Trois semaines [fr]

[en] I've just finished my third week as an employee. Everything is going fine. I'm happy. Who would have thought that working nearly full-time a good hour of home could feel restful? I'm tired, of course, but my cognitive load has shrunk.

Trois semaines que je suis employée. Après plus de dix ans à mon compte. J’aurai l’occasion de revenir sur le pourquoi du comment. Mais pour l’instant, un petit bilan.

Les journées sont longues et je vois peu mon vieux chat. J’en ai un peu marre des repas-tupperware.

A part ça, j’adore. Sérieusement.

Les collègues sont sympas. Le travail se passe bien. Il y a une jolie vue depuis le bureau. Le train m’offre Lavaux tous les jours.

Je regarde ma semaine, et j’ai une préoccupation: me lever et prendre le train. Une fois au travail, je suis en mode travail. Ma charge mentale a fondu comme neige au soleil. Moins de variables, moins de questions, moins de décisions.

Je ris intérieurement, mais un 90% à une bonne heure de chez moi, je suis en train de trouver ça reposant.

Certes, quand je rentre je suis fatiguée, je me couche avec les poules, je me lève à une heure indue. Mais mon cerveau se repose.

C’est la lune de miel, direz-vous. Qu’importe. Je suis contente. Tout va bien. J’aime ce que je fais. Et je me sens utile, et compétente, après deux ans à me torturer sur ma place dans le monde et le sens de ma vie. Alors je profite.

Et le changement de rythme, de style de vie? C’était l’inconnue, mais pour le moment, ça semble se passer très bien.

A l’heure où tant de mes pairs font le pas de se mettre à leur compte, ou rêvent de quitter le salariat, me voilà tellement heureuse de faire le chemin opposé. Peut-être qu’à un moment donné, on a tout simplement besoin de changement.

On s'habitue [fr]

[en] A few words on habituation and hearing aids.

billet rédigé à Trigance, le 2 août 2012

On a une capacité incroyable à s’habituer. J’y pense maintenant, alors qu’après une journée sans appareils auditifs (je faisais de la randonnée en montagne, toute seule), je range mes cheveux derrière mon oreille après les avoir remis. “Scritchhhh scrtichhh!” — le bruit maintenant familier de mes cheveux qui frottent sur le micro. Ça ne me choque plus. C’est normal. Je suis habituée.

En avril, lorsque je me suis retrouvée pour la première fois avec des appareils sur les oreilles (la tentative avortée de mon adolescence était “intra” ;-)), j’ai été immédiatement horrifiée par le bruit ambiant. Le bruit de mes vêtements, mes cheveux quand je tournais la tête, ma respiration, et surtout, quand j’essayais de ranger une mèche derrière l’oreille.

Heureusement, mon audioprothésiste ne m’a pas laissée longtemps avec ce réglage “optimal selon le fabricant” et a réduit de 8 décibels (!) mon amplification. Assez pour que j’entende mieux que sans appareils, et assez peu pour ne pas être trop gênée par le bruit de fond du monde (et le bruit de fonctionnement de l’appareil).

Si vous m’aviez demandé ce jour-là si j’imaginais un jour pouvoir tolérer ce bruit, je vous aurais probablement répondu “non”. (Bon, j’admets que sachant ce que je sais sur l’habituation, j’aurais probablement concédé que ça faisait partie du possible, même si je peinais à l’imaginer.)

Aujourd’hui, 5 décibels de plus qu’en avril (et un changement de modèle, la gamme d’au-dessus — bobo le porte-monnaie), ces bruits de frottement ne m’incommodent pas. Ni même le bruit de fonctionnement de l’appareil, auquel vraiment j’imaginais ne jamais pouvoir m’habituer, et qui à ma stupéfaction m’est même agréable — quand je l’entends: lorsque je mets mes appareils le matin, et lorsque je suis dans un environnement très silencieux.

Je m’habitue aussi à entendre mieux. Marrant, ça. Il y a des gens dans mon entourage avec qui j’avais une communication très limitée, et je me rends compte maintenant que c’est parce que je les comprenais très mal. J’ai maintenant pris l’habitude de pouvoir interagir confortablement avec elles.

Une catégorie de personnes avec qui c’est flagrant, ce sont les enfants. Je soupçonne que les adultes s’adaptent (peut-être sans s’en rendre compte) au fait que j’entends mal, mais que les enfants ne sont pas vraiment (encore) équipés pour le faire. Ils ne réalisent pas que j’entends mal. Ils parlent doucement, sans me regarder, sans avoir mon attention. Ce sont des enfants. Eh bien depuis que j’ai des appareils, j’ai réalisé que j’interagissais beaucoup plus avec des enfants (connus ou inconnus). La seule explication que je vois, c’est que je suis maintenant en mesure de les comprendre suffisamment pour avoir des échanges significatifs.

Si j’oublie de mettre mes appareils, je me retrouve soudainement dans des interactions où les paroles de l’autre atteignent mon cerveau sous forme de choucroute inintelligible. Il me faut quelques secondes pour comprendre ce qui “ne va pas”: j’ai oublié de mettre mes oreilles! C’est presque inimaginable pour moi de penser que je me suis débrouillée toutes ces années en entendant si peu. Bref, j’ai complètement perdu l’habitude d’entendre mal (enfin, plus mal que maintenant) et de devoir faire les efforts nécessaires pour compenser. Ça se sent d’ailleurs: si je suis sans appareils, mon cerveau fait la grève — je suis probablement moins performante (moins entraînée!) pour compenser.

On s’habitue donc à la présence de quelque chose: des appareils dans mes oreilles auxquels je ne pense plus, d’avoir un univers sonore élargi, comprenant le bruit du frottement de mes cheveux sur mes micros. Mais on s’habitue aussi à l’absence: absence d’efforts à faire, absence de difficulté. On s’habitue aux choses agréables, et aussi à celles qui le sont moins.

J’ai déjà parlé du rôle de l’habituation dans notre recherche du bonheur: c’est cette formidable capacité de s’adapter qui fait que nos circonstances de vie comptent pour si peu (un misérable 10% dit la recherche!) dans notre bonheur. Nos circonstances de vie? Le travail qu’on a, si l’on vit ou non avec le Prince Charmant, pouvoir s’offrir de super vacances ou la dernière TV écran plat, une jolie voiture, vivre dans la maison de ses rêves… Tout ceci est bien joli, mais on s’y habitue.

Quelques mois ou peut-être un an ou deux après avoir fait l’acquisition du dernier objet de nos convoitises, on l’a intégré à notre vie et on n’y prête plus attention. On s’y est habitué. On se marie, on est sur le petit nuage rose, puis ça devient “normal” et si on n’y prête garde, notre bonheur ne s’en nourrit plus. Dans le cadre du couple, on connaît bien le problème de la “routine”: ce n’est que ça, la fameuse habituation. Pour éviter de s’habituer aux bonnes choses, il y a un effort conscient à faire.

On s’habitue aux bonnes choses, et on peut trouver ça dommage, mais le revers de la médaille, c’est qu’on s’habitue aussi merveilleusement bien aux mauvaises choses. Pourquoi faudrait-il s’habituer aux mauvaises choses? Pour pouvoir continuer à aller de l’avant quand le malheur frappe. Pour ne pas être terrassé par l’adversité. Pour survivre. Des exemples? Il y en a partout. Ce sont les cas où l’on dit que le temps fait son oeuvre. Après la mort de son conjoint ou d’un être cher, la vie reprend un jour le dessus. Lorsque notre corps fonctionne moins bien qu’avant (par accident ou maladie), on finit par s’y habituer. Heureusement! Imaginez si chaque jour était comme le lendemain de celui où le malheur débarque! La vie serait insoutenable!

Tout comme la résistance au changement est une réaction naturelle, celle de s’y habituer l’est aussi. Il faut se donner le temps, et souvent le temps suffit. (J’en conviens que ce n’est pas toujours le cas, mais ce sera le sujet d’un autre article.)

Etre conscient de sa capacité naturelle à s’habituer et lui faire confiance permet d’aborder le changement avec plus de sérénité, lorsque l’on sait que l’on devra l’accepter — ou qu’on le désire. Ce n’est pas très compliqué, et on s’économise beaucoup d’agitation inutile.

A quoi vous êtes-vous habitué?

Donnant-donnant [en]

J’avais l’intention de faire court lorsque j’ai commencé ce billet. Du coup, étalant la rédaction sur plus de 24 heures… il s’est allongé. Mes excuses.

Jeudi, invitée de dernière minute un peu muette à la table ronde qui a suivi la présentation d’Alban Martin sur l’Âge de Peer lors du dernier First de l’année de Rézonance (respirez!), j’ai enfin saisi la réponse à une réflexion qu’on m’a faite concernant la co-création et qui avait fini par me mettre mal à l’aise.

Les entreprises qui impliquent les clients dans la création de produits, qui comptent sur le bouche à oreilles ou les blogs pour faire leur marketing… ne sont-elles pas, en quelque sorte, en train de profiter de la bonne volonté des passionnés que nous sommes? Lorsqu’un service web sauce 2.0 encourage une communauté d’utilisateurs à devenir également une communauté de développeurs, et à produire plugins et extensions, ou lorsqu’il compte sur la “communauté” pour répondre aux questions dans un forum de d’aide, n’est-il pas en fait en train de réduire ses coûts sur le dos des pauvres naïfs qui donnent gratuitement de leur temps et de leurs compétences?

Réponse courte: non.

Réponse plus longue? C’est ce genre de dynamique qui permet aux utilisateurs de profiter de nombreux services gratuits ou quasi-gratuits. Si on peut aujourd’hui lancer un produit avec un budget marketing frisant le zéro absolu, parce qu’il est assez génial pour que les utilisateurs prennent eux-même en charge de faire sa publicité, cela réduit les coûts, certes, mais cette réduction est répercutée sur le prix que doit payer l’utilisateur: souvent rien.

On peut en quelque sorte dire qu’au lieu de payer en argent un service, l’utilisateur paie en donnant un peu de son temps pour recommander le service à des amis (réduisant ainsi la somme d’argent nécessaire à la publicité), ou bien en contribuant un peu de code qui profitera ensuite à tous.

J’aime bien cette façon de voir les choses: j’aime GMail, par exemple, qui fournit à mon sens un service e-mail extrêmement performant pour rien du tout (en cash). Cela ne me dérange pas de “payer” en recommandant GMail à mon entourage, ou en permettant à Google d’afficher parfois des pubs dans l’interface web. Personellement, j’aime recommander les produits que j’apprécie à mon entourage. On pourrait considérer que d’une certaine façon, Google me paie pour faire ça, et qu’en retour, je leur reverse d’argent pour utiliser leur service.

On se déplacerait presque vers une économie du troc, vous ne trouvez pas? L’avantage que j’y vois, comme ça un peu à froid, c’est que le “travail” que je fais pour permettre l’existence d’un service gratuit, je ne le ressens pas comme du travail. Finalement, le service devient le résultat d’un effort communautaire, avec un minimum de structure salariée pour servir de base.

Je crois qu’on commence à avoir tellement l’habitude du gratuit sur le web qu’on oublie ce qui le rend possible. Du coup, dès que quelque chose devient “un peu payant” ou se “commercialise” parce qu’il y a des gens qui gagnent un salaire, on pense que toute gratuité devrait disparaître — de la part des utilisateurs.

J’ai beaucoup entendu ce genre de réaction autour de WordPress. WordPress (le meilleur outil de blog de la planète en ce moment, à mon avis) est avant tout un outil open source et libre, résultat du travail d’une communauté de développeurs et d’utilisateurs. Lorsque Matt a fondé Automattic, une entreprise qui a des employés et qui fournit des services payants tournant autour de WordPress, certains ont commencé à dire “pah! les pigeons qui contribuent à WordPress sont simplement en train d’enrichir Automattic!”

Quand, dans le cadre de mon travail avec coComment, j’ai demandé à un utilisateur qui critiquait notre façon de faire ce que lui suggérait à la place, il m’a envoyé sur les roses en me disant que coComment n’avait pas à tenter d’extorquer du public des informations que lui faisait payer à ses clients.

Ce qui échappe à ces gens, c’est que les petites contributions volontaires sont entre autres ce qui permet de leur fournir gratuitement un service qui vaut plus que rien du tout.

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Pompage.net change de design et de structure.

[en] Pompage.net redesigns for the new year. Samuel Latchman is now the new Head Editor.

Pompage.net fait peau neuve. L’expression est usée, mais c’est vraiment ça.

En plus des changements cosmétiques, on voit apparaître une page consacrée aux articles traduits ailleurs, une liste de ressources, et un index général de tous les articles qui permet maintenant de trier les articles parus par thème, par niveau, ou même par auteur!

Cette nouvelle année est également l’occasion de rendre officiel ce qui est déjà  la réalité pratique depuis une nombre de mois qui doit friser — voire dépasser — l’année: j’abandonne mon poste de rédactrice en chef pour ne garder qu’un pied honoraire dans la rédaction de Pompage.net. Le nouveau rédacteur en chef est donc Samuel Latchman — cela ne doit guère être une surprise, puisqu’il remplit cette fonction avec une compétence admirable depuis déjà  fort longtemps.

Mes félicitations au nouveau rédacteur en chef et à  toute l’équipe, avec une mention particulière pour Stéphane, responsable de l’introduction de SPIP dans la vie de ceux qui font Pompage.net.

Retour à  la normale [en]

Où je retrouve avec une vitesse effrayante ma routine suisse.

C’est effrayant de voir à  quel vitesse je me réinstalle dans ma vie suisse. Je n’ai été absente qu’un mois, il est vrai, et la vie que je retrouve ressemble dent pour dent à  celle d’avant mes vacances. Presque pas désorientée, l’Inde est déjà  très loin, et ça m’embête. J’ai juste gardé encore le petit mouvement de tête indien signifiant l’acquiècement, et je sais que je le perdrai bientôt.

C’est tout à  fait autre chose qu’un retour après un an d’absence, et mine de rien, c’est mon troisième retour. Je commence presque à  avoir l’habitude. Je me réinstalle en Suisse aussi aisément que je me réinstalle en Inde lorsque j’y vais — à  la seule différence que je sais toujours quand je rentrerai en Suisse, et que j’ignore quand je retournerai en Inde.

Oui, la Suisse est grise et froide. Mais ce soir, il y a du soleil sur la campagne que traverse le train qui me ramène à  Lausanne après ma première journée de travail. Elle est belle, la Suisse, quand elle veut. Mais je serais quand même bien restée là -bas un peu plus longtemps…