Je réfléchis beaucoup à la routine, ces temps. Et je fais ma vaisselle. Ceux d’entre vous qui me lisez depuis des années (des décennies pour certains! mon dieu, j’ai laissé passer sans mot dire les 20 ans de CTTS, il y a 4 jours! va pas falloir que je me rate en 2030, dites donc…) savez que la vaisselle, c’est un thème récurrent chez moi. Comment la faire, ce qu’elle signifie quand elle n’est pas faite, une pointe d’iceberg “indicateur” de plein d’autres choses dans ma vie, débordant plus ou moins de l’évier.
Donc, je réfléchis à la routine, et ma vaisselle est sous contrôle, pour la première fois depuis des années. Ma vie aussi, dans l’ensemble – je crois que la dernière fois que je me suis sentie aussi “on top of things” de façon générale, ça devait être en 2009. (De mémoire.)
Ma tendance naturelle est de fuir la routine, dans laquelle j’ai peur de m’enliser. Du coup je recherche plutôt la nouveauté, l’excitation, l’imprévu, la spontanéité. Adolescente, ma vie était remplie et programmée. Sauf l’été, souvent long et vide (en-dehors des vacances en famille, toujours de bons souvenirs) et dans lequel je finissais par m’ennuyer à déprimer. Du coup, je pense que remplir ça me convenait bien. Jusqu’à ce que je finisse par craquer un peu, et à un moment donné, jeune adulte, j’ai plus ou moins tout envoyé valser, pour être libre, ouverte à l’imprévu, spontanée. Mais bon, ça ne m’avait pas empêcher de prendre plus de 30 périodes de cours durant ma première année de Lettres. On ne se refait pas.
Je pense que mon année en Inde a fini par sceller le sort de ma déstructuration du temps. Là-bas, il vaut mieux ne pas trop s’organiser, si on ne veut pas péter un câble. Ni faire trop. De retour en Suisse, j’étais devenue incapable d’être à l’heure. Je me suis ressaisie, évidemment (le sang de la Vallée de Joux coule dans mes veines, tout de même), mais je suis restée la reine du plan last-minute et de l’improvisation. Le rythme de vie suisse m’a rattrapée, je recommencer à remplir mon agenda, mais durant la longue décennie que j’ai passée à mon compte, j’ai vécu une vie sans beaucoup de rythme. Ou alors, si on veut, au rythme changeant et imprévisible.
Je savais bien que j’avais besoin d’un peu de régularité et de cadre. Un peu, mais pas trop. J’ai parlé de ça ici, au fil des années, mais j’avoue avoir la flemme de déterrer les articles. N’ayant que le peu de contraintes que je m’imposais à moi-même (pas beaucoup), essayant de suivre mes humeurs et mes envies (après tout, j’étais à mon compte pour “faire ce que j’aime”), je me suis quand même vite trouvé avec un problème de procrastination exacerbé (pas nouveau dans ma vie, mais il a bien poussé durant cette période) et une incapacité à poursuivre beaucoup de projets et d’envie personnels parce que… je n’arrivais pas. Je voyais bien que quand j’étais plus occupée, je me sentais mieux, et entre autres choses, un élément qui m’a poussée à redevenir salariée après des années d’indépendance était le besoin de soulager un peu ma charge mentale en passant à un mode de vie où une partie du cadre me serait donné d’office. Et d’ailleurs, ça a marché.
Ces derniers mois, j’ai fait des petites révolutions dans ma vie et ma façon de fonctionner au quotidien. J’ai réalisé (mais vraiment, profondément réalisé) que je pouvais faire des choses parce que j’avais décidé de les faire. Cela peut paraître bête, mais c’était toujours un gros problème pour moi. Je me disais “demain je fais x”, et le moment venu, je n’avais pas envie, ou pas le moral, ou mieux à faire, et j’envoyais balader. Du coup j’ai fini par construire une image de moi-même où j’étais incapable de me “discipliner”, ou de tenir mes engagements vis-à-vis de moi-même. Pour quelqu’un d’autre, aucun problème! Mais pour moi… aïe aïe aïe.
En fait, j’ai compris que si je ne voulais plus courir et vivre à l’arrache, si je ne voulais plus passer des jours et des semaines à culpabiliser parce que je procrastinais, je pouvais faire deux chose: m’organiser (être proactive) et mettre en place des routines et habitudes, pour diminuer la nécessité de décider. Il y a eu un déclic, parlant avec une copine, qui m’a fait réaliser que les personnes “disciplinées” ne l’étaient peut-être pas naturellement, comme ça, sans effort, mais qu’elles se tenaient à leurs décisions ou leur organisation car elles savaient que c’était nécessaire pour leur équilibre ou leur bien-être. Ça a été une révélation pour moi. Ça a été une révélation pour moi.
Ça ne s’est pas mis en place tout de suite, il a fallu entraîner et consolider (je consolide encore). Le premier pas, ça a été de décider chaque jour d’une chose que j’allais faire le lendemain, prise sur ma liste de tâches en souffrance. Des petites choses. Et je me suis retrouvée dans cette situation étrange de n’avoir pas fait la chose en question arrivé le soir, et de me dire “ah, mais j’ai décidé que je le faisais, alors je vais le faire maintenant”. Alors qu’il y a encore quelques mois j’aurais dit “mince, encore une fois je ne l’ai pas fait”. Au niveau de ma planification de tâches au jour le jour, ça m’a fait passer de “liste des choses que je veux/dois/espère/pense que je devrais arriver à faire aujourd’hui” à “petit nombre de choses que je peux garantir que je vais faire”. En quelques jours, au lieu d’être en échec constant, j’ai commencé à prendre confiance et me sentir beaucoup mieux.
La routine, c’est quelque chose qui est sur mon radar depuis FlyLady. Là, ça s’est mis en place un peu tout seul, progressivement. Déjà, mettre un réveil le matin (chose que je fais assez naturellement, même si je me réveille généralement avant). Aller me coucher à une heure raisonnable (l’objet d’un autre article). Me lever, faire le lit, médics des chats, les miens, déjeuner sur le balcon, etc. Le contenu n’est pas important. C’est l’existence de la structure qui compte.
Ma tentation naturelle, ça a été de vouloir tout “routinifier”. D’organiser ma semaine à coups de “lundi je fais ça, mardi je fais ça, mercredi, jeudi, vendredi”. Et j’ai compris qu’il fallait y aller progressivement. Parce que l’autre Grande Mission de cette année 2020, pour moi, c’est d’apprendre à mettre un peu plus la priorité sur moi et mes besoins. Pas difficile de faire plus que quasi rien, me direz-vous. A force de mettre les besoins des autres toujours avant les siens, on finit par disparaître. Donc: structurer une partie de mon temps tout en gardant une large part “pour moi”. Le Chemin du Milieu est rarement facile à trouver, mais là, je trouve que je ne m’en sors pas trop mal.
J’ai commencé par poser une chose dans ma semaine. Deux heures de temps, dans l’agenda, pour m’occuper d’un projet. La même plage horaire, le même jour, chaque semaine. Et m’y tenir! Maintenant que j’ai un peu pris l’habitude, ça va, mais au début ce n’était pas évident. J’étais toujours tentée de déplacer/annuler/déprioriser pour autre chose. Et j’ai fait plusieurs semaines comme ça, avec juste une chose dans l’agenda, avant de progressivement, petit à petit, rajouter d’autres éléments pour structurer ma semaine. Il faut dire qu’après six mois de chômage (où je n’étais pas en très bon état dans ma tête, pour tout un tas de raisons – j’ai peut-être mentionné que j’avais eu une année ou deux de merde?) suivis par six mois d’incapacité de travail post-op, on ne peut pas reprendre du jour au lendemain un rythme effréné. Surtout si le but est de construire un nouvel équilibre, un peu plus durable.
Du coup, j’ai de la routine: dans ma journée, dans ma semaine. J’avoue que ça m’émerveille. Parce qu’elle ne tient qu’à moi, mais que je m’y tiens néanmoins. Quand je vacille, c’est quelque chose auquel je peux me raccrocher. Et que je cherche à ne pas lâcher dans les périodes où je ne vacille pas (la tentation est grande). Le “confinement” (à la suisse) est arrivé à pic, pour moi: il m’a permis de prendre goût à me donner plus de place.
Je pense que notre rapport à la routine, à la structure, à l’organisation, ça dépend beaucoup de notre personnalité et de notre parcours de vie personnel. Il y a des gens qui sont emprisonnés dans des habitudes et un quotidien dont ils ont désespérément besoin de sortir; d’autres qui se recroquevillent sur la répétition et le contrôle; d’autres encore qui sont allergiques à tout ce qui pourrait les contraindre de près ou de loin, et se perdent. Je pense que souvent, c’est multi-couches. Comme moi, qui suis tiraillée entre une envie d’ordre parfait et une autre de liberté absolue.
Quelque part au milieu, il y a la sérénité. Relative.
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