[en] The beginnings of my story with Tounsi.
Je veux vous raconter Tounsi. Ça fait des jours que je veux le faire, mais que je recule, parce que je sais que ça va être dur. Deux semaines, et j’ai encore tellement mal. Je me sens bien plus perdue que ce à quoi je m’attendais.
Alors je vais vous raconter Tounsi, sans trop savoir par où commencer, parce que je l’aimais, et parce qu’il était spécial — pas juste pour moi.
Tounsi, chat de refuge. Voici la première photo que j’ai vue de lui. A tout dire, j’avais surtout craqué sur Safran, mais je voulais deux chats qui s’entendaient bien, et ceux-ci étaient cul et chemise. Tounsi était au refuge depuis un an. Trouvé du côté de Meyrin, m’avait-on dit. Puce d’identification tunisienne, mais sans adresse valable.
Un passé un peu mystérieux, donc. Est-il né chat des rues en Tunisie? Voyageait-il avec ses premiers maîtres? Avait-il été ramené par des voyageurs? En tous cas, il ne m’a pas fallu très long pour imaginer comment il avait pu “se perdre”. Dès ses premières sorties, d’ailleurs, j’ai compris que ce n’était pas un chat comme les autres: la première fois qu’il a mis le nez dehors, il a foncé tout droit à travers le jardin, queue en l’air, pour explorer son nouveau territoire. Et quelques minutes plus tard, grands miaulements d’appel “tu es où? tu es où?” pour me retrouver. Droit devant lui, toujours. “Oh, un bruit étrange! allons voir! oh, c’est la tondeuse à gazon!”
Il buvait dans les WC, comme Bagha. Ouvrait le frigo, comme lui aussi. Dormait vautré sur le canapé, idem. Mais alors que Bagha était un vieux chat à sa mort, Tounsi était un jeune plein d’énergie: faire déguiller les plantes, attaquer mes pieds à 7h30 pétantes, course-poursuites avec Safran… Et manger, manger, manger. J’ai aussi vite compris pourquoi il était un peu ventru, le Touns’. C’était une obsession.
Et alors que Bagha était bien éduqué, et que malgré son âme de voleur il pouvait me regarder manger un steak sur la même table sans y toucher, Tounsi, lui… ben disons qu’il n’avait pas beaucoup d’inhibitions. Je me souviens de mes premières tentatives pour le faire descendre de la table. D’abord en disant “non!” ou “descends!” sur le ton que j’utilisais avec Bagha. Zéro réaction. Mais alors, zéro. Frapper des mains, non plus. Il me regardait: “qu’est-ce que tu veux?”
J’avais passé aux grands moyens, le pousser pour le faire descendre. Bagha, je le guidais d’une caresse, d’un effleurement. Tounsi, le bougre, il résistait! “Mais pourquoi tu me pousses, tu vois pas que je veux être sur la table? C’est bien ici!”
J’ai fini par trouver ce côté de Tounsi extrêmement attachant. Le côté un peu innocent, qui sans malice aucune veut faire ce qu’il veut faire. Curieux, intéressé. Et pas timide du tout. “Oh, les courses, montre-moi ce que tu as acheté!” ou bien “Mais moi aussi je veux un morceau de jambon!”
Avec Tounsi et Safran, c’était la première fois que j’adoptais des chats au passé inconnu. Ils avaient des habitudes que je ne connaissais pas, ou savaient faire des choses que je n’imaginais pas.
Tounsi, par exemple, savait faire sa crotte dans la cuvette des WC. J’ai fini, par élimination et recoupements, par avoir la certitude que c’était lui. Pas souvent, hein, peut-être une demi-douzaine de fois en cinq ans. Je vous dis pas ma tête la première fois que je me suis retrouvée face à cette grosse crotte au fond de la cuvette des WC. Un vrai moment “quatrième dimension”! (Et après, en le voyant faire de l’équilibrisme sur le rebord de sa caisse, on comprend mieux.)
Curieuse de son passé que j’imaginais voyageur, entre sa puce tunisienne, sa tendance à suivre les gens (surtout moi) dehors, et sa visible aisance avec les environnements nouveaux, j’avais fait l’expérience un jour de mettre un harnais à Tounsi. Il n’a pas bronché et a continué à vaquer à ses occupations comme de rien. Si vous avez déjà essayé de mettre un harnais à un chat, vous comprenez que c’est assez parlant! A plus forte raison pour un chat qui faisait l’anguille dès qu’on essayait de le contraindre un peu pour l’examiner…
Plus je m’attachais à Tounsi, et plus cette année passée au refuge me brisait le coeur. Un an, avant que quelqu’un ne l’adopte! C’est vrai que de premier abord, Tounsi ne semblait pas trop intéressé par les gens. Il m’avait d’ailleurs royalement ignorée lors de notre première rencontre, préférant courir vers Safran pour une petite partie de judo. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux premières apparences. Il avait un peu de poids en trop, et, j’ai assez vite remarqué, une bouche qu’il ne fermait jamais.
Après la mort de Safran, on lui avait fait une narcose pour un contrôle sanguin. J’en avais profité pour demander à la vétérinaire de regarder cette histoire de bouche qui ne fermait pas: ses incisives se chevauchaient et bloquaient la fermeture complète de la mâchoire! On avait donc ôté celles du bas, et après ça, c’était devenu possible pour lui de fermer la bouche. Les habitudes ont la vie dure, toutefois, et il l’avait quand même souvent partiellement ouverte.
Je ne pense pas qu’il ait été malheureux au refuge — il était libre de ses déplacements, d’après ce que j’ai compris. Un “chat d’extérieur”. Je n’ai jamais vraiment demandé pourquoi, mais connaissant le gaillard, je pense que ça ne devait pas être facile de le garder dedans, et comme il revenait… Mais ça me fait quand même mal au coeur qu’un gentil chat comme ça ait dû attendre aussi longtemps avant d’être adopté. Et il y en a tant d’autres dans nos refuges.
Voilà donc le début de notre histoire, à Tounsi et moi. La suite suivra… quand elle viendra!