[en] Social media losing speed? Nope, it's just normal that after a few months or years of using a new toy intensely, many people move on. To a new, similar toy or a completely different one.
Je lis un article (parmi bien d’autres) dans lequel on réfléchit aux causes d’un certain essoufflement dans l’usage des réseaux sociaux.
Pour moi, on est à côté de la plaque avec ce genre de questions.
Ce n’est pas une problématique liée aux réseaux sociaux. Ça a à voir avec la façon dont la nouveauté nous stimule. On est sur la bonne piste avec les lamentations concernant les “effets de mode”, mais on trivialise la problématique en l’étiquetant ainsi. Parce que ce n’est pas juste que nous sommes de superficiels moutons victimes de la mode. Il s’agit de la façon dont fonctionne nos cerveaux d’animaux humains — et on n’y échappe pas.
J’ai beaucoup réfléchi récemment au lien entre la nouveauté et l’efficacité d’une méthode ou d’une stratégie. J’en ai compris l’importance capitale en lisant The How of Happiness — dans le contexte des activités qui nous rendent heureux (on sait tous que trop de routine crée l’ennui, et que le bonheur ne se trouve pas dans l’ennui, n’est-ce pas?) — mais je vois depuis ce même phénomène à l’oeuvre dans une multitude de domaines.
Voici l’exemple qui m’a marqué. L’équipe de recherche de Sonja Lyubomirsky, l’auteur du livre, avait démontré que prendre régulièrement du temps pour sentir ou exprimer de la reconnaissance rendait les gens plus heureux. Les chercheurs se sont ensuite attelés à identifier la meilleure façon de sentir ou d’exprimer cette reconnaissance.
L’expérience est assez simple. On sépare les sujets de l’expérience en deux groupes, qui prendront une demi-heure pour mettre par écrit ce pour quoi ils sont reconnaissants:
- le premier groupe le fera chaque dimanche soir
- le deuxième groupe chaque lundi, mercredi, vendredi.
On regarde ensuite dans quel groupe le bonheur des gens a le plus augmenté après l’expérience.
Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, c’est la méthode du premier groupe (une seule fois par semaine) qui est la plus efficace. Mais pourquoi donc? On suppose qu’à faire l’exercice trois fois par semaine, un phénomène d’habituation intervient
L’habituation, c’est ce qui fait que même après un terrible accident ou le décès d’un être cher, on finit par retrouve le goût de vivre, une nouvelle normalité. C’est assez sain, en fin de compte. Mais ça a ses inconvénients: les changements positifs dans notre vie subissent le même sort (leur effet s’atténue assez vite avec le temps).
Mais quand on y pense, ça explique beaucoup de choses. En particulier, ça explique pourquoi quand on croit avoir trouvé la solution à un problème qui nous enquiquine, ça marche souvent au début, mais assez vite, ça ne marche plus. Si vous êtes comme moi, vous avez peut-être essayé toute une série de méthodes pour mieux vous organiser ou mieux gérer votre temps ou votre argent ou votre poids ou votre efficacité ou… A chaque fois, on croit enfin avoir trouvé “ce qui marche”, pour déchanter quelques semaines ou mois plus tard, quand on se retrouve “immunisé” contre la solution magique qu’on croyait avoir trouvée.
Sommes-nous donc condamnés à chercher “toujours une meilleure solution”, à courir derrière la nouveauté? Pas nécessairement, mais il faut avoir conscience que pour tenir sur la durée, il faut introduire de la variété. L’exemple bateau et que tout le monde connaît, c’est celui du couple. Si vous voulez que ça dure, il faut (entre autres) éviter de sombrer dans la routine. Certes, on a des habitudes, mais celles-ci peuvent évoluer au fil du temps, et on peut chercher aussi à garder de la fraîcheur à la relation en y introduisant de la nouveauté.
Pourquoi je vous raconte tout ça?
Parce que je crois que les réseaux sociaux ne font pas exception. Ce sont des outils, qui servent à ceux qui les utilisent. Pour communiquer avec certaines personnes, s’exprimer, s’informer, “être ensemble”. A un certain niveau, ils sont donc une “solution” à “quelque chose” (que je n’appellerai pas nécessairement un “problème” — mais ils jouent un rôle). Aussi, ce sont des outils que l’on utilise souvent quotidiennement ou presque. Il est normal qu’une certaine routine s’installe, une fois passée la phase de découverte, l’arrivée des gens de notre entourage, l’excitation liée à l’arrivée de nouvelles fonctionnalités.
Il est donc parfaitement normal que ces outils perdent de leur attrait à un certain point. On s’y habitue. Ils deviennent du coup moins efficaces à remplir leur rôle pour nous — même si c’est un rôle social ou d’information. On connaît déjà ça, hors ligne. On a des “phases”. Pendant un an ou deux, on va régulièrement au même bar. Puis on s’en fatigue, et on va ailleurs. Ou bien on lit un magazine religieusement, ou on regarde une émission télé, et un jour on réalise qu’on a passé à autre chose. On voit certains amis beaucoup, plus plus du tout. Ainsi va la vie.
Les choses qui durent sont une exception. Et si on regarde de près, peut-être bien que dans ces choses qui durent, il y a plus de variété qu’il n’y semble à premier abord (je pense aux feuilletons télé: leur contenu est fait pour nous stimuler constamment en nous assaillant de rebondissements, imprévus et nouveaux personnages).
Les gens se lassent de Facebook? Mais bien sûr. C’est “normal”, Facebook, maintenant. L’e-mail, c’est normal, ça n’émerveille plus personne (enfin par ici). Internet aussi, sauf pour ceux qui le découvrent. Facebook et Twitter, aussi. Les blogs, je n’en parle même pas. On s’enthousiasme pour le nouveau, le différent, et pas pour le normal. C’est ainsi que notre cerveau est conçu. On n’y échappe pas.
Les outils sociaux, nouveaux par essence lors de leur apparition, se trouvent rapidement pris dans une course effrénée aux nouvelles fonctionnalités, pour maintenir justement ce sentiment de nouveauté et de fraîcheur innovatrice — cela d’autant plus, à mon avis, que les premiers utilisateurs sont en général encore plus sensibles que la majorité à cet attrait de la nouveauté (et à la lassitude qui accompagne le connu).
A m’entendre, vous pourriez penser que je ne vois pas de problème dans notre société sur-saturée de stimulations, qui nous distribue du nouveau comme de la drogue. Alors oui, je dis que le neuf et la variété représente un attrait indéniable pour notre cerveau de mammifères, et qu’il faut l’accepter. Mais le problème avec une société qui nous en donne à manger à la petite cuillère, c’est que l’on ne développe peut-être pas suffisamment la capacité à générer de la nouveauté de nos vies nous-mêmes. On attend que la stimulation vienne de l’extérieur.
Se prendre la tête sur les raisons d’un “désengouement” pour les réseaux sociaux, c’est à mon avis l’expression d’une vision et d’une compréhension un peu réduites du monde et du fonctionnement de l’humain. Ça n’a rien à voir avec les réseaux sociaux. Ça a à voir avec les humains.
Bien sûr qu’après un pic d’enthousiasme pour quelque chose, il faut s’attendre à une baisse d’utilisation. Rien de nouveau sous le soleil, passez votre chemin!
Excellente réflexion. Dans cette optique: pour contrer les effets négatifs de l’habituation, les réseaux sociaux et autres applications de partages sociaux ne sont-ils pas voués à modifier régulièrement leurs interfaces? Voilà qui expliquerait pourquoi ils nous confrontent régulièrement à ces modifications d’interface qui ont le don de rendre fou furieux certains, et de ravir les autres. Mais qui, au fond, nous obligent, si nous aimons le service rendu par ces réseaux et applications, à nous réhabituer, nous restimuler, nous réveiller. Nous faire, en un mot, repartir pour un tour.
A l’image de ces supermarchés qui, périodiquement, modifie l’ordonnancement des rayons: cela rend fou. Mais cela oblige l’usager à redécouvrir des assortiments que ses habitudes l’empêchaient de voir.
Merci en tous les cas pour ce texte qui m’a plongé dans une longue méditation. Et qui m’a permis de rebondir avec cette autre thématique: pourquoi Facebook, Twitter, et consorts s’évertuent-ils à modifier régulièrement leurs interfaces.
Merci pour ton commentaire, Michel! C’est exactement ce que je pense. Une plate-forme est en quelque sorte condamnée à innover toujours et encore, et je pense qu’il y a un seuil à partir duquel deux forces entrent en conflit: la nécessité de produire du “nouveau” et l’utilité de la plate-forme. A un moment donné, le mieux est l’ennemi du bien, et l’innovation nécessaire à maintenir l’intérêt de l’utilisateur rend en fait la plate-forme moins bonne, moins utile.
Je crois qu’on est en train de franchir ce seuil avec la dernière mouture de Twitter, par exemple. Je prépare un petit râlage en bonne et dûe forme sur la question, dans le sillage de celui de mon amie Suw Charman: Are Google, Twitter, Facebook Doomed to Bloat?