’étais la deuxième personne à apparaître sur scène, poursuivant en criant l’acteur principal Philippe Polet, qui courait avec des casseroles attachées à son pied, dans lesquelles pétaient des pétards.

Je me souviens aussi très bien d’une autre scène: Caroline en religieuse entourée d’un groupe d’enfants (nous!), qui s’élevait bien au-dessus de la scène grâce à  une petite plateforme ronde qui se détachait du sol, alors que nous la regardions tous. L’odeur du maquillage brun dont nous nous enduisions pour la scène où nous jouions des touaregs. Esther, la maquilleuse-habilleuse (je ne sais plus exactement quel était son titre, mais elle faisait ça il me semble). Les loges. Les histoires entre gamins. Les trois représentations à Genève (dans quel théâtre?). Les trois Michel, magiciens, la colombe rangée dans la veste de l’un d’entre eux.

Cette pièce reste un excellent souvenir. J’ai vraiment adoré faire ça, à plus forte raison peut-être parce que ma vie ne devait pas être très drôle à ce moment-là, quelques mois à peine après le décès de ma mère. Je me demande quel genre d’enfant j’étais à l’époque. Je me souviens que les comédiens étaient gentils avec nous. Caroline était ma préférée. Je me revois en coulisses, assise sur ses genoux.

Nuit du Journal Intime 19

En sortant de notre interview avec la DRS, je fais un saut par la salle de spectacles pour l’apercevoir, car elle fait partie des trois premiers lecteurs. Elle est là, sur scène, assise entre André Hurst et Charles Beer. Je la reconnais. Elle a de longs cheveux à présent — ils étaient coupés en brosse en 1985. Je prends une photo ou deux et je m’eclipse.

Durant le repas, la voilà qui passe près de notre table. Je ne sais pas trop dans quel ordre les choses se font, mais je la salue, elle se souvient de moi, on échange quelques mots, on se sourit, elle repart. Et là, hop, la machine à  remonter le temps, vingt ans en arrière, j’ai dix ans à nouveau, je suis bouleversée. Elle a mentionné Amanda, je ne me souviens plus. Une actrice? Une autre de la bande d’enfants que nous étions?

Un peu plus tard, j’ai réussi à me reprendre, je vais rentrer car il est tard, je suis malade, et j’ai quand même encore un article à écrire. Je réussis à recroiser Caroline avant de partir, on parle encore un peu — je lui laisse mes coordonnées. On se reverra.