À présent on ne pouvait plus contester qu’en fait j’avais toujours eu bien raison et que mon impression avait été parfaitement correcte, que j’avais été séparé de tout le monde fondamentalement et en tout, et que tout ce que la vie m’avait offert jusqu’à présent n’avait été que des bagatelles qui n’avaient rien changé à ce seul fait important que l’essentiel m’avait manqué depuis toujours. Mais lorsque le cours de mes pensées eut atteint le point où fut prononcé le mot « essentiel », ce que c’était donc que cette chose essentielle apparut aussitôt avec évidence : l’amour, naturellement. Or il n’y avait là rien de nouveau pour moi dans la mesure où, au fond j’avais toujours su, où d’ailleurs tout le monde sait et a toujours su et où chacun aurait pu me dire après avoir lu la première page de ce récit, dans quel domaine se situait ma maladie.
Mais c’était tout de même une nouveauté pour moi. J’ai beaucoup parlé dans ce récit du ne-pas-savoir et du ne-pas-vouloir-savoir et du fait que, quand on apprend une chose, il faut toujours aussi qu’on veuille d’abord savoir cette chose nouvelle avant qu’on puisse dire vraiment qu’on la sait. Au cours de ma vie, j’avais bien dit des sottises en parlant de mes « difficultés d’amour » sans m’avouer que j’aurais dû formuler la chose en disant que par manque d’amour je dépérissais et mourais. Quand quelqu’un est mort d’inanition, on ne dit pas, n’est-ce pas, qu’à la fin de sa vie il a eu des « difficultés de nutrition », on dit qu’il est mort de faim. Lorsque je dis de moi que j’avais dit « difficultés d’amour », l’expression était à peu près aussi juste que si j’avais des de quelqu’un qu’il avait des « difficultés de forme » après être passé sous un rouleau compresseur.
Il ne me restait plus qu’à m’avouer que je n’avais pas eu lesdites « difficultés » mais que dans l’affaire absolument la plus importante de la vie j’avais complètement échoué, que je n’avais pas supporté ce manque essentiel, c’est pourquoi j’étais devenu fou (ou tout bonnement névrosé, pour employer encore une fois cet euphémisme bienséant) et que cette folie avait ensuite déclenché le cancer qui, à présent, se préparait à détruire mon corps.
Fritz Zorn, Mars
J’aime beaucoup ce livre. C’est ma mère qui me l’avais offert (?). Je l’ai lu pour la première fois il y a 20 ans et l’ai relu encore récement.
J'aime beaucoup ce livre. C'est ma mère qui me l'avais offert (?). Je l'ai lu pour la première fois il y a 20 ans et l'ai relu encore récement.