Lorsque je parle, je réalise seulement une partie du potentiel signifié; le reste est oblitéré par la signification totale de la phrase, qui opère comme unité de parole. Mais le reste des virtualités sémantiques n’est pas annulé, il flotte autour des mots, comme une possibilité non complètement abolie; le contexte joue donc le rôle de filtre; lorsqu’une seule dimension du sens passe par un jeu d’affinités et de renforcements entre toutes les dimensions analogues des autres termes lexicaux, un effet de sens est créé, qui peut atteindre à l’univocité parfaite, comme dans les langues techniques; c’est ainsi que nous faisons des phrases univoques avec des mots multivoques grâce à cette action de tri ou de crible du contexte; mais il arrive que la phrase soit ainsi faite qu’elle ne réussisse pas à réduire à un usage monosémique le potentiel de sens, mais qu’elle maintienne ou même crée la concurrence entre plusieurs lieux de signification; par divers procédés, le discours peut réaliser l’ambiguïté qui apparaît ainsi comme la combinaison d’un fait de lexique: la polysémie, et d’un fait de contexte: la permission laissée à plusieurs valeurs distinctes ou même opposées du même nom de se réaliser dans la même séquence.
Paul Ricœur, Le problème du double-sens (in Le conflit des interprétations)
Voilà ce que j’aime dans la langue: la polysémie. Cela fait longtemps que je frôle Ricœur à l’université, surtout dans mes cours de linguistique française. J’ai la chance de l’approcher d’un peu plus près pour mes derniers examens de philo – alors je vous en fais un peu profiter.