Retour au judo [fr]

Un entraînement de judo. Une petite oasis de normalité dans ma vie parfois un peu en perte de repères. Il y a 18 mois, j’avais réussi à reprendre “correctement”, après plusieurs années de quasi pause. Un dos sérieusement malheureux après une mauvaise chute. Des dizaines de séances de physio. Un job prenant dans un autre canton. Une vitamine un peu trop timide (la D).

Bref, il y a 18 mois, entorse à l’épaule suivie d’accident de voiture. Vous connaissez la suite.

Je ne sais pas encore ce que mon nouveau poignet est capable de faire. Quelles sont ses limites. Mais comme pour le roller hier, ça revient. Sauf que j’ai fait beaucoup plus de judo que de roller dans ma vie. Mes balayages ne pardonnent pas quand on fait des fautes de pas. Le premier est d’ailleurs parti tout seul, à ma grande surprise.

Le confort de ma normalité. Et aussi, le confort d’une (presque) normalité du rapport à autrui en ce temps de pandémie. On ne peut pas faire du judo en restant à 1m50 de distance. On ne peut pas s’entrainer avec un masque. Alors on tient religieusement une liste de présence.

On me dira que c’est une activité à risque. Et c’est vrai. Mais même sans COVID, le judo est une activité à risque. Même en pratiquant gentiment, le risque de blessure est toujours là. Je connais plusieurs personnes qui ont arrêté de pratiquer le judo à cause de ça – parce que le risque de blessure était inacceptable pour eux, mettant en péril d’autres activités encore plus centrales dans leur vie.

Pour la petite histoire, je me suis déjà retrouvée à devoir prendre un traitement préventif pour une maladie qui avait tragiquement emporté un de nos judokas. Moi, et tous les autres qui avaient pratiqué avec lui “juste avant”. Même le risque de contagion, il est toujours là.

On me dira que le judo est un loisir, donc sacrifiable. Une des activités sur lesquelles on devrait faire une croix, comme aussi chanter dans un choeur, tant que notre vilain coronavirus circule. Mais ce sont, en tous cas pour moi, des activités qui font aimer la vie, qui participent de façon cruciale à mon équilibre.

Je m’en rends d’autant plus compte qu’elles ont été bien trop absentes de ma vie ces dernières années. Parfois le sens “d’être là” se trouve dans le “faire” d’une activité qui n’a pas d’autre but qu’elle-même. Elle est sa propre fin.

Alors ce soir, j’ai retrouvé la normalité de pratiquer avec autrui une activité physique, en proximité, qui est une part importante de ma vie depuis 25 ans. Toute ma vie d’adulte. J’ai vu que je “savais encore”, que je “pouvais encore”. Qu’on soit clair, je n’en doutais pas vraiment.

J’ai fini l’entrainement avec un immense sourire. Dans la vie, il faut faire des choses qui nous font rire et sourire.

Et puis quand tout s’est terminé, avant le salut de clôture du cours, j’ai senti monter des larmes. Les larmes qui viennent quand on sent enfin combien quelqu’un ou quelque chose nous a manqué.

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Du judo à la vie [fr]

[en] Understanding how 20 years on the judo mats wondering how I can make somebody want to put their foot here instead of there, and why I I put my foot there instead of here, might have something to do with my interest in UX, and more importantly, the subtext of a lot of my professional activities: always asking why somebody would do what we expect or want them to do (e.g. sign up for a blogger outreach activity), making sure they have a real interest in doing so, and also, putting myself in the shoes of users or readers.

Je suis en train de reprendre l’entrainement après de longs mois d’interruption pour cause de divers bobos. C’est marrant, car durant mon “arrêt” je n’ai pas eu le sentiment que le judo m’avait manqué des masses, mais en reprenant, qu’est-ce que j’ai eu du plaisir à pratiquer à nouveau!

Et peut-être grâce à ces mois de recul ou de distanciation, j’ai mis le doigt sur un lien judo-vie qui m’avait complètement échappé jusqu’ici. Parce qu’il y a toujours cette réflexion, au fond: mis à part me “défouler” et me faire transpirer, qu’est-ce que j’apprends ou intègre sur les tapis que je mets ensuite en pratique à l’extérieur du dojo?

Portes ouvertes au Reighikan Dojo

On entraînait des entrées. Le timing. Etre réceptif à l’autre. Et là, d’un coup, j’ai fait un lien tellement évident que je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai jamais vu avant. Enfin si, je comprends pourquoi. Mais ça fait plaisir de mettre le doigt dessus.

Dans mon activité professionnelle, une compétence que j’exerce beaucoup c’est de me mettre à la place de l’autre. On aurait tendance à appeler ça de l’empathie, mais c’est un peu différent. C’est plus: pourquoi l’autre ferait-il ce qu’on attend de lui? Quelle est sa motivation? Vu les circonstances, comment va-t-il agir? J’ai aussi un intérêt marqué pour l’UX (l’expérience utilisateur), sans en être une spécialiste.

Mais quand je travaille avec des clients pour réfléchir à comment ils pourraient utiliser les médias sociaux, avec qui ils cherchent à entrer en relation, je ne perds jamais cette question de vue: qu’est-ce que notre “setup” va encourager l’autre à faire? Que pouvons-nous changer pour l’inviter à agir autrement?

C’est du judo.

Quand on fait du judo, on passe notre temps à essayer de faire en sorte que l’autre avance le pied ici, recule le pied là, se place ainsi ou au contraire comme ça, nous donne un bras plutôt que l’autre, afin de pouvoir entrer les techniques qui nous réussissent le mieux. On n’a cesse de “tendre des pièges”, en quelque sorte, pour contrôler sans en avoir l’air le comportement de l’autre. Je n’aime pas les mots que je viens d’utiliser, je précise, parce que si on sort ça du contexte du judo, ça a des relents de sinistre manipulation.

Mais ça va plus loin: si mon partenaire/adversaire “sent” que je veux lui faire avancer le pied, il ne le fera pas. Je dois être subtile. Inviter plutôt que contraindre. En fait, créer une situation telle qu’il ait envie d’avancer le pied.

Dans le contexte du combat, on fait tout ça pour pouvoir faire tomber l’autre, “gagner”. Dans la vie et dans mon travail, je ne vois pas les choses comme ça. Il s’agit plutôt d’être sensible à leurs intérêts. Il y a un jeu d’équilibrisme, là. Pourquoi est-ce que quelqu’un s’abonnerait à ma newsletter? Quel intérêt aurait-il à participer à ce que je mets en place? Pourquoi aurait-il envie de s’inscrire?

Ces questions me paraissent triviales, elles me viennent naturellement. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas le cas pour tout le monde. Et là, réalisant que ça fait 20 ans que j’applique ça sur les tapis, je me dis que ce n’est peut-être pas pour rien.

J’ai fait un deuxième constat hier soir. C’était le premier, en fait. C’est le corollaire de ce que je viens d’expliquer.

Quand on apprend le judo, et qu’on pratique contre plus “fort” que soi, on tombe. On tombe beaucoup. Au début on ne comprend pas ce qui nous arrive. On ne voit rien. Puis, avec le temps, on commence à se voir tomber. On ne peut pas plus éviter la chute, mais au moins on sait sur quelle technique on est tombé. Puis on prend conscience de “l’erreur” qu’on a faite qui a permis l’entrée de l’autre, sans pour autant pouvoir l’éviter. Mais bon sang, pourquoi j’ai avancé encore ce fichu pied?

On passe beaucoup de temps à analyser ses actions, à se demander pourquoi on a fait ceci plutôt que cela. Ce qui nous a incité à le faire. En somme, on applique à nous-mêmes ce que je décris plus haut.

Dans ma vie professionnelle, je crois que c’est la même compétence que celle qui me permet de donner du feedback “éclairé” sur les services que j’utilise. Je sais à la fois m’observer “agir naturellement” et analyser pourquoi je le fais. Hier ou avant-hier, je testais un nouveau service développé par une connaissance. A un moment donné, je me suis retrouvée gênée par le comportement de l’application. J’ai eu un sentiment interne de rejet, et je me suis demandé pourquoi. Et j’ai trouvé: un pop-up qui ne disparaissait pas comme “je m’y attendais”, et qui de plus recouvrait l’endroit où je désirais ensuite cliquer. Je ne rentre pas plus dans les détails, mais c’est le même état d’esprit que “m’enfin, pourquoi j’ai avancé le pied?” C’est aussi le même état d’esprit que l’analyse de texte, que j’ai aussi énormément pratiquée durant mes études (au point que je dis aux gens que j’ai le module “analyse de texte” activé en permanence): pourquoi ce texte suscite-t-il en moi telle émotion, telle réaction? Comment cela s’explique-t-il au niveau mécanique, narration, linguistique?

Je pense que nos compétences sont un mélange de prédisposition (inné) et de répétition (acquis). J’ai déjà fait souvent des liens entre mes études (histoire et sciences des religions, philo, français) et mes compétences professionnelles, mais je ne l’avais jusqu’ici pas vraiment fait pour le judo. Mais c’est clair qu’il doit y en avoir. On ne passe pas 20 ans sur des tatamis, plusieurs heures par semaine, sans que ça contribue à nous faire qui nous sommes.

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Pourquoi fait-on du sport? [fr]

“Pourquoi fait-on du sport?”

C’est cette question que posait, lundi soir en début de cours, mon prof de judo. Une question multi-couches et pleine de wagons (d’autant plus que pour lui, si le judo aussi un sport, il est également bien plus que “juste un sport” — j’abonde d’ailleurs dans ce sens) — à laquelle je me permets de donner deux réponses à raz les pâquerettes.

Tout d’abord, je crois qu’on fait du sport (et qu’on en refait) parce qu’on se sent mieux après qu’avant. C’est une réponse un peu axée “plaisir immédiat”, mais soyons honnêtes, beaucoup de nos activités sont motivées par le plaisir qu’on a à les exercer.

Deuxièmement, motivée par ma lecture récente de L’animal moral de Robert Wright (en VO bien entendu) — et cette réponse à mon avis est liée à la première et l’explique — je dirais que l’histoire de l’animal humain, à l’échelle de l’évolution, nous rappelle que nous sommes une espèce de prédateurs. Nous avons passé des dizaines de milliers d’années à chasser le mammouth (je caricature), et ce n’est pas les quelques derniers siècles (ou millénaires) de sédentarisation qui auront changé notre nature profonde. Il est fondamentalement humain d’avoir besoin de bouger.

Les réponses ne s’arrêtent pas là, bien entendu. Suivant la portée que l’on donne au mot “sport”, on pourra donner aussi des réponses d’ordre économique, psychologique, philosophique, existentiel, ou même spirituel.

Mais le raz des pâquerettes reste valable.

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