Imperfection technologique [fr]

[en] I write a weekly column for Les Quotidiennes, which I republish here on CTTS for safekeeping.

Chroniques du monde connecté: cet article a été initialement publié dans Les Quotidiennes (voir l’original).

Nous avons besoin que les outils sociaux que nous utilisons soient imparfaits. Etonnante affirmation, non? Ou, comme le dit la chercheuse danah boyd, “we want plausible deniability“.

Les interactions sociales sont parfois embarrassantes. On fait un détour par l’arrière de la cafétéria pour éviter un collègue. On “oublie” de rappeler un client. On dit à son employeur qu’on est malade. On prétend que tout va bien alors que ce n’est pas le cas. On fait semblant de ne pas avoir entendu. En bref: on dissimule, on évite, on ment même parfois. Faire face à toutes ses relations avec une honnêteté totale est un idéal que peu atteignent dans ce bas monde (si tant est qu’une telle chose soit désirable, mais c’est un autre débat).

Trop d’efficacité dans les outils que nous utilisons peut mettre le projecteur sur ces difficultés sociales que nous rencontrons parfois — et accessoirement, nous décourager d’adopter ces nouvelles technologies.

Je me souviens, par exemple, du temps qu’il a fallu pour qu’il devienne socialement acceptable de ne pas répondre à un appel sur son téléphone mobile. Combien de personnes ai-je entendu dire, il y a une dizaine d’années, qu’elles ne désiraient pas d’un téléphone mobile qui les rendrait toujours joignable? En fait, j’en entends encore le dire aujourd’hui. On peut refuser de répondre. On peut se rendre injoignable, même si ce n’est pas pour des raisons techniques. Certes, ce n’est pas toujours évident à assumer ou à mettre en pratique.

L’imperfection, alors? La couverture réseau qui a des trous. Les appels interrompus. Les SMS et e-mails qui se perdent. Les boutons qu’on clique, qui font semblant de marcher, mais qui n’envoient en fait pas le formulaire. Les filtres à spam un peu trop enthousiastes. Les hoquets des réseaux sociaux qui mettent de la friture dans nos échanges et partages d’information. Twitter qui sursaute et élimine subitement des personnes de votre liste d’amis, sans crier gare.

Je pourrais continuer longtemps. Ces imperfections nous donnent la marge de manoeuvre dont nous avons parfois besoin pour ne pas répondre, ignorer, oublier.

On peut même mentir. Annoncer sur Facebook ou Twitter que l’on fait quelque chose qui n’est pas vrai. Mentir par omission, en ne faisant pas ses check-ins sur Foursquare, ou en devenant silencieux sur nos canaux habituels sans raison apparente. A l’inverse, on peut aussi planifier des publications pour donner l’impression d’une présence là où il n’y en a pas.

Vous lisez cette chronique aujourd’hui, mais au fond, je pourrais très bien l’avoir écrite il y a trois semaines. La publication planifiée me permettrait tout à fait d’être au fond du désert de Gobi tout en vous donnant l’illusion d’être derrière mon clavier.

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